La position de l'Union africaine au Burundi marque un net recul
Analyses

Le Soir, 28 février 2016

Le Burundi n’a rien à craindre des médiateurs africains

 Le carnet de Colette Braeckman

En dépit des sanctions économiques qui frappent durement le pays, le président burundais Nkurunziza n’a pas encore à s’inquiéter des pressions de la communauté internationale et moins encore de l’Union africaine : succédant au secrétaire général de l’ONU, une délégation de quatre chefs africains mandatés par leurs pairs pour trouver une issue pacifique à la crise, ont passé deux jours au Burundi et leur position marque un net recul par rapport à des prises de position précédentes.

En effet, alors que l’Union africaine avait initialement proposé le déploiement d‘une force de 5000 hommes destinée à enrayer les violences, (ce que les autorités de Bujumbura avaient catégoriquement refusé…) le président sud africain Zuma et ses pairs (les présidents de Mauritanie, du Sénégal, du Gabon et le Premier ministre éthiopien) ont suggéré d’envoyer au Burundi 100 observateurs des droits de l’homme et une centaine d’experts militaires non armés. Le porte parole de l’un des partis d’opposition, l’UPRONA, a déjà regretté le fait que ces observateurs, en nombre insuffisant, n’auraient pas la possibilité de se déployer à l’intérieur du pays.

Quant à la relance d’un processus de dialogue politique, seule issue à la crise de légitimité qui ravage le Burundi depuis que le président Nkurunziza a entamé un troisième mandat, elle est bien timide : la délégation, certes, a appelé le médiateur ougandais Museveni à relancer un dialogue inclusif mais en précisant qu’il devrait s’agir d’ « acteurs importants ». Or le pouvoir refuse toujours d’entrer en discussion avec une plate forme qui rassemble la quasi totalité de l’opposition burundaise, le CNARED (Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et de l’état de droit au Burundi), arguant que cette coalition serait à l’origine des violences qui ravagent le pays depuis avril 2015.

Deux opposants dénoncent la médiation africaine et « un pouvoir fondé sur la rancune »

De passage à Bruxelles, deux membres importants du CNARED, un ancien chef d’Etat Sylvestre Ntibantunganya, porté au pouvoir en 1993 par son parti le Frodebu après l’assassinat du président Melchior Ndadaye, et Gervais Rufikyiri, ex-deuxième vice président de la République et ex-membre du « Comité des sages » du CNDD (Conseil national pour la défense de la démocratie, le parti du chef de l’Etat), nous ont exprimé leurs doutes au sujet de cette médiation africaine : « Elle pose problème : le président Museveni, en tant que chef d’Etat, ne peut pas passer beaucoup de temps sur le terrain…Il faudrait améliorer cette médiation… »

Les deux dirigeants du CNARED, politiciens chevronnés, regrettent évidemment que leur plate forme soit exclue d’un éventuel « dialogue inclusif » : «depuis 2006, Nkurunziza a toujours tenté de fragmenter les groupes politiques, de monter les uns contre les autres. Or notre groupe a le mérite de vouloir réunifier les différents fragments de l’opposition. Depuis mai 2015, divers partis travaillent sous un leadership organisé : il réunifie ceux qui ont été éparpillés, ce que le pouvoir ne peut pas voir d’un bon œil…

Gervais Rufiykiri , qui fut proche de Nkurunziza, tient à rappeler que « en réalité, le président n’est pas un homme de dialogue. En interne, le pouvoir est très centralisé… Nous sommes en face d’une dictature, celle d’un parti unique qui a écarté ses rivaux, qui est très personnalisé. Tenter de savoir qui décide, c’est entrer dans la « boîte noire ». Nous, au « Conseil des sages », nous étions une façade, la vraie prise de décision se situait au niveau des généraux, de ceux qui avaient commandé dans le maquis.

A l’issue de la lutte armée, au moment des accords de paix, c’est la composante politique du parti qui aurait du l’emporter. Mais en réalité Nkurunziza s’est retrouvé entouré d’un cercle d’officiers qui contrôlaient tout et faisaient partie d’un cabinet erronément appelé « civil ». Ces généraux forment un cercle restreint, tous ont été membres d’une ancienne partie belligérante, tous sont Hutus… »

Au moment de l’assassinat du président Ndadaye, M. Ntibantunganya a perdu son épouse, il a échappé à la mort de justesse. Mais il rappelle « qu’au Burundi, tout le monde a souffert. Un vrai leader doit manger ses douleurs, pardonner, produire du bonheur pour le pays…Or aujourd’hui le pouvoir manipule les émotions, rappelle sans cesse les souffrances du passé, y compris celles qui ne lui appartiennent pas, ce qui est extrêmement dangereux. Alors qu’ils auraient du mettre sur pied la Commission Vérité et réconciliation…Ils assurent que l’opposition veut remettre en selle un pouvoir tutsi..»

M. Rufikyiri confirme : « le président Nkurunziza est un homme très rancunier. Ce qu’il cherche, c’est se venger des évènements de 1972, ces massacres de Hutus au cours desquels son père avait été assassiné. Lors des réunions de prière, il revient chaque fois sur les malheurs qu’il a connus durant son enfance,…Encore et toujours, il veut se venger de l’UPRONA (principal parti regroupant les Tutsis) et écarter le Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi, parti hutu modéré)… Je peux vous l’assurer : « lorsqu’aujourd’hui des Tutsis meurent, au fond de son cœur, il est heureux… »

Les deux leaders du CNARED confirment que « le président et les siens n’ont jamais réellement cru aux accords d’Arusha, (qui prévoient le partage du pouvoir entre Hutus et Tutsis). Ils ont été forcés de faire semblant d’y adhérer, mais en réalité ils veulent remplacer ces accords qui avaient stabilisé le pays par ce que leurs stratèges appellent « la Charte nationale de la démocratie ». Leur stratégie, c’est de faire couronner cela par un referendum, afin d’invoquer la volonté du peuple… »

Les deux opposants répondent aussi à l’argument selon lequel les masses rurales n’auraient pas bougé : « la réalité c’est que les manifestations ont été réprimées, étouffées, à Gitega, Kirundo, Cyankuzo, Ruhigi. Les milices Imbonerakure font régner la peur, la violence…Au moment du coup d’Etat manqué, les gens qui avaient manifesté leur joie, leur soutien aux putschistes, ont été poursuivis… »

Alors que la communauté internationale évoque encore le « risque » d’un génocide, M. Rufyikiri pose la question : « les éléments constitutifs d’un génocide ne sont-ils pas en place ? Des propos incitant au crime sont tenus, une communauté ethnique est ciblée, la violence provient de l’appareil d’Etat… Combien de cadavres faudra-t-il pour que l’on ose parler de génocide ? Même si la population burundaise n’a pas le sang chaud des Africains de l’Ouest, la moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres…»

Comment amener le pouvoir à la table de négociations ? « Au bout du compte, il faudra négocier avec le CNARED, c’est inévitable… Mais faudra-t-il attendre des hécatombes ? La région, l’Afrique, la communauté internationale, ont mal joué en abandonnant l’idée d’une force africaine de 5000 hommes, qui aurait pu exercer un rôle préventif. Aujourd’hui ce qui reste, ce sont les sanctions, le risque d’asphyxie financière : d’ici mars le pouvoir pourrait s’avérer incapable de payer les salaires des fonctionnaires…Les banques peuvent bloquer les avoirs, geler les crédits. On pourrait aussi sanctionner les hommes d’affaires qui jouent encore de « sales jeux »… Il faudrait aussi travailler des pays comme la Tanzanie pour qu’ils s’impliquent davantage… »