Burundi : "Tout le monde attend davantage de sang. C'est terrifiant"
Opinion

Ouest-France, 26/01/2016

Bujumbura au bord d'un lac de sang

Editorial du 24 janvier - Explosions, tirs en rafale, hier comme quasiment tous les jours. «Tout le monde a peur ». Alors qui sauvera Bujumbura ? Cette ville d'Afrique de l'Est où l'on parle français, est la capitale du Burundi au bord du lac Tanganyika, là où l'explorateur Stanley en a retrouvé un autre avec cette phrase devenue célèbre : Docteur Livingstone je présume ? Aujourd'hui, les voyageurs passent au large. On y tue chaque jour et surtout chaque nuit.

Le Burundi, petit pays enclavé où l'on ne vit que d'agriculture sommaire, aux confins du Rwanda, du Congo et de la Tanzanie, est l'une des terres les plus pauvres du monde. Éducation en faillite, ignorance, mendicité, vols à l'arraché, viols, kidnappings : la violence extrême s'ajoute à l'extrême pauvreté dans une indifférence mondiale.

Après des années de guerre civile qui faisait écho à celle du Rwanda voisin où les Tutsis ont fait l'objet d'un génocide, le Burundi n'a pas fini de pleurer ses 300 000 morts au compteur de 2006. Dix ans après, une nouvelle guerre menace. Ceux qui le peuvent prennent la fuite. Les autres vivent dans la terreur et un silence brisé par les fusillades.

Les violences ont repris quand la population s'est opposée à un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza. Ce dernier est passé en force : il a modifié la constitution et s'est fait réélire l'été dernier. Ceux qui s'étaient dressés contre lui ont été condamnés à la prison à la perpétuité. Ceux-là ont eu de la chance. Pour d'autres, pas de simulacre de procès mais une balle dans la tête...

Les policiers sont omniprésents, les contrôles sont permanents : on vérifie les identités, bien que les papiers soient souvent des faux, et surtout les boîtes à gants et les coffres où se trouveraient des armes, machettes et kalachnikovs... Impossible de sortir la nuit : on risque de se faire embarquer... et de disparaître. La mort est devenue banale.

Chaque nuit, ces jours-ci, hier comme aujourd'hui et sans doute demain puisque l'on ne fait rien, de jeunes miliciens, voyous appointés par les forces présidentielles, les Imbonerakure sillonnent les quartiers où vivent les opposants repérés dans les manifestations. Il s'agit la plupart du temps d'adolescents ou de jeunes hommes. Ils sont emmenés, menottés, ligotés... On ne les retrouve jamais vivants. Ils ne peuvent témoigner. Leurs cadavres sont découverts dans les rivières ou les fossés : battus à mort, étranglés, égorgés, fusillés, émasculés...

Les témoignages sont nombreux : nous les avons entendus sur place. Nous en disons ici la synthèse en préservant leur anonymat. Car la parole ici se paye de sa vie.

Les pressions diplomatiques (Union Africaine et Nations Unies) et économiques (les aides de l'Union Européenne) passent pour de l'ingérence néocoloniale. Le système de Pierre Nkurunziza réclame de massacrer tranquillement le peuple burundais au nom de l'ordre public. C'est d'un cynisme insoutenable. La Cour pénale internationale aura un jour à juger ces crimes.

L'opposition conduit certes sa propre guérilla pour harceler le pouvoir. Et personne ne veut discuter. Ces gens-là ne se parlent pas. Et le pays va tout droit vers la guerre civile : les machettes sont prêtes à couper les têtes, le conflit ethnique entre Hutus majoritaires et Tutsis minoritaires se mêle à la crise politique.

Tout le monde le sait. Tout le monde attend davantage de sang. C'est terrifiant. Cela se passe sous nos yeux. Qui sauvera 

Hervé Bertho