Burundi : épidémie de disparitions forcées
Droits de l'Homme

TV5, 04.06.2016

 Au Burundi, les cas de disparition forcée se multiplient. Plusieurs ONG s'inquiètent de la fréquence de ces enlèvements. Les autorités, quand elles daignent s'expliquer, évoquent "des raisons d’enquête" et autres "règlements de compte". Sans nouvelles de leurs proches, les familles des disparus vivent un calvaire sans nom. Elles mènent leur enquête, sont menacées et souvent rançonnées. Sur la page du Forum pour la Conscience et le Développement, une ONG burundaise,  de nouveaux noms apparaissent chaque semaine.

En date du 2 juin, on peut lire : " Les autorités burundaises doivent donner la lumière sur la disparition forcée de Messieurs Clovis NTUKAMAZINA et Emmanuel KAMANA, deux jeunes membres du parti MSD (parti politique opposé au troisième mandat du Président Nkurunziza ndlr.) Introuvables depuis leur arrestation par la police nationale le 21 octobre 2015. (...) Les autorités burundaises restent muettes sur les cas déjà soulevés. Toutefois, dans un communiqué de presse sorti le 30 Mai 2016, le Général BUNYONI semble insinuer que les différentes disparitions seraient des " règlements des comptes "

Le mode opératoire de l'enlèvement est à peu près toujours le même. Des policiers lourdement armés font irruption au domicile de la personne. Subissant des violences, et n'ayant même pas le droit de prendre quelques effets personnels, la voici embarquée manu militari pour une destination inconnue. On ne la revoit pas.

Dans le cas évoqué, cette arrestation, le lendemain, a fait l'objet d'un article sur le site web d'une radio locale : "Trois jeunes ont été arrêtés par la police dans la nuit de mercredi dans le quartier Kibenga de la zone Kinindo en commune de Muha. La nouvelle est confirmée par le porte-parole de la police Pierre NKurikiye. Il explique que c’est pour des raisons d’enquête en rapport avec la perturbation de la sécurité dans cette partie du sud de la capitale Bujumbura".

Mais ces confirmations sont extrêmement rares. Et gare aux familles qui iraient aux nouvelles ! Le site indique : "Les deux familles assurent avoir cherché en vain les leurs dans les cachots officiels (Sic) de Bujumbura et qu’elles ont dû abandonner la recherche après avoir reçu des menaces de mort à leur tour ".  Le calvaire n'est pas fini. A l'angoisse des familles vient s'ajouter le sordide : "Les deux familles ont été soumises à la pression de différentes personnes qui se présentaient comme des agents du SNR et qui promettaient de montrer où se trouvaient les détenus moyennant le payement de sommes importantes d’argent. Mais fort curieusement, après les payements de rançons, les mêmes personnes élevaient le niveau de menaces sur les familles au cas où elles continueraient à poser des questions sur la détention des leurs"

Les disparitions forcées ?

Cette pratique des disparitions forcées, souvent utilisée par les militaires, est apparue en Amérique latine dans les années 1960. Elle obéit à une terrible logique :  sans victime, ni coupable, ni crime ni délit.

Louis Joinet, à l'origine de la Convention internationale contre les disparitions forcées (2010), précise : "Au sein de l'ONU,  il existe toujours un groupe de travail sur les disparitions forcées, dont on mesure aujourd’hui l’utilité. Le comité conventionnel créé en 2011 a pour mandat de vérifier que la Convention est bien respectée par les États signataires. Le Groupe de travail, lui, reste compétent à l’égard des États qui n’ont pas encore ratifié la Convention. Et ils sont nombreux."

Le Burundi a bien signé cette convention le 6 février 2007. Mais, subtilité diplomatique, signer ne veut pas dire accepter. Le pays n'a jamais ratifié la convention internationale. 

Militaires et agents de police disparaissent aussi

Le Burundi traverse une crise politique depuis que le président Pierre Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat en avril dernier. Une décision qui a déclenché un tollé dans la population. Beaucoup la considèrent comme contraire à la Constitution. Dans le dernier rapport de SOS Burundi, la Fédération Internationale de l'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture,) on apprend que les simples civils, militants ou non, ne sont pas les seuls visés par les disparitions forcées. Les militaires et les agents de police sont aussi victimes de cette pratique. L'ONG donne une idée de l'ampleur du phénomène. Au cours de la semaine passée, "Au moins dix personnes ont été arrêtés dans la commune Mugamba de la province Bururi". Les zones les plus touchées par ces violences seraient Musaga, Mutakura, Cibitoke, Jabe et le centre, vers la mairie de Bujumbura.

Selon la FIDH, un an après le début des violences, le bilan de la répression serait "d’au moins 700 personnes tuées, 4300 détenues, 800 personnes disparues, des centaines torturées, plusieurs dizaines de femmes victimes de violences sexuelles, et des milliers d’arrestations. 250 000 personnes ont déjà fui le pays".

Tout cela dans la tiédeur de la "communauté internationale". Ainsi,  selon un communiqué publié mercredi 27 avril à Genève,  Zeid Ra’ad Al Hussein, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme,  a "vivement condamné" la hausse des attaques contre des hauts responsables au Burundi. Pas de quoi inquiéter les auteurs de ces violences extrêmes.