Mission de haute voltige pour Ban Ki-Moon auprès de l’homme fort de Bujumbura
Diplomatie

Le Pays, 22/02/2016

Visite de Ban Ki-moon à Nkurunziza : Trop d’honneurs pour un dictateur !  

Le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, en visite à Bujumbura, devait échanger aujourd’hui avec Pierre Nkurunziza.

Il devra mettre à profit son séjour pour convaincre le président burundais d’accepter « un dialogue inclusif, sans condition préalable » et une enquête internationale sur les allégations de violations massives des droits humains dans le pays.

Au Burundi comme partout ailleurs, tout ce qui peut permettre de ramener la paix, est à saluer. On peut donc souhaiter que Ban Ki-moon réussisse la manœuvre. C’est une mission de haute voltige, tant l’homme fort de Bujumbura s’est jusque-là illustré dans son inflexibilité face à tous ceux qui lui demandent de mettre de l’eau dans son vin.

Pour lui, c’est la force qui fait le droit. Il l’a fait savoir en opérant un passage en force, au mépris de la loi fondamentale de son pays et de l’Accord d’Arusha qui avait permis de pacifier le pays. L’objectif bien compris est de mettre tout le monde, la communauté internationale y comprise, devant le fait accompli.

Ce n’est pas anodin si les grands de ce monde sont obligés de se prosterner aux pieds d’un dictateur

Aujourd’hui encore, c’est Nkurunziza qui a tout le loisir d’imposer son calendrier et sa démarche à tous ceux qui veulent d’un retour de la paix dans son pays. Tout lui sourit jusqu’à présent. C’est à croire que tout le monde se sent obligé aujourd’hui de lui demander, presqu’à genoux, de reconsidérer un tant soit peu sa position. En tout cas, la communauté internationale supplie le dictateur burundais de faire un petit geste en faveur de ses contempteurs et autres opposants.

Ce n’est pas anodin si les grands de ce monde, y compris le premier responsable de l’Organisation des Nations unies, sont obligés de se prosterner aux pieds d’un dictateur pour mendier sa grâce. C’est trop d’honneurs pour un dictateur ! Nkurunziza est devenu une sorte de superstar qui fait courir la communauté internationale. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette situation est, au-delà du Burundi, déplorable pour la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme dans le monde.

Car, en caressant ainsi le dictateur de Bujumbura dans le sens du poil, la communauté internationale fait preuve de démission et étale toute son incapacité et son incurie. Le message sera reçu cent pour cent par tous les dictateurs et apprentis-dictateurs qui foisonnent sur le continent. Mais comment en est-on arrivé là? C’est en grande partie, à cause des atermoiements de la communauté internationale, peut-on dire en guise de réponse à cette interrogation.

Pour ne citer que son cas, l’Union africaine (UA), qui a entre autre mission, la défense de la démocratie, de la bonne gouvernance dans ses pays membres, s’est illustrée de façon piteuse dans la gestion du dossier burundais. On a pourtant fraîchement en mémoire le fait que face à l’entêtement de Nkurunziza à briguer un mandat de trop, la présidente de sa Commission, Dr Dlamini Zuma, avait fait une sortie courageuse en qualifiant le changement qui se profilait au Burundi, de « changement anticonstitutionnel » de gouvernement. Seulement, cette déclaration n’a pas été suivie d’effets alors même qu’il y a des sanctions prévues en pareille circonstance contre les auteurs du changement.

Des décisions fortes de la communauté internationale, notamment de l’UA, du genre de celles qui ont fait plier un putschiste comme Amadou Aya Sanogo au Mali, a fait défaut dans le cas de Pierre Nkurunziza. Même quand le Burundi a basculé dans les violences orchestrées contre les acteurs internes, notamment ceux qui contestaient la volonté de Nkurunziza de prolonger indûment son bail à la tête de l’Etat, les réactions internationales sont restées timides. De grandes puissances ont même trouvé utile de voler au secours du dictateur quand une tentative de putsch a fait vaciller son régime. Certes, il y a lieu de réprouver les coups d’Etat.

Mais, la règle ne doit pas souffrir de partialité dans son application. S’accrocher au pouvoir par la force est aussi mauvais pour une démocratie qu’opérer un putsch militaire pour s’emparer du pouvoir. Mais, cette rigueur n’a pas été observée à l’encontre de Nkurunziza alors putschiste au même titre que le général Niyombaré et ses hommes qui ont tenté de renverser son régime. A présent qu’il se sent fort, au point de menacer et de parvenir à faire reculer l’UA qui voulait déployer une mission militaire au Burundi, on voit mal Nkurunziza autoriser une enquête internationale réellement indépendante sur les exactions commises dans son pays.

Ce qui se passe au Burundi est un remake de l’attitude des grandes puissances en Syrie

Du reste, la communauté internationale ne fait pas vraiment peur à Nkurunziza qui a tiré expérience d’autres crises. En effet, le traitement de la situation au Burundi rappelle par exemple celui du cas syrien. Comme au Burundi, les grandes puissances ont multiplié les mises en garde stériles en Syrie. Elles ont même trouvé utile, à un certain moment, de tracer une ligne rouge à ne pas franchir par le régime de Bassar-el Assad. Mais comme on le sait, elles ont vite fait de rétropédaler, de se dégonfler dès que ladite ligne rouge a été franchie avec l’utilisation d’armes chimiques contre des populations.

Ce recul de l’Occident avec en tête les Etats-Unis d’Amérique, a eu pour conséquence de requinquer le régime et de compliquer la crise syrienne. Le régime qui a eu le temps de poursuivre ses basses besognes est aujourd’hui, bien plus qu’hier, avec le soutien de la Russie de Vladimir Poutine, devenu un gros caillou dans les chaussures de la communauté internationale. En effet, le régime a repris du souffle et du terrain. Et on sait que tant que la Russie sera à ses côtés, il sera indéboulonnable, c’est-à-dire que les violences se poursuivront avec leurs lots de déplacés et de morts.

Tout cela, bien entendu, ne serait certainement pas arrivé si les choses étaient allées vite, si les Occidentaux avaient eu le courage de passer aux actes dès le début et pendant que la situation était encore plus facile à maîtriser. Une telle attitude aurait en tout cas, offert plus de chances de mettre le régime syrien hors d’état de continuer à « massacrer » ses opposants.

Bis repetita donc. Ce qui se passe au Burundi est un remake de l’attitude des grandes puissances en Syrie. Une fois de plus, les pays qui se présentent en chantres de la démocratie, ont laissé le fantôme entrer dans la maison avant d’en refermer la porte. Ils ont laissé le mal s’installer, se développer avant de s’activer vraiment à trouver un remède alors que de son côté, Nkurunziza, lui, n’a perdu aucune seconde. Il a vite fait de s’imposer par tous les moyens, se disant que tant qu’il a la réalité du pouvoir entre les mains, la communauté internationale n’a pas d’autre choix que de négocier avec lui.

Ce faisant, elle lui apporte la légitimité qui lui faisait tant défaut. L’annonce de la levée de mandats d’arrêt contre certains opposants ainsi que de la réouverture de deux radios privées, participe de cette stratégie. Pierre Nkurunziza, après avoir imposé aux Burundais son nouveau bail au sommet de l’Etat par la violence, veut passer pour quelqu’un qui fait des concessions, des efforts pour éteindre le feu. Ce qui relève du mensonge et de l’hypocrisie quand on sait que c’est lui-même qui a allumé et entretenu le brasier qui consume son pays.

Jusque-là, Nkurunziza a donc exploité avec une certaine habileté, les failles de l’action de la communauté internationale pour ses intérêts égoïstes. Mais à force de se croire plus rusé, il va finir par vexer tout le monde, ce qui va acter davantage son isolement et certainement sa chute. Surtout, si de leur côté, ses opposants de tous bords, parviennent à maintenir la pression sur lui.