Faute d'issue visible à la crise, "l'option pacifique perd du terrain" chez les exilés
Société

@rib News, 29/01/2016 - Source AFP

L'espoir d'une issue rapide de la crise au Burundi s'amenuise chez les réfugiés de Kigali

Chez les 25.000 Burundais réfugiés à Kigali pour fuir la crise dans leur pays, l'espoir initial de rentrer dans un avenir proche semble envolé et tous s'attendent désormais à ce que la crise s'éternise.

"Avant on se projetait sur deux ou trois mois, maintenant on se projette plutôt sur un an", explique, amer, Elie, entrepreneur burundais de 43 ans, assis à la terrasse d'un café de la capitale rwandaise. Elie est un pseudonyme, l'homme craint des représailles contre sa famille, restée au Burundi.

La crise a fait basculer son existence : avant qu'éclatent fin avril les manifestations contre la candidature annoncée du président Pierre Nkurunziza à un 3ème mandat controversé, "on vivait une vie tranquille à Bujumbura, je ne faisais pas de politique".

Choqué par la répression, Elie organise une collecte de fonds pour nourrir les manifestants. Jusqu'à ce qu'il apprenne qu'il est recherché par les services de renseignement et s'enfuit début mai au Rwanda.

Ce père de deux enfants sait qu'il peut compter sur des amis d'enfance rwandais à Kigali. Ironie de l'histoire, ils étaient au Burundi car leurs parents avaient fui les persécutions des années 1960 contre les tutsi au Rwanda.

Un d'eux lui prête un appartement. "Dans l'ensemble, on a été très bien accueilli", assure Elie. "Ces anciens réfugiés rwandais s'identifient à notre situation".

Elie a longtemps voulu rester optimiste, mais admet que son espoir d'une issue rapide à la crise s'amenuise. La relance des pourparlers entre le camp présidentiel et les anti-3e mandat a fait long feu et le gouvernement burundais reste sourd aux pressions internationales, refusant notamment le déploiement d'une force africaine de paix.

Quand la crise a commencé, Mick Nahimana, 29 ans, s'est dit lui aussi "que ça n'allait durer qu'une semaine". Mais pendant six semaines, quasi-quotidiennement, les quartiers contestataires sont bouclés par la police qui réprime dans le sang les manifestations. Mi-mai, des militaires s'affrontent lors d'une tentative de coup d'Etat finalement déjouée.

La paralysie des quartiers, la répression aveugle de la police, les menaces des services de sécurité contre les "insurgés" réels ou supposés, mais surtout la peur diffuse d'une spirale incontrôlable de violences, dans un pays à l'histoire post-coloniale jalonnée de massacres entre majorité hutu et minorité tutsi, toujours hanté par la guerre civile (1993-2006), ont poussé plus de 200.000 Burundais à l'exil.

Parmi eux, 75.000 ont trouvé refuge au Rwanda voisin. A Kigali se concentrent notamment hommes politiques, militants associatifs ou journalistes, menacés au Burundi.

Les quartiers contestataires ont été mis au pas et Pierre Nkurunziza réélu lors d'un scrutin controversé. Mais les violences - qui ont déjà fait 400 morts selon l'ONU - se sont intensifiées, les armes pullulent et des mouvements rebelles se sont créés.

La crise "a détruit mes rêves", constate Mick Nahimana: "à Bujumbura, j'avais des projets: acheter un terrain, construire une maison". Il tente désormais de reconstruire sa vie dans la capitale rwandaise, où il vient d'investir ses économies pour reprendre la gestion d'un bar-restaurant : "La vie est chère à Kigali, il faut bien trouver quelque chose à faire".

Car à Kigali, beaucoup de réfugiés sont sans travail et s'inquiètent pour leur avenir. Florent, 29 ans, loue avec trois autres Burundais deux pièces, meublées seulement de deux matelas posés à même le sol, un tabouret et un réchaud.

Membre d'un parti d'opposition, cet informaticien a activement participé aux manifestations avant de fuir les représailles des forces de sécurité, passant d'une vie relativement confortable à Bujumbura à la "survie" à Kigali.

"On vit sur nos économies, mais il ne nous reste quasiment plus rien", souligne-t-il, craignant de devoir rejoindre un camp de réfugiés, comme celui de Mahama (est). Certains, "des docteurs, des ingénieurs...", ont déjà dû s'y résoudre, assure-t-il.

Florent redoute une "ethnicisation" de la crise politique: "La situation actuelle du Burundi ressemble à celle du Rwanda" avant le génocide de 1994, "on appelle les opposants +les tutsi+ (...) alors qu’il y a des hutu aussi".

Faute d'issue visible à la crise, "l'option pacifique perd du terrain" chez les exilés, estime Elie, qui craint que les jeunes Burundais, sans perspectives, soient de plus en plus tentés de rejoindre les rangs de la rébellion.