Beate Klarsfeld revient sur son voyage en janvier au Burundi
Droits de l'Homme

Le Monde, 16.03.2016

Beate Klarsfeld : « Au Burundi, le risque de génocide n’est pas à exclure »

 Avec son mari Serge, Beate Klarsfeld, âgée de 77 ans, a consacré toute sa vie à traquer les criminels nazis et ceux qui ont organisé et planifié Auschwitz. En janvier, elle s’est rendue pendant une semaine au Burundi et a lancé « un appel angoissé au respect de la vie humaine ».

Pour quelles raisons êtes-vous allée au Burundi ?

Quand j’ai vu ce qui se passait là-bas depuis plusieurs mois, quand j’ai regardé ces photos qui montraient tant d’horreurs, de tueries, je me suis dit que, en tant que membre de l’Unesco pour l’enseignement de l’Holocauste et la prévention du génocide, je me devais d’aller sur place. J’ai estimé que c’était mon rôle et que je devais agir. Comme je savais qu’on ne me donnerait pas de visa diplomatique, j’ai demandé un visa touristique et je l’ai obtenu.

A Bujumbura, j’ai évidemment rencontré des officiels, mais aussi des responsables d’associations, des journalistes qui sont empêchés de travailler… Les membres du gouvernement étaient d’abord outrés que je sois entrée dans le pays avec un visa touristique, puis ils m’ont chanté le même refrain : « Le président est innocent et c’est l’opposition qui est responsable des massacres. » Nous sommes dans un déni complet, un dialogue de sourds.

Que retenez-vous de ce voyage ?

Dans la capitale, j’ai d’abord vu cette misère, ces enfants qui mendient. Mais j’ai également croisé des véhicules chargés de miliciens qui patrouillent en chemise bleue, les armes à la main. Certains étaient jeunes, très jeunes, même. D’autres sans uniforme. Ils le font probablement parce que le président les paie pour cela.

Un soir avec l’ambassadeur allemand, nous sommes allés dîner sur les hauteurs de la ville. Au cours du repas, le propriétaire est venu nous confier que l’enfant de sa sœur avait disparu, qu’il n’était pas rentré chez lui. Heureusement, il est revenu plus tard, mais beaucoup n’ont pas cette chance et ne réapparaissent jamais, surtout les jeunes.

Après ma venue, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Ban Ki-moon, s’est rendu au Burundi. L’ONU peut agir, beaucoup plus que les pays africains voisins qui ont leurs propres problèmes à gérer. De toute façon, quand l’Union africaine a dit qu’elle comptait intervenir, le pouvoir burundais a répondu qu’il ne la laisserait pas faire.

Avez-vous rencontré Pierre Nkurunziza, le président ?

Non, mais j’ai vu quelqu’un du ministère de l’éducation nationale, une jeune femme très ouverte, d’ailleurs, et un adjoint à la présidence. Ils disent tous la même chose : « Nous ne sommes pas responsables… » Certaines personnes qui étaient dans l’entourage présidentiel et qui l’ont critiqué, ont été mises à la porte puis menacées. Elles ont fui vers le Rwanda, la Belgique. Le président vit avec une petite équipe resserrée qui le suit aveuglément. Ils sont en vase clos et n’acceptent aucune contestation.

Un génocide est-il à craindre au Burundi ?

Nous sommes aujourd’hui dans une situation de tuerie aveugle qui peut devenir une catastrophe humanitaire. Les Tutsi sont en première ligne, mais on ne peut pas comparer la situation avec le Rwanda de 1994. L’origine du problème est ici liée à la décision du président de faire un troisième mandat.

Mais il est clair que si l’opposition parvient à s’armer, la situation peut dégénérer en guerre civile et le risque de génocide n’est alors pas à exclure. Ce qui est certain, c’est que le président ne bougera pas. Il ne fera aucune, aucune concession. Comment aider ce pays ? Comment s’approcher de cette jeunesse pour l’aider et la protéger ? Il y a très peu d’écoles sur place.

Envisagez-vous d’y retourner ?

J’aimerais bien, dans le cadre d’une autre mission. Si j’ai une possibilité, je n’hésiterai pas, d’autant plus que je l’ai promis. Mais si j’y retourne avec un visa de tourisme, ils ne me laisseront cette fois pas entrer.

Vous avez consacré votre vie à traquer les criminels nazis et menez maintenant d’autres combats. Où trouvez-vous vous la force de lutter, de dénoncer ?

Si vous regardez le danger, vous n’agissez jamais. On a des tâches à remplir dans sa vie et il faut les remplir. Je me devais de partir pour les enfants du Burundi qui n’ont aujourd’hui plus aucun avenir. Je trouve que cette situation est atroce.

Propos recueillis par Pierre Lepidi