Pierre-Claver Mbonimpa : "Les Burundais ne méritent pas ce qu’ils vivent."
Droits de l'Homme

L'Avenir, 16/02/2016

Une balle dans la tête, il se relève et poursuit son combat pour les droits humains au Burundi

 Une balle lui a traversé la tête, lui brisant nez, vertèbres et cordes vocales. Mais Pierre-Claver Mbonimpa a retrouvé sa voix et ses forces, et ce grand défenseur des droits humains au Burundi a repris son combat depuis la Belgique, où il est toujours soigné.

Il est l'un des témoins d'Amnesty International, qui lance une nouvelle expo photos : "Droits dans les yeux".

Il est un peu chétif et se déplace encore avec difficulté. Son élocution est lente, mais son esprit particulièrement vif. Et sa mémoire intacte. Pierre-Claver Mbonimpa revient de loin, de l’enfer burundais, son pays où les droits humains se sont brisés avec la répression du président Nkurunziza.

Avec l’annonce de son 3e mandat et ensuite sa réélection en juillet dernier, le président burundais a provoqué une crise profonde dans son pays, la société civile et la communauté internationale lui reprochant de violer la Constitution et les accords d’Arusha. «Il a piétiné ces accords qui ont mis fin à la guerre civile», s’emporte Pierre-Claver.

Pourtant, le «défenseur» d’Amnesty, aujourd’hui âgé de 66 ans, est parvenu à de belles avancées démocratiques avec Pierre Nkurunziza. «Mais ça, c’était au début, entre 2005 et 2010, quand il est sorti de la rébellion pour devenir président et qu’il a appliqué la bonne gouvernance. Le peuple était content.» Pierre-Claver a ainsi obtenu l’interdiction de la torture de la part des forces de l’ordre et de la magistrature, la suppression de la peine de mort du code pénal, de meilleures conditions de vie des prisonniers. Eux qui ont toujours été au cœur de son combat depuis plus de 20 ans.

La défense des droits des prisonniers

En 1994, Pierre-Claver Mbonimpa est policier de l’air et des frontières. Mais il se fait arrêter et condamner à deux ans de prison pour détention illégale d’arme (celle d’un collègue, explique-t-il). Ces deux années de véritable bagne vont changer l’homme, qui en sort avec la ferme intention de défendre les droits des prisonniers. Il crée une association et part en croisade. «Il est normal que ceux qui ont mal agi soient condamnés par la justice, mais moi ce sont les droits humains de ces gens que je défends. J’ai vu des prisonniers enfermés 5 ans en prison, sans jamais passer devant un juge. Et puis être condamnés à seulement un an d’emprisonnement…»

Pierre-Claver est repéré par Amnesty, qui l’invite à témoigner dans des conférences internationales et lui accorde une aide financière. Peu à peu, la population lui demande son aide dans tous les domaines, pas seulement en prison. Il fonde ainsi une autre association, plus large, pour la protection des droits humains et des personnes détenues, l’APRODH. Il est approché par d’autres pays qui veulent mettre en place ce type de défense. Human Rights Watch, Penal Reform International (PRI), Amnesty, tous ces organismes en font un expert et un témoin des visites de lieux de détention.

Enfermé pour atteinte à la sécurité

Au début des années 2010, le «défenseur» détecte des bavures policières et militaires, puis repère ces jeunes que le président forme et arme comme des militaires (les imbonerakures). Il dénonce alors cette milice au cours d’une conférence de presse, en mai 2014, et se fait arrêter sur ordre du président, pour atteinte à la sécurité de l’État. Il est relâché sous conditions pour raisons médicales quelques mois plus tard.

Abattu de sang-froid

Pierre-Claver poursuit son combat avec des experts de l’Union africaine pour tenter d’apaiser la crise qui fait rage. Une activité qui dérange le pouvoir. Le 3 août 2015, on lui tire dans la tête alors qu’il rentre chez lui en voiture. Trou noir, hôpital, et c’est le miracle. Il est toujours vivant, alors qu’une balle lui a transpercé la joue pour ressortir dans le cou : cordes vocales sectionnées, deux vertèbres et le nez cassés. «Les agents des services de renseignement burundais sont venus à l’hôpital pour m’achever. Mais les ambassadeurs belge, français et américain étaient là avec leurs agents de sécurité. Ils m’ont protégé.»

On décide alors de l’évacuer vers la Belgique pour le mettre en sécurité et le soigner. Pierre-Claver restera quatre mois avec un appareil lui bloquant la nuque et le dos, sans pouvoir se coucher, ni s’alimenter et boire naturellement. Un calvaire dont il sort tout doucement, rejoint par son épouse. Un de ses neuf enfants a été assassiné, son beau-fils également. Certains sont près de lui, d’autres en fuite en Ouganda et devraient bientôt rejoindre la Belgique.

«Malgré tout ce qui m’est arrivé, je me réjouis de mon travail. Car défendre les droits humains, c’est noble.» Une tâche qu’il continuera à accomplir au péril de sa vie. «Les Burundais ne méritent pas ce qu’ils vivent.» Mais les solutions pacifiques semblent s’éloigner au fil des jours.

Corinne MARLIÈRE