Ce qui se passe au Burundi a tout de la catastrophe annoncée
Analyses

Le Nouvel Observateur, 18-12-2015

Un bain de sang s'annonce au Burundi. Il faut l'empêcher

Au Burundi, les violences sont liées à la décision du président Nkurunziza de se faire élire pour un troisième mandat. Depuis, ce chef d’Etat contesté s’est lancé dans une chasse aux sorcières.

A chaque crise majeure succède un serment collectif de "plus jamais ça"… Jusqu’à la crise suivante. Ce qui se passe au Burundi, ancienne colonie belge au cœur de l’Afrique orientale, a tout de la catastrophe annoncée, que nul ne semble en mesure d’éviter ; ni les Burundais eux-mêmes, pris dans l’engrenage de la violence, ni surtout l’Afrique malgré ses promesses de sécurité collective. Quant au reste du monde, il ne sait déjà pas comment faire face depuis bientôt cinq ans au conflit syrien et à ses métastases terroristes, alors le Burundi…

Vendredi 11 décembre, des dizaines de jeunes hommes de Bujumbura, la capitale burundaise, ont été tués, souvent à bout portant, le visage éclaté par les balles d’armes automatiques de militaires. Au total, on a dénombré 90 victimes, presque autant que le total accumulé en quelques mois de crise et de violence sporadique. L’armée affirme avoir déjoué une attaque de "rebelles", mais les témoins parlent de jeunes gens pris chez eux et sommairement exécutés.

Il y a de quoi s’inquiéter. Le Burundi a connu une sanglante guerre civile entre 1993 et 2005, qui a fait quelque 300.000 morts ; il est situé au cœur d’une région ayant connu le génocide rwandais de 1994 qui a fait, selon l’ONU, 800.000 victimes ; et il a pour autre voisin la République démocratique du Congo (RDC) et ses guerres endémiques. Ces nouvelles violences sont liées à la décision du président, Pierre Nkurunziza, de se représenter pour un troisième mandat en juillet 2015, alors que la Constitution le limitait à deux.

La vive réaction de l’opposition n’a pas empêché la réélection de ce chef d’Etat contesté, qui s’est lancé, depuis, dans une véritable chasse aux sorcières. Un exemple, le journaliste Esdras Ndikumana, correspondant de l’AFP et de RFI à Bujumbura, auquel l’Association de la Presse diplomatique française vient de décerner son prix 2015 : en août dernier, il a été torturé par des militaires et contraint de se réfugier au Kenya, comme 80% des journalistes burundais, selon lui.

Des solutions africaines demandées 

Depuis des mois, des voix s’élèvent pour sonner l’alarme. En novembre, l’International Crisis Group (ICG), un influent think tank, estimait que "la détérioration de la situation au Burundi est la parfaite illustration de bien des maux de l’Afrique aujourd’hui, avec des présidents recherchant l’impunité et le pouvoir par le biais de mandats supplémentaires douteux, des régimes autoritaires qui étouffent l’opposition et les médias indépendants, des rivalités régionales qui freinent les efforts de paix, et des puissances extérieures incapables ou manquant de volonté d’agir".

L’ICG appelait l’Afrique à agir au plus vite pour empêcher la descente aux enfers du Burundi, au potentiel de violence politique et interethnique semblable à celui du Rwanda des années 1990. L’Afrique réclame depuis longtemps des solutions africaines à ses problèmes, plutôt que des interventions extérieures à l’efficacité douteuse, et pleines d’arrière-pensées.

Mais les institutions du continent sont loin de pouvoir agir efficacement. Et il manque à l’Afrique des personnalités de la stature de Nelson Mandela ou de l’ancien président tanzanien Julius Nyerere, qui avaient parrainé le processus d’Arusha ayant mis fin à la guerre civile au Burundi en 2005. Pourtant des contre-exemples existent sur le continent, comme le Burkina Faso qui vient de réussir son processus démocratique malgré une tentative de coup de force. Raison de plus pour aider le Burundi à éviter le bain de sang.

Par Pierre Haski