Burundi : Nkurunziza ne veut pas dialoguer avec ses vrais opposants
Opinion

@rib News, 26/01/2016

Burundi. Quelles solutions pour sortir de l’impasse?

Par Arthur Kazima

Le peintre espagnol  Francisco Goya a produit, en 1797, une gravure intitulée El sueño de la razon produce monstruos, ce qu’on peut traduire littéralement  ainsi : « Le rêve de la raison produit des monstres ». Ou, plus largement, « le sommeil de la raison engendre des monstres ». On voit sur la peinture un homme assis, tout habillé, avachi sur  une table ou quelque chose comme cela. Il n’est pas vieux. Son visage est caché, et l’on ne voit que ses cheveux noirs. On le devine fatigué, vaincu par le sommeil  ou peut-être les soucis.

A ses pieds est couché un chat ou un lynx tout en alerte, les yeux grands ouverts, les oreilles dressés en paraboles. Au-dessus du chat se tiennent des hiboux menaçants, tout comme derrière  l’homme  se dressent des hiboux, qui le dévisagent sévèrement. Parmi eux, l’un ouvre largement ses ailes. Au-dessus, dans l’espace gris  de ce lieu mal éclairé volent, noirs et lugubres, des chauves-souris.

L’atmosphère générale est contrastée : un homme « absent », immobile, impuissant, endormi, environné par des hiboux et des chauves-souris agressifs,  menaçants. Des becs sont pointés vers cet homme et  ce chat  qui semble être son seul et dernier  gardien. Mais l’attitude de ce chat est de simple alerte, elle n’annonce aucun bond ni aucune préparation  de lutte. Ses pattes sont posées. Juste une tension, un feu dans le regard. C’est à cette œuvre que me fait penser la situation actuelle du Burundi. Par l’agressivité d’animaux nocturnes, elle suggère les dangers qui guettent l’abdication de la raison et de l’action  devant le non-sens.

A propos du dialogue

Devant l’aggravation continue de la crise au Burundi, le régime de Nkurunziza multiplie les contradictions. Il a mis en place une commission nationale pour le dialogue interburundais- CNDI, présidée par Mgr Justin Nzoyisaba. Cette commission interne, qui exclut la véritable opposition, dont les principaux ténors sont à l’extérieur,  a commencé des travaux itinérants. Le premier thème de réflexion, abordé lors des assises de Kirundo, le 19 janvier,  a été : « Pourquoi à chaque fois, les élections sont-elles suivies de violences au Burundi ? ». Excellente question, qui devrait faire l’objet d’un débat entre la majorité et l’opposition. Dans un contexte monolithique, la réponse sera très probablement : c’est à cause de la mauvaise foi de l’opposition, c’est la faute des mauvais perdants qui refusent d’assumer leur défaite. Or, les causes de la contestation, pacifique ou violente, sont multiples et s’inscrivent dans le vaste contentieux sur la question électorale qu’un seul camp ne peut résoudre tout seul.

L’attitude du pouvoir de Nkurunziza procède de la tactique suivante : donner l’impression de vouloir dialoguer, faire traîner en longueur les préparatifs du dialogue, utiliser le dialogue interne pour peaufiner sa stratégie et par la démarche itinérante, installer un front de refus au dialogue inclusif ; multiplier les préalables et autres préconditions,  lasser la communauté internationale confrontée à de multiples crises,  tenter de diviser le camp adverse par des offres alléchantes ; et surtout, utiliser la présence des soldats burundais dans les missions de paix à l’étranger pour faire chanter la communauté internationale. Mais il y a plus grave : si Nkurunziza parvient à organiser un référendum, pour modifier la constitution ou déclarer caduc l’accord d’Arusha, en se disant que son voisin Kagame a forcé le passage à l’aide de ce mécanisme référendaire, il aura enlevé à ses adversaires l’arme principale et réussi à diviser ceux dont le point de ralliement est justement la défense d’Arusha.

Des signes montrent en tout cas que Nkurunziza ne veut pas dialoguer avec ses vrais opposants. Dans son entendement, ceux-ci ne sont que des putschistes, des anti-démocrates avec lesquels il n’y a pas lieu de dialoguer. C’est ce qu’exprimait clairement Pascal Nyabenda, président du parti présidentiel et président de l’Assemblée nationale,  en répondant à Jeune Afrique, (15 janvier 2016) : « Nous avons deux groupes au Burundi désormais : un groupe de gens, dont je fais partie, qui défendent la démocratie ; et un groupe d’autres gens. Ceux-là disent : « Le CNDD-FDD a occupé tout le terrain, on ne pourra pas accéder au pouvoir par les urnes, nous devons chercher d’autres moyens pour accéder au pouvoir ». Et plus loin au sujet du dialogue : « Le dialogue dont on parle est le dialogue de tous les Burundais. Même le Burundais qui se trouve sur la colline, qui a participé aux élections, qui a donné un message clair en disant : « je suis pour la démocratie », on doit l’écouter. Tous les Burundais ne pourront pas aller à Arusha. Donc nous sommes pour le dialogue externe, mais surtout pour le dialogue interne. »

La multiplication des prétextes : nécessité de voir tous les partis représentés (43 partis politiques enregistrés, 6600 organisations de la société civile enregistrées), difficulté de former des représentations, problème de financement, présence inacceptable dans la délégation de l’opposition de putschistes du 13 mai 2015, implication du Rwanda dans la crise burundaise, affirmation du caractère terroriste des attaques contre les force de l’ordre, etc. n’ont d’autre but que de dresser un mur contre toute négociation véritable avec l’opposition. La réponse de Nkurunziza à la délégation du conseil de sécurité, le vendredi 22 janvier 2016, selon laquelle : « La seule voie vers la paix et la démocratie est d’arrêter et juger les conspirateurs où qu’ils soient » est sans ambiguïté, et montre le caractère purement dilatoire de toutes les affirmations des gens du pouvoir prétendant vouloir dialoguer.

De la vigilance à l’action

Dans ce dossier dramatique, qui est l’homme qui dort, terrassé par la fatigue, le sommeil ou les soucis ? Qui est le chat au regard vif et aux oreilles  dressées ? La médiation ougandaise ? De la pure comédie, des gesticulations qui cachent mal une complicité de projets : s’éterniser au pouvoir en écrasant l’opposition. Et plus nombreux sont les complices, mieux ça vaut !  Qui ne voit pas cela dort. Qui croit que Museveni est capable, en symbole et en action, de régler positivement la crise burundaise rêve. Il faut penser maintenant à un autre médiateur, et cela doit être la demande expresse de l’opposition burundaise.

Quant à la communauté internationale, elle doit se dépêtrer de cette situation qui l’oblige à ménager Nkurunziza. Avec les troupes burundaises en mission à l’extérieur, Nkurunziza a beau jeu de dire : « il y a la paix chez moi. La preuve : mes soldats assurent la paix dans différents pays à l’extérieur. » Le non-dit ici, subliminal et maître-chanteur est : «  Si vous insistez trop, je rappelle mes troupes en Somalie et ailleurs et vous vous débrouillez ! » Mais, n’est-ce pas là du bluff ? Nkurunziza peut-il passer à l’acte et se priver de la manne récoltée à partir de ces missions à l’étranger (prélèvements sur la solde des militaires, frais de location des armes engagées) ? Difficile de savoir. Quelqu’un de rationnel ne le ferait sans doute pas, mais pour quelqu’un d’imprévisible, on ne sait jamais…

Trois choses  principales sont demandées au régime de Nkurunziza : arrêter de massacrer les membres de l’opposition en semant la haine ethnique ;  accepter l’arrivée d’une force internationale de protection des populations et de désarmement des milices, dialoguer  sérieusement et sans condition ni exclusive avec son opposition. A ces trois demandes, Nkurunziza a opposé une fin de non- recevoir. Ou bien la communauté internationale se résigne  et avoue son impuissance, ou bien elle prend des mesures coercitives susceptibles de sauvegarder sa respectabilité et  de pousser Nkurunziza sur la voie du bon sens.

Parmi ces mesures devraient figurer notamment :

  1. De fortes pressions diplomatiques, économiques et financières, comprenant notamment : un embargo sélectif  sur les armes, les  munitions et le pétrole ;  et le gel des avoirs extérieurs des ténors du régime.
  2. Le retrait des contingents  militaires burundais en mission de maintien de la paix et faire en sorte que le gouvernement burundais n’ait aucune retombée financière de ces missions.
  3. Le blocage et le dépôt des frais de location des armes burundaises engagées dans ces missions sur un compte en attendant le retour de la paix.
  4. Une assistance décisive au projet MAPROBU de l’union Africaine.
  5. La publication d’une liste de personnes impliquées dans les violations graves des droits de la personne humaine et la prise de sanctions individuelles à leur encontre
  6. L’ouverture par la CPI d’enquêtes sur les crimes commis par le régime Nkurunziza et de lancement de mandats d’arrêt internationaux y afférents.

Faute de cela, les protestations et autres mises en garde ne produiront aucun effet.