Cri d’alarme auprès du Parlement européen sur la situation au Burundi
Société

@rib News, 09/05/2016

BURUNDI : Cela n’est pas un génocide ! Mais, c’est quoi alors ?

 Au Burundi, malgré les faits et les témoignages plus éloquents sur une nouvelle forme de génocide et plusieurs signaux d’alerte lancés par les familles des victimes et les organisations  de défense des droits humains, l’action internationale sur le gouvernement burundais ne semble pas infléchir ce dernier.

Et c’est sous l’initiative du député européen Fabio Massimo Castaldo, qu’une conférence sur le Burundi était animée par un panel de témoins et d’experts (photo) mercredi dernier au parlement européen, pour (re)discuter de la situation au Burundi et surtout voir ensemble les actions à mettre en place pour arrêter ces crimes de droit international au Burundi.

Depuis le début des manifestations contre le 3è mandat de Pierre Nkurunziza, l’organisation burundaise de défense des droits humains et des prisonniers, APRODH, a dénombré 742 morts avec preuves (photos) à l'appui et plus de 400 personnes disparues. A cela s’ajoute plus de 250 000 réfugiés dans les pays voisins, sans  compter d’autres milliers de personnes vivant en cachette dans leur propre pays. Tortures, viols de femmes et emprisonnements arbitraires sont aussi rapportées quotidiennement.  

Une situation donc catastrophique qui appelle à l’action immédiate avant que ce ne soit trop tard et qu’on assiste à un autre génocide dans la même région en 20 ans seulement, comme si l’histoire ne donne plus de leçon.

Face à ces crimes contre l’humanité qui se commettent dans l’impunité totale sans que la communauté internationale ne puisse intervenir, « le monde est-il aveugle ou ne veut-il pas voir ?», s’interroge Me Bernard Maingain, avocat des familles des victimes.

Et pendant que les pays membres du Conseil de sécurité des Nations-Unies restent dans leurs vielles oppositions internes et que l’Union Africaine échoue également à se mettre d’accord sur l’envoi de la MAPROBU, Nkurunziza lui, continue son plan d’élimination de tout obstacle à ce maudit mandat en semant l’horreur et la terreur dans le pays sans se soucier de à sa propre population, y compris les enfants.

« Imaginez qu’il a tout fermé : l’hôpital, l’école, tous nos comptes bancaires. Comment fermer un hôpital ? Le seul hôpital  qui disposait d’une néonatologie. Ils sont venus tout fermer et à laisser mourir ces enfants. Il tue sa propre population. Ce n’est pas un chef d’Etat. Vous avez vu un chef d’Etat qui prend en otage sa propre population et qui torture et tue ? Et on continue de l’appeler le président de la République et tout le monde va le voir pour le convaincre. C’est un criminel, je le dis, il faut plutôt sauver cette population. Ce sont des crimes contre l’humanité. Quand il a vu que les hutus lui refusaient cela, il a commencé à leur dire, le problème que j’ai, c’est les Tutsi et maintenant il sélectionne. Je ne sais pas comment appeler cela. Il prend 20 jeunes Tutsi par jour et les autres, il les amène dans les prisons. Il est en train de commettre l’irréparable », a alerté Maggy Barankitse, aussi connue sous le sobriquet de « maman Burundi » en raison de son implication humanitaire de prendre en charge plus de 30 000 enfants victimes de diverses barbaries au Burundi depuis 1994.

Pierre-Claver Mbonimpa, une autre incontestable grande figure burundaise de la protection des droits humains, accuse aussi Nkurunziza de vouloir transformer un problème auparavant politique en crise ethnique.

« Ce problème ethnique est un moyen que Nkurunziza a trouvé pour prolonger son mandat. Heureusement la grande majorité des Hutus ne l’ont pas suivi. Parmi les 87 cadres qui lui ont dit non au 3è mandat anticonstitutionnel, il y a seulement 3 Tutsi. Les autres sont des Hutus comme Nkurunziza. »

Et Mbonimpa de se demander, comme autant d’autres acteurs et observateurs de la crise burundaise, combien faut-il de morts pour reconnaître qu’il y a génocide au Burundi.

« On va compter jusqu’à combien pour dire qu’il y a génocide au Burundi ? Ce qu’on voit aujourd’hui c’est quoi alors ? Quand on tue dix, vingt, cinquante, cent, mille… des civils, des policiers, des militaires peu importe leur ethnie, comment qualifier cela ? », s’indigne ce défenseur de droits humains, qui a lui-même frôlé la mort, et qui vient de recevoir un prix de la démocratie et des droits humains, de la part du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

« On compte des morts chaque jour au Burundi et l'action de la justice, qu'elle soit ordinaire ou transitionnelle, est encore loin d'être satisfaisante. Dans pareilles conditions, l'espoir d'impunité entraîne le mépris de la loi », constate Me Methode Ndikumasabo, avocat au Barreau de Bruxelles.  

Que faire ?

Face à ces crimes commis par le régime de Nkurunziza, diverses actions ont été déjà entreprises mais restent non dissuasives et sans effet ou presque, ou peut-être à long terme. Il s’agit, rappelons-le, des sanctions américaines et européennes visant certains hauts responsables militaires et politiques ainsi qu’une action en justice introduite auprès de la Cour Pénale Internationale. L’Union Européenne a également suspendu son aide financière au gouvernement.

Mais, tout cela reste très insuffisant ! Il faut aller plus loin dans la pression et les sanctions sur Bujumbura pour arrêter les atrocités sur sa population et le contraindre à accepter le retour à la légalité constitutionnelle et la restauration d’un Etat de droit.

« Au vu de ce que je viens de voir dans ces images et de ce que j’avais déjà discuté avec Gérard Bambazimana [ndlr : un Burundo-Italien à l’origine de la tenue de cette conférence], j’ai l’impression que la crise au Burundi n’est pas suffisamment suivie par les médias et les politiques européens », a indiqué le député Castaldo.  

De son côté, avec d’autres Avocats, Maître Maingain continue son travail de constituer des « database » et de preuves de crimes contre l’humanité, preuves qui seront un jour très utiles quand justice sera rendue aux nombreuses familles des victimes.  

Maingain a également souligné la nécessite de soutenir le collectif des avocats burundais en exil qui essaient, malgré leur situation d’exil, de poursuivre leur travail mais qui se trouvent évidemment confrontés au problème de moyens financiers.

Toujours au niveau de la justice, « il faudra, dans l’immédiat, dépasser les spéculations politiciennes,  reconnaître les crimes en cours et prendre des mesures efficaces pour  les arrêter tant qu'il est encore temps. », recommande encore Me Ndikumasabo.

Justement, dépasser ces veilles divergences géostratégiques entre les grandes puissances au conseil de sécurité pourraient sauver des millions de vie  au Burundi. Il est temps que la Russie et la Chine cessent de contrecarrer les propositions américaines ou françaises. Même si la position de la France reste en tout cas ambigüe selon certains observateurs dont Frederic Triest du Réseau européen pour l’Afrique Centrale (EurAC), un consortium de 40 ONGs européennes qui travaillent sur la région des Grands Lacs.

Triest qui a également reconnu  un échec de prévention de la crise actuelle malgré plusieurs signaux d’alerte. Mais, la communauté internationale peut éviter une seconde crise au niveau de la région. Selon toujours Triest, « l’Union Européenne pourrait envoyer par exemple, sous l’Egide des Nations Unies, une force de police suffisamment équipée pour protéger la population. Mais les difficultés se trouvent au niveau des nations unies. Il y a des Etats comme la Chine et la Russie qui ont des positions claires. Et d’autres comme la France qui a une position ambigüe et voilà des questions qui restent malheureusement sans réponses pour nous », a confié Triest.  

Mais comme une maman qui voit ses enfants se faire tuer chaque jour, Maggy Barankitse a exprimé son ras-le-bol de cette inaction du Conseil de sécurité et a appellé encore une fois à agir le plus rapidement possible.

« Je vous demande de nous lever et de lui dire « Basta », « Gezaho », « Enough is enough ». Parce que nous ne pouvons pas continuer comme aujourd’hui, ce serait trop tard. Je dis à l’Europe, il ne faudrait pas verser les larmes après, nous envoyer des ONG en disant voilà on vient réparer : résolution pacifique des conflits, ouvrir les centres pour la détraumatisation des victimes, etc. Je vous demande comme une maman de secourir avant qu’il ne soit trop tard.

« Et comme une chrétienne, je vais terminer par une note d’optimisme. Je suis toujours convaincue que l’amour finit par vaincre sur la haine. Et tous les tyrans du monde  finissent par tomber. Merci de comprendre nos larmes. Je vous demande une chose : levons-nous, protégeons notre humanité. Même s’il n y a pas de pétrole ou de diamant. Mais il y a plus que cela. Puisqu’il y a vos sœurs, vos frères et il y a l’avenir de notre humanité », a lancé Maggy qui a récemment reçu  le prix Aurora pour son engagement humanitaire en faveur des enfants du Burundi.

Cri d’alarme entendu, au moins par le député européen Castaldo qui a encouragé ainsi les participants à la conférence , de lui envoyer des documents et toute preuve pertinente, « car je vais prendre aussi un engagement aujourd’hui avec vous : Je veux qu’il y ait une nouvelle résolution du parlement sur le Burundi et je ferai tout mon mieux pour créer un soutien fort de tous les groupes parlementaires de ce parlement pour remettre le Burundi au centre du débat politique et pour mettre la pression forte et constante sur les services de la commission extérieure et sur la commission européenne pour qu’il y ait finalement une réponse adéquate », a promis Castaldo.

Par Jérôme Bigirimana