Que reste-il de liberté de pensée au Burundi ?
Droits de l'Homme

Voice of America, 13 avril 2016

 C'est la question posée par des professeurs d’université et des chercheurs qui dénoncent la décapitation de la liberté de pensée au Burundi, dans une lettre ouverte dont VOA Afrique a reçu la copie.

Dans cette lettre ouverte, une soixantaine d'intellectuels évoquent depuis plusieurs années ’"une chape de plomb" qui s’est abattue sur le pays.

Ces intellectuels condamnent "une pensée unique qui s’installe, refusant le débat et la contradiction, et qui manifeste ce refus avec la plus grande violence". L’environnement actuel ne permet pas l’émergence d’"un Burundi pacifié et démocratique", ajoutent-ils. "Comment l’université pourrait-elle encore assurer sa triple mission d’enseignement, de recherche et de service à la communauté", s’interrogent-ils.

Les signataires décrivent la situation à l’université du Burundi, "la peur a réduit à néant l’espace de débat et d’analyse" alors que cette institution "pourrait être un rempart face à la résurgence de la violence et des manipulations idéologiques". Mais sur la soixantaine de signataires, seuls trois Burundais figurent sur la liste. Et pourtant, le Burundi regorge d’un panorama de chercheurs et enseignants à l’université reconnus pour leur "libre pensée".

"Ceux qui marquent ouvertement leur désaccord, tant avec le système qu’avec l’opposition, et leurs méthodes, sont intimidés et parfois disparaissent", font-ils remarquer. Même en étant à l’abri à l’étranger restent inquiétés pour les proches. "Certains collègues qui ont fui le pays craignent que la moindre déclaration critique ne mette en danger leurs proches restés au pays".

Marie Soleil Frère responsable du département de journalisme à l'Université Libre de Bruxelles est l'une des signataires.

Dénonçant l’usage de la violence et l’impunité, ces universitaires refusent que "les manipulations paralysent la liberté de pensée" et créent l’"autocensure". Ils ajoutent que "la propagande et la rhétorique belliqueuse entretenus par certaines des parties ne peuvent occuper tout l’espace discursif".

Les signataires interpellent la Communauté Est Africaine, l’Union Africaine et les Nations Unies. "Il est temps de se mobiliser pour défendre la liberté de pensée", conclut-ils.

Le Burundi a replongé dans la crise en avril 2015 avec la volonté du président Pierre Nkurunziza pour briguer un troisième mandat en violation de la Constitution et de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi qui avait permis à ce pays de sortir de la guerre civile déclenchée le 21 octobre 1993 après l’assassinat du premier président de l’ethnie hutu démocratiquement élu, Melchior Ndadaye.

Depuis le 13 mai 2015, la presse indépendante a été décapitée à la suite d’un coup d’état avorté. Des dizaines de journalistes, des activistes de la société civile, d’opposants et des centaines de milliers d’autres Burundais ont fui le pays. Des chiffres officiels font état de 400 personnes tuées dans un an, sans oublier des arrestations massives et ou isolées.


AFP, 13/04/2016

Des intellectuels dénoncent la "chape de plomb" qui s'est abattue sur le Burundi

Une soixantaine d'intellectuels du monde entier ont dénoncé mercredi la "chape de plomb" qui s'est abattue sur le Burundi, donné en exemple hier mais aujourd'hui en crise, dans une lettre ouverte publiée mercredi par le dernier journal indépendant burundais.

"A l'Université du Burundi, qui pourrait être un rempart face à la résurgence de la violence et des manipulations idéologiques (...), la peur a réduit à néant l'espace de débat et d'analyse", dénonce cette tribune. Intitulée "Que reste-t-il de la liberté de pensée au Burundi ?", elle est signée dans le journal Iwacu par 61 "chercheurs et enseignants" en lien avec le Burundi et en provenance de prestigieuses Universités africaines, américaines ou européennes.

Les collègues burundais "qui marquent ouvertement leur désaccord" avec l'une ou l'autre partie "sont intimidés et parfois disparaissent", alors que ceux qui "ont fui le pays craignent que la moindre déclaration critique ne mette en danger leurs proches restés au Burundi", s'insurgent-ils, constatant qu'"une chape de plomb s'est abattue sur le pays".

Pour ces intellectuels, le Burundi "présenté depuis plus de 10 ans comme un modèle de consolidation de la paix, et de la liberté d'opinion et d'expression", est devenu "en l'espace de quelques mois (...) un pays où les gens se taisent de peur de devenir la cible de violences à cause de ce qu'ils sont ou de ce qu'ils pensent".

Le Burundi est plongé depuis près d'un an dans une crise politique profonde, née de la volonté du président Pierre Nkurunziza de se maintenir au pouvoir pour un troisième mandat, qu'il a obtenu en juillet.

Les violences, désormais armées, ont déjà fait plus de 400 morts et poussé plus de 250.000 personnes à quitter le pays, alors que l'ONU et les organisations des droits de l'Homme ont dénoncé de nombreux cas d'arrestations arbitraires, de torture, de disparitions forcées, d'exécutions extrajudiciaires, ainsi que l'existence de fosses communes.

Ces intellectuels "condamnent" donc "une pensée unique qui s'installe, refusant le débat et la contradiction, et qui manifeste ce refus avec la plus grande violence". "Le Burundi a plus que jamais besoin de citoyens critiques et de décideurs capables de s'appuyer sur une analyse nuancée de la situation", estiment-ils au contraire.

Les principales radios indépendantes ont été détruites alors qu'une centaine de journalistes, la dynamique société civile de ce pays et la quasi-totalité des leaders d'opposition ont fui en exil.

Ces intellectuels "exhortent" le gouvernement burundais à garantir "un espace de débat et de réflexion" et appellent la communauté internationale à "se mobiliser pour défendre (...) la liberté de pensée et d'expression" au Burundi.

Lire l'intégralité de la Lettre ouverte sur Iwacu