Burundi : Quelle est la position de Nkurunziza ? Est-elle tenable ?
Analyses

ARTE, 17 décembre 2015

Burundi : Pierre Nkurunziza dos au mur

 Le Burundi est "au bord d'une guerre civile qui risque d'embraser toute la région", a annoncé le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon.

Il estime que les Nations unies pourraient être contraintes d'aller au-delà d'une simple mission politique, en "élevant leur niveau de présence".

En cause : l'escalade des violences le week-end dernier. Trois camps militaires de la capitale ont été attaqués par des opposants le 11 décembre. La répression ne s'est pas faite attendre et les affrontements ont coûté la vie à au moins 90 personnes. La crise politique burundaise a débuté fin avril et ne semble pas s'apaiser.

Comment le président Nkurunziza parvient-il encore à se maintenir au pouvoir envers et contre tous ? Le risque de guerre civile est-il réel et imminent ? L'analyse d'un spécialiste de l'Afrique à l'Université de Londres, Phil Clark.

Quelle est la situation actuelle du Burundi ?

Phil Clark : La situation au Burundi s'est considérablement détériorée depuis la semaine dernière. Le week-end dernier, des civils innocents ont été abattus. La situation politique et militaire du Burundi a complètement dérapé. Le sentiment de peur et de paranoïa se répand progressivement. La situation était déjà mauvaise depuis quelques mois, et aujourd'hui elle ne fait qu'empirer. Et il n'y a pas d'amélioration en vue.

Quelle est la position de Nkurunziza ? Est-elle tenable ?

Phil Clark : Nkurunziza est complètement isolé : - Tout d'abord sur le plan militaire : il est très difficile de savoir dans quelle mesure l'armée lui est fidèle et loyale. Ces derniers mois, on a pu constater que certains éléments de l'armée ne soutenaient pas Nkurunziza. Ces derniers étaient contre l'amendement constitutionnel et un éventuel troisième mandat du président. Sans parler du récent coup d'état militaire écrasé par Nkurunziza. Il a assassiné plusieurs militaires de haut rang, dont il était convaincu qu'ils pourraient se retourner contre lui. Une stratégie qui lui a offert un certain répit pendant un temps. Il pensait s'être débarrassé des fauteurs de troubles dans l'armée, mais les attaques de trois camps militaires de la capitale suggèrent tout autre chose. Même si nous n'avons aucune certitude quant aux donneurs d'ordre de ces attaques, des mutins de l'armée auraient été impliqués.

- Ensuite, il a perdu le soutien de sa population.

- Enfin, il est controversé au sein de son propre gouvernement, ce qui aggrave la paranoïa.  Cet isolement total semble n'aboutir qu'à un seul résultat : Nkurunziza mène des actions de plus en plus violentes à l'encontre de ses adversaires. Comme s'il n'était plus en mesure d'assurer ses soutiens internes par sa seule force de persuasion.

Cette situation risque-t-elle d'aboutir à une guerre civile ?

Phil Clark : Pour le moment, nous n'avons pas suffisamment d'informations concernant les groupes rebelles potentiels qui se trouveraient dans le nord du pays. Certains rapports affirment que ces groupes sont effectivement sur pied et qu'ils seraient en mesure de mener des attaques contre le gouvernement. Mais à l'heure actuelle, nous ne pouvons pas dire qui ils sont et comment ils sont organisés. Une chose est sûre : si ces groupes potentiels parviennent à s'entendre avec la partie dissidente de l'armée et l'opposition, ils pourraient former un front uni contre Nkurunziza. C'est ce scénario, qui a des chances de se produire, qui mènerait à une guerre civile.

36% des Burundais manquent de nourriture, 80 % vivent sous le seuil de pauvreté et vingt-neuf millions d'euros manquent toujours dans les caisses des agences humanitaires sur le terrain : voici le sombre tableau dressé par le Haut commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU.  Pensez-vous que les pays donateurs ont fait le bon pari en utilisant le levier économique pour faire pression sur  Nkurunziza ?

Phil Clark : Pour moi, le but principal des bailleurs de fonds devrait être la protection des civils. Je comprends tout à fait leur dilemme et le fait qu'ils ont le sentiment qu'il n'y avait plus d'autres options. Ils ont essayé de négocier… sans résultat. Que ce soit de façon directe ou avec les partenaires régionaux. Ils ont aussi essayé d'adopter des sanctions ciblées contre Nkurunziza et d'autres dirigeants burundais. Même la menace d'une opération de maintien de la paix de l'ONU n'a abouti à rien. Nkurunziza semble être immunisé contre la critique internationale. Résultat : les bailleurs de fonds ont l'impression de ne plus avoir aucun autre moyen de pression.

Pourquoi le président Nkurunziza ne cède-t-il pas ?

Phil Clark : Nkurunziza maintient ses objectifs politiques coûte que coûte et n'envisage aucune manière de procéder autrement. Il veut rester président à tout prix. L'histoire ne manque pas de cas similaires, de dirigeants poursuivant leurs objectifs par n'importe quel moyen. Même par la violence et la violation des droits de l'Homme. Ils perdent alors leurs soutiens militaires et politiques et il ne leur reste qu'un seul choix : finir ce qu'ils ont commencé. C'est ce que fait Nkurunziza. 

Y parviendra-t-il ?

Phil Clark : Je ne pense pas. Mais il ne faut pas sous-estimer l'ampleur du financement illégal du gouvernement de Nkurunziza. Le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, est très corrompu et le gouvernement peut puiser dans une fortune considérable pour garder une armée à ses côtés.

Mais à terme, cette situation n'est pas tenable et je pense que ce gouvernement est presque en faillite : le gel des fonds d'aide a frappé fort. L'organisation des élections en mai dernier et les efforts du président, visant à modifier la constitution, ont été extrêmement coûteux. Si l'économie parallèle a réussi jusqu'à maintenant à soutenir Nkurunziza, les ressources seront bientôt épuisées. 

Le président Nkurunziza est maintenant dos au mur. Pensez-vous que cela pourrait aboutir à une issue politique ?

Phil Clark : Pour le moment, une solution politique et pacifique à ce conflit est inenvisageable. L'intervention du médiateur du président ougandais Yoweri Museveni n'a mené à rien. Les autres dirigeants de la région – le Rwanda, la RDC ou la Tanzanie– sont déjà bien occupés avec leurs élections et les controverses qui frappent leurs propres pays. La Communauté est-africaine (EAC) et l'Union africaine sont toutes deux impuissantes. Les bailleurs de fonds internationaux ont bien tenté d'engager un dialogue entre le gouvernement et l'opposition. Mais tout cela était entre les mains de Nkurunziza et de sa bonne volonté. Tous ces efforts étaient vains.

Comment ce conflit peut-il se résoudre ?

Phil Clark : Il y a deux possibilités :

-    La première est de continuer à mettre économiquement la pression sur Nkurunziza. Le tout dans l'espoir que le régime finisse par s'effondrer, forçant le président à abdiquer. Ce processus pourrait prendre encore des mois.  Et probablement  beaucoup de personnes y laisseraient leur vie.

-    La seconde tient dans une intervention militaire internationale. L'opération de paix de l'ONU en RDC, la Monusco, pourrait jouer ce rôle. Mais je pense que c'est peu probable : la Monusco est entièrement mobilisée par sa mission au Congo. Et la communauté internationale ne veut pas investir plus d'argent sur une nouvelle opération.

Je crains que la situation se détériore encore davantage dans les prochaines semaines et qu'une intervention militaire internationale devienne nécessaire. Et cela impliquera un grand nombre de victimes.