Parution : Un nouvel ouvrage sur la "lâcheté" des magistrats burundais
Société

@rib News, 13/04/2016

« The Cause of Impunity in Burundi : Magistrates‘ Cowardice »

de Hilaire Urinkuru

 Corruption à outrance, manipulation, manque d’indépendance, justice instrumentalisée par l’Exécutif, « Ubutungane bucira inkonda », magistrats lâches, procureurs incompétents… vous aurez tout entendu sur le fonctionnement et le sérieux de la Justice burundaise. Avec comme conséquence, beaucoup de crimes qui restent impunis. Mais pourquoi ? A cause de « la lâcheté des magistrats ». C’est du moins ce que vient de révéler Hilaire Urinkuru (photo), journaliste, juriste et criminologue américain d’origine burundaise, dans son ouvrage « The Cause of Impunity in Burundi : Magistrates‘ Cowardice » [En Français : « La cause de l’impunité au Burundi : La lâcheté des magistrats »]

Pour lui, il existerait des milliers voire des millions de crimes impunis au Burundi. Ce qui expliquerait en tout ou en partie la crise actuelle. Une crise qui n’aurait pas pu bien entendu avoir lieu si les magistrats de la Cour constitutionnelle n’avaient pas été «  lâches ». Interview.

Vous êtes aujourd’hui spécialiste en Criminologie à Seattle aux Etats-Unis. Afin de mieux vous connaître, pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs et retracer votre parcours professionnel et académique jusqu’à Seattle ?

Merci. Je m’appelle Hilaire Urinkuru. J’ai accompli mes études primaires en RDC, ex-Zaïre et mes études secondaires en Lettres Modernes au Burundi. En 2002, j’ai suspendu mes études à la Faculté de Droit de l’Université du Burundi et je me suis refugié au Mozambique.  En 2003, j’ai obtenu, avec distinction, mon diplôme en « Journalism and Newswriting » à l’école de journalisme de Londres (London School of Journalism).  En 2005, j’ai continué mes études en Droit et en 2009, j’ai obtenu ma licence à la Faculté de Droit de l’Université Eduardo Mondlane, toujours au Mozambique.  En 2013, aux Etats-Unis, j’ai obtenu mon Master en « Criminal Justice » qui serait l’équivalent de Criminologie, option police judiciaire.

En peu de mots, mon parcours professionnel commence avec le service militaire obligatoire (SMO) après mes études secondaires en 1998. Je fais partie de la seule promotion du SMO qui a passé une année et six mois sur terrain car, à cette époque, il y avait aussi une guerre en République Démocratique du Congo. Puis, j’ai enseigné le Français dans un Lycée privé à Kamenge au moment où je fréquentais encore l’Université du Burundi. Après mes études en journalisme, j’ai travaillé comme journaliste, correspondant en Afrique australe pour le site www.kirimba.org sous la direction de M. Athanase Karayenga.

En 2004, j’ai travaillé comme collaborateur du Journal électronique Diário de Notícias à Maputo avant de reprendre mes études en Droit en 2005.

Comme juriste, j’ai travaillé en faveur des réfugiés, des immigrants illégaux et des citoyens mozambicains les plus démunis. Je les représentais dans des tribunaux et des services administratifs.

Actuellement, je suis consultant en matière de sécurité et investigation après avoir passé quelques temps à assister un avocat à la section criminelle du tribunal de la jeunesse à Seattle.

Pourquoi avez-vous décidé d'écrire sur ce thème de l’impunité et de la lâcheté des magistrats au Burundi ?

Trois raisons m’ont poussé à écrire sur ce thème. D’abord parce que  je suis, comme la majorité de la population burundaise, à la fois épris de la justice et victime du système judiciaire burundais. 

Deuxièmement, parce que la justice est un idéal fondamental dans la vie d’une société et sans lequel la même société serait en chaos.

Enfin, j’ai décidé d’écrire sur ce thème car plusieurs autres auteurs sur ce même sujet l’auraient abordé sur le plan institutionnel au lieu de l’aborder sur le plan fonctionnel ou individuel. Ce qui, à mon avis, ne leur avait pas permis d’émettre une conclusion raisonnable.

La cause de l’impunité au Burundi. Donc vous évoquez d'une seule cause dans votre livre ?

Exactement ! Une et une seule cause : « La lâcheté des magistrats. » Raisonnez un peu avec moi.

Une seule cause pourquoi ?

Primo, comme je l’ai mentionné dans ma réponse antérieure, plusieurs autres auteurs comme la Ligue des Droits de la Personne dans la Région des Grands Lacs, Mme Bella Nceke et M. Aimé Parfait Niyonkuru, ont écrit sur le même sujet.  Dans leurs écrits, vous lirez des expressions telles que « un mal à causes multiples » (Aimé. P. Niyonkuru), « … ce phénomène n’a pas une seule cause.. » (Ligue)  et « origines et causes de l’impunité » (Bella). Toutes ces expressions nous donnent une idée d’existence de plusieurs causes de l’impunité. Jusque-là, ça va. Cependant, le grand problème apparait au moment de l’énumération de ces causes. Les deux premiers auteurs emploient le terme « facteurs » avant d’énumérer ces prétendues causes. Ceci prouve qu’ils auraient confondu ou utilisé les termes « causes » et « facteurs » comme synonymes. Ce qui n’est pas vrai.

Secundo, la « cause » est une raison, une origine de quelque chose ou ce qui produit quelque chose voire un résultat alors que « facteur » est défini comme agent, élément qui concourt à un résultat. Donc, les facteurs seuls ne peuvent en aucun cas produire un résultat déterminé. Pourtant la cause le peut indépendamment des facteurs qui peuvent concourir à ce processus de production de résultat. Ainsi, tous les facteurs énumérés par les auteurs susmentionnés, entre autres, le manque de l’indépendance de la magistrature, la corruption, nomination des magistrats par le pouvoir exécutif, etc. ne peuvent pas causer l’impunité. Ils peuvent oui, contribuer à sa « production », son existence. Cependant, le courage (opposé de lâcheté) des magistrats contrecarrerait l’existence de l’impunité.

Mais cette lâcheté des magistrats date quand même de longtemps quand on se rappelle de ce que disaient la rébellion à l’époque: « ubwo bucamanza bucira inkonda ». Finalement, « buracacira inkonda » plus de 10 ans après ? N’ont-ils rien changé ou plutôt les choses s’empirent davantage?

Sans doute. Cette lâcheté existe depuis l’indépendance du Burundi. Néanmoins, les magistrats sous l’empire de la gouvernance basée sur les principes issues des accords d’Arusha depuis 2005 auraient pu être les mieux placés pour rompre avec cette lâcheté. C’est au cours de cette période que le système judicaire burundais était dit équilibré parce qu’il était au paravent vu comme un système judicaire composé par un grand pourcentage des membres de l’ethnie tutsi comme l’armée.

C’est aussi au cours de cette période que nous avons vu émerger une élite jeune qui n’avait pas de relations ou contacts directs avec le passé sombre. Comme vous le dites, les choses se sont empirées malheureusement alors que toutes les victimes de l’injustice, Hutu, Tutsi et Twa confondus avaient un grand espoir en eux.

Et vous insinuez dans votre livre que la crise actuelle est en grande partie imputable aux magistrats lâches qui ont laissé de nombreux crimes impunis…

Eh bien, répondre négativement à cette question serait pour moi irraisonnable. Croyez-vous que la crise actuelle aurait une ampleur qu’elle a aujourd’hui si les magistrats de la Cour Constitutionnelle auraient été courageux et dire non au 3ème mandat de Nkurunziza ? S’il y a des morts, des réfugiés, des enlèvements, des viols, de suspension d’aides étrangères aujourd’hui c’est tout simplement parce que ces magistrats n’ont pas eu le courage de dire non au 3ème mandat. Personnellement, j’ose croire qu’ils regrettent vraiment de leur décision s’ils ont vraiment une conscience.

Votre ouvrage présente également plusieurs cas de procès lâches. Pouvez-vous nous en citer quels uns ?

Samedi le 9 Avril 2016, nous commémorions la 7ème année de l’assassinat d’Ernest Manirumva. Ces 7 années correspondent à 7 ans de plaidoirie pour sa justice et 7 ans d’impunité en faveur de ses assassins. Son procès et le tout premier sur la liste.  Les autres procès que je présente dans mon livre et dans lesquels cette lâcheté des magistrats est beaucoup plus exhibée sont ceux de Mbonimpa Pierre Claver ; des trois sœurs italiennes ; de Bob Rugurika ; du policier Jackon Ndikuriyo ; de la mort de Japhet, Boniface, Ndabiyaremye, Niyonkuru et Fabien Mpubusa ; de la mort de Ndabiriho Salvator ; de la fouille et perquisition au domicile de l’ancien vice-président Sinamenye Mathias ; du procès d’Innocent alias Gasongo ; du procès des membres du parti MSD ; du Juge Alexis Arakaza ; de l’arrestation illégale de Thérence Mpawenayo et ses 4 amis; des sorties médiatiques d’Agnès Bangiricenge, porte-parole de la Cour Suprême et finalement de la question du 3eme mandat présidentiel.

Je n’ai pas eu assez de temps sinon la liste aurait été trop longue. Il y a des millions des cas d’impunité au Burundi mais, nous ne connaissons que les quelques peu qui parviennent à arriver dans des cours et tribunaux ou qui sont médiatisés. 

Vous avez dit vous-même que cette situation ne date pas d’aujourd’hui. Quelles solutions miracles proposez-vous pour une magistrature conscience et indépendante au Burundi?

Une très bonne question.  Vous évoquez deux termes cruciaux dans votre question et c’est à partir de ces termes que mon raisonnement s’est différencié de celui des autres auteurs qui ont écrit sur l’impunité au Burundi. Vous parlez de conscience et de l’indépendance. Lorsque nous parlons de conscience, nous ne nous adressons pas à une institution comme le parquet ou la cour car les deux n’ont pas de conscience. Nous nous adressons plutôt aux personnes physiques, procureurs et juges qui travaillent dans des parquets et cours respectivement. Ce sont eux qui peuvent avoir une conscience. Le même raisonnement s’applique au terme « indépendance.»

Vous me demandez ce qui peut rendre le magistrat burundais indépendant ? Mais, le magistrat burundais est déjà indépendant depuis sa naissance ! Il est né libre, il pense librement. Et, lorsqu’il accède aux fonctions de la magistrature cette indépendance naturelle est renforcée par la constitution et la loi. Pour les juges, c’est le cas du paragraphe 2 de l’article 209 de la Constitution du Burundi qui établit que « Dans l’exercice de ses fonctions, le juge n’est soumis qu’à la Constitution et à la loi.

Pour les magistrats du ministère public, c’est le cas de l’article 29 de la loi n° 1/001 du 29 février 2000 portant réforme du statut des magistrats. Il dispose que « Dans l’exercice de ses fonctions, le magistrat assis est indépendant des pouvoirs législatifs et exécutif et n’est soumis qu’à la loi. Il apprécie souverainement les causes dont il est saisi et décide de la suite à leur donner indépendamment de toute influence. Aucune juridiction supérieure ou chambre principale ne peut donner d’ordre ni d’injonction aux juridictions inférieures de trancher dans un sens déterminé les litiges soumis à leur compétence. » Comme le magistrat burundais est déjà indépendant, il ne lui suffira  que d’être conscient de son indépendance naturelle ou acquise par la constitution et par la loi et de l’exercer.

Bref, il faut qu’il arrête de s’assujettir à une autre autorité que la constitution et la loi.  C’est tout.

Parlons concret ! Par exemple, si vous êtes nommé ministre de la Justice, quels projets de loi allez-vous présenter pour enrayer cette question d’impunité ?

Je ne suis pas vraiment l’adepte de trop de lois ou une inflation législative. Ce serait un danger pour un Etat de droit.  A part cela, je plaide souvent pour plus de législations émanant du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif. C’est le cas du Burundi. Il suffirait d’accèder au site de l’Assemblée Nationale burundaise pour savoir combien des lois émanent du pouvoir exécutif.  Presque plus de 80%.

Si je reviens à votre question, je dirais que des lois existent déjà. Le grand problème se trouve dans l’application de ces mêmes lois pour résoudre le problème de l’impunité au Burundi.

Je vous donne un exemple très récent. Il y a quelques jours, le Procureur général de la République, Valentin Bagorikunda,  aurait dit que les 60 familles des victimes de la crise actuelle devraient déposer une plainte au ministère public avant de saisir la Cour Pénale Internationale. Vraiment! La loi en la matière exige son action ou plutôt l’action immédiate du ministère public lorsqu’il y a homicide. Est-ce que le procureur de la République ne sait pas qu’il a une obligation légale d’enquêter sur les homicides sans que la partie civile dépose une plainte? D'autres procureurs du Burundi font la même chose. Ils décident sans fondement de ne pas poursuivre les criminels.

Croyez-vous qu'il n’y a pas des lois réprimant  leur inaction ou négligence? Des lois, existent déjà mais elles ne sont pas exécutées. Un accent particulier doit être mis sur l’exécution des lois pas sur la création des nouvelles lois.

Propos recueillis par Jérôme Bigirimana