Crise burundaise : Plus de questions que de réponses
Opinion

@rib News, 25/04/2016

 Une année déjà que la crise au Burundi perdure. Plus de problèmes que de solutions, plus de questions que de réponses, plus de tractations diplomatiques sans résultats, plus de sanctions sans effet immédiat, plus de paroles et moins d’actions. Mais au contraire, plus de morts, de tortures, des disparitions, des milliers de centaines de réfugiés et une économie en rouge. ARIB.INFO revient sur cette crise qui laisse perplexe même les plus avisés, avec notre invité Gervais Marcel Cishahayo, expert international en relations internationales. INTERVIEW

Depuis une année, le Burundi est plongé dans une crise politique liée au 3è mandat illégal de Pierre Nkurunziza. Une crise que Nkurunziza tente toujours de transformer en crise ethnique. Selon vous, peut-on dire qu’il a réussi à le faire? 

 

Depuis une année le Burundi est effectivement plongé dans une crise dont la gravité semble échapper aussi bien à ses acteurs directs et indirects qu’aux observateurs, y compris les plus intéressés.

Tout d’abord, vue de près, la crise n’a pas commencé il y’a une année. Loin d’être accidentelle, elle est plutôt une suite logique d’une gestion catastrophique d’un contentieux politique à connotation ethnique dont les racines vont, beaucoup plus loin que l’indépendance, dans l’histoire précoloniale du pays.

Dans une grande mesure, on peut affirmer que sous réserve d’honneurs dus à un nombre de héros et de nombreuses victimes, le leadership burundais dans son ensemble, toutes formations politiques confondues n’a pas été à la hauteur de la mission de gérer et liquider ce contentieux de manière durable.

Ce contentieux a été résolu, partiellement avec l’Accord d’Arusha de paix et de réconciliation et d’autres accords complémentaires dans la mesure où ceux-ci ont permis le retour à la paix et la mise sur pied d’institutions au sein desquelles toutes les composantes sociales devaient se retrouver et se sentir rassurés, protégés.

A leur accession au pouvoir suite aux premières élections post-conflit en 2005, Nkurunziza et son parti CNDD-FDD avaient la responsabilité de gérer le pays y compris ce contentieux comportant une dimension ethnique. Après plus de dix ans de conduite des affaires du pays, les démarches de transformer la crise politique en une crise ethnique est en même temps un déni de sa défaillance et de sa responsabilité personnelle et celles de son parti, une fuite en avant absurde et suicidaire pour se maintenir au pouvoir.

Quant à évaluer s’il a réussi à le faire, au-delà du bilan humain et économique qui frise la catastrophe, il suffit de revisiter l’atmosphère qui règne au sein des institutions clé, et en particulier les corps de défense et de sécurité (la police, l’armée et les services de renseignement) qui, de par leur composition et leur fonctionnement, ont pour mission de prévenir un retour à la confrontation à caractère ethnique. L’atmosphère est maintenant caractérisée par la méfiance qui a progressivement cédé la place à de vives tensions, des désertions, des disparitions et des assassinats aux allures de règlements de compte politiques et ethniques qui ont déjà fait plusieurs victimes au sein des corps de défense et de sécurité.

Cependant, loin d’être une transformation d’une crise politique en crise ethnique il s’agit plutôt d’une exploitation machiavélique de la dimension ethnique d’un contentieux qui n’a jamais été liquidé. Après avoir d’abord et pendant longtemps frappé avec impunité les membres du parti FNL majoritairement hutu d’Agathon Rwasa, le pouvoir n’a pas hésité de recourir à la rhétorique ethnique d’un complot tutsi pour expliquer et justifier une crise dont lui en tant que chef de l’Etat et son parti au pouvoir avaient la responsabilité, de prévenir au mieux et, au pire, de gérer pro-activement.

Au demeurant, si sa réussite réside dans le fait qu’il est parvenu à confiner la communauté internationale dans un mutisme et un immobilisme diplomatique complice des atrocités qui sont commises tous les jours jusqu’ici en toute impunité, ce qui profite au régime et à ses opportunistes alliés, elle est compromise et soumise à l’épreuve du temps.

Malgré les pressions internationales, Bujumbura n’a pas manifesté aucun signe vers un compromis quelconque visant à ramener la paix. Un petit pays d’Afrique et le plus pauvre du monde ne tremble pas devant même ceux qui le nourrissent à plus de 51%. S’agit-il là d’une force, d’une folie ou d’un suicide tout simplement? 

En effet, Bujumbura n’a jamais été inquiété par les déclarations et les pressions éventuelles de certains partenaires. Si le pouvoir est resté imperméable aux appels même parmi ceux qui le nourrissent à négocier une voix de sortie à la crise, c’est qu’il est confiant de ses soutiens diplomatiques et financiers sans lesquels il serait déjà tombé à la lumière des pertes en vies humaines et économiques. A défaut d’autres stratégies à court et à long terme autre que la violence, le pouvoir est acculé le dos contre le mur. Il est devenu paranoïaque et effectivement retranché dans une logique de la force et de la violence. Tant au sens propre qu’au figuré, il tire sur tout ce qui bouge, ou lui conseille de faire les choses autrement.

Le fait de refuser tout compromis et de narguer et diaboliser des principaux partenaires du Burundi tels que les USA, l’UE, la Belgique etc. qui invitent le pouvoir à la retenue, à la sagesse de la négociation ne constitue aucunement une force. Loin d’être une folie qui pourrait être une circonstance atténuante de la responsabilité criminelle, cette démarche est plutôt suicidaire. Elle ne manquera pas, en temps utile, d’embarrasser même ses plus proches alliés opportunistes auxquels il transfert inévitablement la responsabilité morale des crimes et des atrocités commis avec leur support implicite et/ou explicite.

Il faut souligner que le pays saigne et brule dans un conflit interne que le pouvoir n’a pas encore réussi à exporter au-delà des frontières malgré les centaines de réfugiés éparpillés dans les pays limitrophes et les provocations ouvertes contre le Rwanda voisin dans le but évident d’entrainer ce pays dans un conflit ethnique généralisé qui risque, une fois encore d’embraser toute la région des Grands Lacs.

Beaucoup de Burundais attendent leur secours de la communauté internationale. C'est qui en réalité quand on parle de la communauté internationale ? Si par exemple les familles des victimes s’en prennent à cette communauté,  pour complicité de crime ou de non-assistance à personne en danger, qui peut-être visé en réalité ?

Malheureusement, des peuples et des pays entiers ont appris à leurs dépens que la communauté internationale est une nébuleuse insaisissable, un fantôme anonyme qui le plus souvent n’assiste que le plus fort. Aujourd’hui les Burundais sont en train de l’apprendre à leurs dépens.

Jusqu’ici, en plus des appels d’illustres personnalités à travers le monde, le Conseil de Sécurité des Nations Unies, l’Union Africaine, la Communauté Est Africaine, l’Union Européenne, l’Organisation Internationale de la Francophonie, et bien d’autres organisations internationales n’ont pris aucune mesure susceptible de convaincre et de dissuader le pouvoir de Bujumbura d’entreprendre des négociations pour mettre fin à une crise qui n’a que trop duré.

Sans être une exclusivité burundaise, la mentalité d’assisté caractérisée par la passiveté et l’attentisme de solutions conçues ailleurs et supervisées par de bienfaiteurs donateurs a été sciemment cultivée dans l’esprit de bon nombre de Burundais. En effet beaucoup de Burundais qui ignorent les méandres de la diplomatie internationale croient encore et attendent toujours un secours de la communauté internationale pour mettre fin à leur calvaire.

Si des familles de victimes s’en prennent à cette communauté, pour complicité ou non-assistance à personne en danger, en réalité ce serait comme viser tout le monde et personne à la fois. Ce serait se tromper d’ennemis. En effet, certains des pays qui soutiennent le pouvoir de Bujumbura sont des puissances qui sont intouchables dans la mesure où ils jouissent d’un pouvoir de veto au sein de l’instance ultime de prise de décisions qu’est le Conseil de sécurité des Nations Unies. Cependant ces pays ne sont pas invulnérables en vertu de l’interdépendance et la complexité de la nature même des relations internationales.

L’histoire nous apprend que le plus grand principe des relations internationales est le principe d’auto-assistance. Dans l’immédiat, à court et à long termes, il revient donc aux familles éprouvées d’aller au-delà de l’émotion et d’adopter des stratégies et des tactiques appropriées pour que leurs démarches actuelles et futures de recherche de la vérité et de la justice aboutissent.

Certaines sources parlent de plus en plus de la France complice avec Bujumbura. Qu'en dites-vous ?

Je ne suis pas compétent ni en mesure, car je n’ai pas d’éléments de preuve, pour étayer ces allégations du rôle de la France qui s’il ne peut pas être justifié a peut-être des explications.

Pour des raisons liées à l’histoire et à la proximité géographique et culturelle, la France, comme d’ailleurs d’autres anciennes puissances coloniales, entretient des relations étroites avec certains pays d’Afrique et d’ailleurs dans le monde. A certaines époques de l’histoire, si dans certains cas la France a été au premier plan de la lutte pour les droits fondamentaux et les libertés humaines, dans d’autres elle été du mauvais côté de l’histoire.

Pays francophone, le Burundi est parmi ces pays qui entretiennent des relations étroites avec la France. Il convient même de souligner que la France a toujours entretenu des relations avec tous les régimes en place à Bujumbura, y compris ceux qui à certains moments pouvaient être les plus répréhensibles.

La coopération du Burundi et de la France dans les domaines de la défense et de la sécurité n’est un secret pour personne. Or ces forces de défense et de sécurité sont actuellement accusées de semer la terreur qui règne au Burundi avec des assassinats, enlèvements, disparitions, tortures dénoncées chaque jour.

Effectivement, j’ai appris dans les médias que, de même qu’un nombre d’autres pays africains qui sont loin d’être un modèle de bonne gouvernance démocratique et de respect des libertés fondamentales, la France, la Chine et la Russie, sont citées et dénoncées pour être complices avec Bujumbura dans la pérennisation et les démarches d’ethnisation de la crise actuelle au Burundi pour entraîner un conflit généralisé dans la région des Grands Lacs.

Si cela est vérifié, ce n’est pas la première et probablement pas la dernière fois que la France est citée, d’être de loin ou de près derrière certains régimes accusés de graves atrocités et de crimes contre l’humanité et de génocide. Dans ce cas, la colère qui gronde contre la France dans le camp de ceux et celles qui sont confrontés à la violence et aux atrocités commis par le régime serait justifiée. Même si elle est exprimée discrètement, la frustration est répandue chez tous ceux et celles que les Accords d’Arusha et l’avènement au pouvoir du CNDD-FDD et de Nkurunziza avaient suscité des espoirs qui ont été déçus.

Qu’elle soit justifiée ou pas, la France devrait prendre note de cette perception que le soutien diplomatique (notamment au sein du Conseil de sécurité de l’ONU) et financier qu’elle accorderait directement ou indirectement au régime de Bujumbura a sérieusement érodé le capital d’affinité que les Burundais avaient jusqu’ici envers la France.

Même si comme n’importe quel autre pays elle a le droit et même le devoir envers ses propres citoyens de défendre et promouvoir ses propres intérêts à travers le monde, le fait que la France fasse cause commune avec la Chine et la Russie pour réprimer les aspirations des Burundais à la démocratie et l’état de droit, et au passage semer le chaos dans la région des grands lacs , défie toute logique. Mais la géopolitique a des raisons stratégiques (économiques) que la logique ignore et c’est aux leaders burundais, au-delà de leurs intérêts individuels, d’assumer leurs responsabilités devant l’histoire de défendre et promouvoir les intérêts du Burundi au lieu de ceux des autres pays.

Propos recueillis par Jérôme Bigirimana