Assassinat d’Ernest Manirumva : la société civile burundaise reste mobilisée
Droits de l'Homme

@rib News, 10/01/2010

Mot liminaire à la conférence de presse animée par les organisations de la société civile du Burundi en date du 9 janvier 2010

Mesdames, Messieurs les journalistes ;

Mesdames, Messieurs les représentants de la société civile ;

Mesdames, Messieurs les représentants des institutions de défense des droits de l’homme ;

Distingués invités ;

Avant de débuter cette conférence de presse, permettez-nous de marquer une minute de silence en mémoire du regretté Ernest MANIRUMVA, victime d’un assassinat dont les conditions n’ont toujours pas été éclaircies.

274 jours viennent de s’écouler après l’assassinat ignoble d’Ernest MANIRUMVA,

274 jours de douleur et d’interrogation pour la grande famille de la Société civile,

274 jours en quête de la justice et de la vérité pour Ernest MANIRUMVA.

Nous ne cesserons jamais de le rappeler, Ernest MANIRUMVA, Vice-président de l’OLUCOME, a été sauvagement assassiné dans la nuit du 8 au 9 avril 2009. Depuis, plus de 350 organisations de la société civile se sont mobilisées pour dénoncer cet acte barbare et demander qu’une enquête libre et indépendante soit rapidement ouverte afin de faire la lumière sur ce crime et que ses auteurs soient traduits en justice. Devant l’absence d’avancée significative, nous avons lancé le 9 juillet une campagne intitulée « Justice pour Ernest MANIRUMVA » pour bien marquer notre détermination à rester mobilisés aussi longtemps que l’enquête n’aura pas abouti.

274 jours après la disparition d’Ernest MANIRUMVA, les raisons de notre mobilisation restent inchangées.

La troisième commission d’enquête mise en place au début du mois d’octobre nous semble plus déterminée que les deux premières. Nous l’encourageons à forcer son allure, à explorer toutes les pistes et à ne céder à aucune sorte de pression, d’où qu’elle puisse venir. Nous lui garantissons notre entière disposition à la collaboration et lui demandons de respecter l’engagement pris de terminer son enquête et sortir son rapport dans les deux mois.

Il y a trois mois, nous avions souligné que notre mobilisation afin d’obtenir Justice pour Ernest va bien au-delà du seul cas de notre regretté compagnon. Nous portons toujours le deuil de chacune des victimes de la violence dans ce pays, victimes d’hier et victimes d’aujourd’hui dont les bourreaux n’ont jamais été identifiés et dont les familles pleurent toujours dans la nuit du silence et de l’impunité.

Nous avions exprimé à la même occasion notre inquiétude quant à l’avenir de la société civile et de la démocratie, fondant notre préoccupation sur un certain nombre de réunions de nos organisations qui venaient d’être interdites dans différentes localités du pays. La suite nous a malheureusement donné raison : plus les jours avancent vers les élections, plus se manifeste et se renforce une volonté politique de faire taire les organisations citoyennes.

Hier, Ernest MANIRUMVA est probablement mort parce qu’il connaissait des vérités qui dérangent, il se battait pour que la société burundaise se construise autour de valeurs d’intégrité et de justice sociale. Aujourd’hui, ses compagnons de lutte et les organisations au sein desquelles il militait font face à des menaces persistantes en se battant pour les mêmes valeurs. Sous des prétextes fort illégaux, nombre d’organisations de la société civile sont à tour de rôle pointées, convoquées, déstabilisées et stigmatisées tandis qu’une pluie d’intimidations tombent sur leurs responsables. Toute une stratégie de déstabilisation a été pensée : tantôt on personnalise les organisations, tantôt l’autorité de tutelle se substitue aux organes des organisations quand elle ne décide pas purement et simplement de refuser la liberté constitutionnelle d’association, décidant qui peut s’associer avec qui. Tantôt encore, on assimile la société civile à l’opposition politique quand on ne l’accuse pas de renfermer des traitres manipulés par des puissances étrangères.

Notre vocation, en tant qu’organisations de la société civile, est de promouvoir les conditions d’un dialogue apaisé entre nos concitoyens, et entre les citoyens et les dirigeants de ce pays. Nos organisations n’exercent rien d’autre que des droits reconnus à chacun des citoyens de ce pays : la liberté d’expression, la liberté d’association, le droit de réunion, le droit de demander des comptes à ceux qui se sont vus confier la responsabilité de gérer les affaires de tous. Elles n’ont rien à voir avec l’opposition politique qui, elle, est à la conquête du pouvoir tandis que nos organisations garderont le même oeil vigilant même quand cette opposition aura gagné ce pouvoir. Et si nous recourons à des financements étrangers, c’est d’une part parce que le budget national ne prévoie pas de fonds pour des organisations citoyennes, mais d’autre part parce que même notre gouvernement y recourt sans qu’il devienne pour autant un traitre à la nation.

C’est aussi une évolution grave quand compte tenu du contexte crucial dans lequel nous nous trouvons. Alors que nous approchons d’une période électorale durant laquelle un débat public libre, ouvert doit se dérouler, cette volonté de réduire au silence les organisations de la société civile ne laisse rien présager de bon. Ceux qui seraient tentés de faire taire les voix discordantes doivent en mesurer les conséquences. Un débat tronqué ne peut que nuire à la sincérité des élections et à la légitimité des élus.

Les organisations de la société civile s’apprêtent à jouer un rôle important dans le processus électoral qui s’annonce. De façon classique, elles vont observer toutes les étapes du processus. Mais au-delà du simple monitoring, elles vont contribuer, aux côtés des media à animer le débat électoral. Sur chacun des secteurs de la vie sociale dans laquelle elles sont engagées, les organisations de la société civile peuvent exprimer les besoins de la population, formuler des propositions, interroger les acteurs politiques qui postulent à l’exercice du pouvoir sur leurs projets de société, sur leurs propositions. Le rôle de la société civile est donc irremplaçable et indispensable dans la vie démocratique du Burundi. Mais il ne peut mieux s’exercer que dans un climat de sérénité. Aujourd’hui nous en avons besoin lus que jamais.

A trois mois du premier anniversaire de l’assassinat d’Ernest MANIRUMVA, le meilleur souvenir que nous pouvons lui dédier est de poursuivre son combat pour un Etat de droit, pour une bonne gouvernance et pour la démocratie. Mais aussi poursuivre notre inlassable mobilisation jusqu’au jour où la vérité sur son assassinat éclatera.

Je vous remercie