Les deux journalistes arrêtés au Burundi entendus par des magistrats
Justice

Le Monde, 29/01/2016

Ce que nous savons de l’arrestation des envoyés spéciaux du « Monde » au Burundi

Ils étaient arrivés séparément au Burundi les 19 et 21 janvier pour enquêter sur la crise politique qui déchire le pays depuis le printemps 2015.

Le correspondant du Monde en Afrique Jean-Philippe Rémy et le photographe britannique Philip Moore ont été arrêtés jeudi 28 janvier à Bujumbura par les services de sécurité burundais alors qu’ils s’entretenaient avec des opposants.

L’annonce de leur interpellation, avec quinze autres personnes, a été diffusée par la Radio-télévision nationale du Burundi (RTNB) et confirmée officiellement sur Twitter par le conseiller média et communication de la présidence, Willy Nyamitwe :

D’après le communiqué du ministère de la sécurité publique, « un mortier, une kalachnikov et des pistolets ont été saisis au cours de cette opération de police dans le quartier de Nyakabiga ». C’est« la première fois que des étrangers sont surpris au milieu de criminels », a réagi le porte-parole adjoint de la police Moïse Nkurunziza sur la RTNB.

Le quartier de Nyakabiga, où les journalistes ont été arrêtés, est l’un des bastions de la contestation contre le pouvoir du président Pierre Nkurunziza. Les forces de l’ordre quadrillent la zone depuis les soulèvements d’avril 2015 contre un troisième mandat du chef de l’Etat, et des caches d’armes sont régulièrement mises au jour. C’est à Nyakabiga et dans les quartiers contestataires de Musaga, de Mutakura et de Jabe, qu’avait été menée la répression des 11 et 12 décembre 2015, au cours de laquelle près de deux cents personnes avaient été tuées. Des dizaines de corps de jeunes ligotés avaient été retrouvés dans les rues au matin.

Entendus par des magistrats

D’après Richard Giramahoro, le président du conseil national de la communication, qui supervise les médias au Burundi, « le dossier de [Jean-Philippe Rémy et Philip Edward Moore] a été transmis au procureur général, qui a ouvert une enquête judiciaire ». « Ils sont ce matin en train d’être entendus par des magistrats, a-t-il déclaré au Monde. On saura bientôt de quoi ils sont accusés. »

Selon nos informations, deux délégués du CICR puis l’ambassadeur de France accompagné d’un représentant du consulat britannique et de la journaliste américaine Julia Steers ont pu rendre visite vendredi matin 29 janvier aux journalistes dans le bâtiment de l’Agence national de renseignement. Ces bureaux se trouvent dans le quartier de Rohero à Bujumbura, près de la cathédrale Regina Mundi. Contrairement à ce qu’affirme la police, Philip Moore nie avoir été arrêté alors qu’il se trouvait avec des hommes armés.

Vers midi, heure de Paris, les deux hommes attendaient d’être déférés au parquet pour être présentés au procureur général.

Le Monde, qui demande la libération immédiate de ses envoyés spéciaux, a pris contact avec les autorités burundaises et avec l’ambassade de France à Bujumbura.

Le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, a également appelé dans un communiqué à la libération des journalistes. « Des démarches diplomatiques sont en cours », précise-t-il, faisant part de sa « préoccupation ».

« Ces arrestations ont eu lieu dans un contexte de répression sévère de la part du gouvernement envers les journalistes, toutes les principales stations de radio privées burundaises étant suspendues depuis avril/mai 2015, observe l’ONG Human Right Watch. Au cours des derniers mois, des représentants du parti au pouvoir ont fait des commentaires de plus en plus négatifs au sujet de journalistes étrangers couvrant le Burundi. »