Le Burundi, en crise depuis un an, s'enfonce dans la violence
Analyses

@rib News, 25/04/2016 – Source AFP

 Le Burundi est confronté à une recrudescence des violences, avec l'assassinat lundi encore d'un général en plein Bujumbura, un an après l'annonce de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat qui a plongé son pays dans une très grave crise politique.

Devant la multiplication des meurtres et des cas de tortures, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a annoncé lundi l'ouverture d'un examen préliminaire, étape préalable à une enquête sur les violences commises au Burundi depuis avril 2015. Celles-ci ont fait plus de 500 morts, sans compter de nombreux disparus arrêtés par les forces de sécurité et dont les proches sont depuis sans nouvelles.

C'est dans ce contexte particulièrement sombre que la médiation emmenée par l'ancien président tanzanien Benjamin Mkapa a indiqué vouloir relancer début mai un dialogue de paix actuellement au point mort.

Bujumbura s'est de nouveau réveillée lundi au son d'une attaque à la grenade et au lance-roquette: cette fois-ci, c'est un général tutsi, Athanase Kararuza, conseiller du 1er vice-président burundais en matière de sécurité, qui a été tué.

Dimanche, un colonel de la police, tutsi également, était grièvement blessé dans une attaque similaire tandis que le ministre burundais en charge des Droits de l'homme Martin Nivyabandi et son épouse réchappaient par miracle d'une attaque à la grenade à la sortie de la messe.

Ces attentats, qui ont également visé depuis un an des personnalités politiques, des leaders de l'opposition ou des figures de la société civile, ne sont jamais revendiqués, les deux camps s'en rejetant systématiquement la responsabilité.

Sont-ils le fait d'un des mouvements rebelles embryonnaires qui a vu le jour après une tentative de coup d'Etat manquée en mai 2015 contre le président Nkurunziza?

Sont-ils ourdis par un noyau de hauts responsables, les durs du régime qui ont pris l'ascendant au sein du pouvoir depuis le départ en exil de nombreuses personnalités modérées?

- 'Diviser l'armée' -

Quelles qu'en soient leurs auteurs, ces attaquent constituent autant de coups de boutoir contre l'Accord de paix d'Arusha, qui a mis fin à la guerre civile de 1993 à 2006 (300.000 morts) entre plusieurs rébellions hutu d'un côté et l'armée majoritairement tutsi de l'autre.

C'est la constitution issue de cet accord crucial qui structure depuis 10 ans la vie politique burundaise, l'organisation de ses forces de sécurité et plus largement, vise à abolir les sources de tension entre la majorité hutu (85% de la population) et les Tutsi (14%) pour éviter que le pays ne renoue avec les massacres interethniques qui jalonnent son histoire.

Selon des sources concordantes, la crise actuelle divise profondément la police et l'armée et menace la cohésion en leur sein.

"Ceux qui ont tué mon collègue le général Kararuza et (perpétré) d'autres attaques similaires sont dans la logique de diviser l'armée et la police", a dénoncé lundi dans un tweet Willy Nyamitwe, le responsable de la communication présidentielle.

Malgré ses efforts, souvent en ordre dispersé, la communauté internationale n'est pas parvenue pour le moment à débloquer la crise.

Au début de l'année, le président Nkurunziza a réussi à éviter le déploiement d'une force d'interposition de l'Union africaine dans son pays, un temps sérieusement envisagé par l'organisation continentale.

De même, les principaux bailleurs de fonds bilatéraux ainsi que l'Union européenne ont suspendu leur aide directe au Burundi, dont le budget est fortement dépendant de ces aides.

La situation économique s'est clairement dégradée: le Burundi est désormais le pays le plus pauvre du monde selon le FMI avec un PIB de 315,2 dollars par habitant. Mais le gouvernement fait le dos rond, rognant sur son budget, dans un pays où une large partie de la population, rurale, a démontré par le passé sa capacité de résilience.

Reste à savoir si la menace d'une enquête par la CPI saura faire fléchir les extrémistes des deux camps.

D'ici là, du 2 au 6 mai, le médiateur tanzanien aura tenté de relancer un dialogue entre le pouvoir et son opposition en exil. La crise a contraint plus de 270.000 Burundais à fuir, y compris de nombreux hommes politiques, journalistes et activistes de la société civile.

Jusqu'à présent, le gouvernement burundais a refusé de s'asseoir avec son opposition en exil, de discuter du 3e mandat ou d'aller négocier dans la "ville-symbole" d'Arusha.

REPERES

Le Burundi est plongé depuis un an dans une grave crise émaillée de violences, née de la volonté du président Pierre Nkurunziza de se maintenir au pouvoir pour un 3e mandat, qu'il a obtenu en juillet dernier.

Ce mandat est jugé par les contestataires contraire à la Constitution et à l'accord d'Arusha ayant permis de mettre fin à la guerre civile (1993-2006).

Les violences ont fait plus de 500 morts et plus de 270.000 réfugiés depuis le début de la crise (sources onusiennes).

- DÉBUT DES MANIFESTATIONS -

- 26 avr 2015: Des milliers de manifestants se réunissent, bravant

l'interdiction du gouvernement, au lendemain de la désignation de M. Nkurunziza par son parti, le CNDD-FDD, comme candidat à la présidentielle, donnant le coup d'envoi de six semaines de manifestations, quasi-quotidiennes à Bujumbura et sévèrement réprimées.

- TENTATIVE DE PUTSCH AVORTÉE -

- 13 mai: L'ancien chef du service de renseignements et ex-chef d'état-major de l'armée, le général Godefroid Niyombare, annonce la destitution de M. Nkurunziza, en déplacement en Tanzanie.

Le 15 mai, la tentative de putsch échoue, certains des meneurs se rendent, d'autres fuient. Pierre Nkurunziza, de retour à Bujumbura, établit un lien entre les putschistes et les "soulèvements en cours".

Le 18 mai, il limoge son ministre de la Défense, jugé trop conciliant avec les manifestants, et celui des Relations extérieures.

- DÉFECTIONS EN SERIE -

- 28 juin : Le président de l'Assemblée nationale sortante Pie Ntavyohanyuma, 2e personnage de l'État, annonce sa défection depuis Bruxelles. Son départ s'ajoute à la longue liste d'opposants, journalistes, membres de la société civile mais aussi cadres frondeurs du CNDD-FDD qui ont choisi l'exil.

- RÉÉLECTION DE NKURUNZIZA -

- 21 juil: Pierre Nkurunziza est réélu sans surprise, à l'issue d'un scrutin boycotté par l'opposition.

- ATTAQUES CIBLÉES -

- 2 août: Le général Adolphe Nshimirimana, homme fort de l'appareil sécuritaire, est tué à Bujumbura. Le journaliste et correspondant de l'AFP et de Radio France Internationale (RFI), Esdras Ndikumana, est arrêté par des membres du Service national de renseignement et roué de coups.

Le 3 août, le militant des droits de l'Homme Pierre-Claver Mbonimpa est blessé par balle dans une tentative d'assassinat. Et le 15 août, un ex-chef d'état-major, le colonel Jean Bikomagu, figure du camp tutsi pendant la guerre civile, est assassiné par des inconnus.

Le 11 décembre, au moins 87 personnes sont tuées dans des attaques coordonnées de trois camps militaires, selon l'armée. Des habitants de Bujumbura décrivent des exécutions sommaires par la police et des éléments de l'armée en représailles.

- MISES EN GARDE CONTRE DES RISQUES DE "GENOCIDE" -

- 17 déc: Le spectre du génocide et de la guerre civile plane sur le Burundi, estiment séparément l'Union africaine (UA) et l'ONU.

Le lendemain, l'ancien président Pierre Buyoya met en garde contre "un risque de génocide" et dénonce la volonté des dirigeants actuels d'ethniciser la crise.

- UNE POLICE DE L'ONU -

- 2 avr 2016: Le Conseil de sécurité adopte une résolution qui confie au secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon le soin de dresser une liste des options envisageables pour une présence policière onusienne, en collaboration avec le gouvernement burundais et l'UA.

A la mi-avril, Ban Ki-moon propose trois options d'envoi d'une force de police, allant de 3.000 officiers à quelques dizaines d'agents.

Fin janvier, l'UA avait renoncé à envoyer dans l'immédiat une force de maintien de la paix, face à la réticence de plusieurs chefs d'Etat africains et à l'opposition de Bujumbura.

- 18 avr: Au moins 345 cas de torture et mauvais traitements ont été enregistrés cette année par l'ONU, qui déplore le recours "généralisé" à ces pratiques par les forces de sécurité gouvernementales agissant en "totale impunité".

- JUSTICE INTERNATIONALE -

- 25 avr 2016 : Evoquant des meurtres, emprisonnements, actes de torture et viols, la procureure de la Cour pénale internationale Fatou Bensouda annonce l'ouverture d'un examen préliminaire, étape préalable à l'ouverture d'une éventuelle enquête, sur les violences commises au Burundi.