Au Burundi, le grondement du Lac Tanganyika se fait menaçant
Economie

Agence Anadolu, 13.06.2016

La montée des eaux bloquent le secteur touristique et les activités de pêche et menacent les riverains d'expropriation

A quelque six mille kilomètres d'une Seine en crue, le lac Tanganyka fait également grise mine, en affichant un niveau d'eau jamais atteint depuis un demi-siècle, de quoi alimenter les craintes dans un pays, déjà, au bord du gouffre.

"En 1964, on se déplaçait en pirogue dans ce quartier de Kabondo [de la capitale], notamment pour accéder au siège de la radio qui était complètement inondée, mais où il me fallait tout de même me rendre", se rappelle Samuel, un technicien du son à la retraite, dans une déclaration à Anadolu.

"Je me souviens qu’en 1964, tout le littoral du Lac a été inondé. Toute la partie du quartier Kibenga (sud de la capitale) était impraticable, l’hôtel du Lac a été également abandonné", raconte Thomas, un octogénaire rencontré par Anadolu. A cette époque, il était domestique "chez un Blanc" qui habitait le quartier asiatique de Bujumbura. Ce vieil homme ajoute que des populations avaient été, à l'époque, déplacées, leurs habitations ayant été ravagées par l'eau.

La capitale Bujumbura, se prépare-t-elle à vivre le même sort d'il y a plus d'un demi-siècle ? Un scénario "fort probable", selon Albert Mbonerane, ancien ministre de l’environnement, aujourd'hui militant pour la protection de l’environnement."Si rien n’est fait pour protéger les zones autour du Lac, le pire risque de se produire", avertit-il, dans une déclaration à Anadolu.

Un sombre pronostic que laisse présager l'ambiance fantôme régnant, déjà, sur des habitations riveraines du Tanganiyka. Les murs de certaines maisons s'affaissent, menaçant de s'écrouler, quand ils ne sont pas déjà entièrement endommagés, déplore Kabura Issa, un propriétaire rencontré par Anadolu. D'autres ont préféré quitter les lieux en prévision de l'expansion de ces eaux que rien ne semble arrêter.

Côtoyant plusieurs provinces du pays, le Lac Tanganyika, l'un des plus grands au monde avec 32 999 km², se dresse comme une frontière naturelle entre la République Démocratique du Congo (RDC) à l'ouest, le Burundi au nord-est, et la Tanzanie au sud-est.

C'est néanmoins au Burundi que le problème lié à la montée des eaux se pose avec le plus d'acuité; la zone urbaine, particulièrement la capitale Bujumbura, donnant directement sur le Lac alors que ce sont surtout des montagnes qui jouxtent les bords de l'autre côté.

L'un des Grands Lacs d'Afrique, le Tanganyika est aussi le deuxième lac du continent par la surface (après le Victoria) et le plus long lac d'eau douce du monde (677 km), sa profondeur moyenne est de 770 m.

Autant d'atouts qui en ont fait, de tout temps, un des principaux attraits touristiques de ce pays. Mais le secteur chancelant déjà, par l'effet d'une crise politico-sécuritaire depuis plus d'un an, se trouve là encore, confronté à une nouvelle difficulté.

"Nous, propriétaires de pirogues, même au temps fort de la crise on a pu travailler. Aujourd'hui, on chôme pratiquement, on n'a plus de clients !", s'exaspère Mélance, un conducteur approché par Anadolu.

"Les gens n'osent plus s'aventurer dans le Lac parce qu'ils craignent pour leur sécurité", témoigne son collègue Clovis, lui aussi conducteur de pirogue. Ce trentenaire affirme, qu'avant la montée du niveau d'eau, en mai dernier, il pouvait rentrer quotidiennement avec l'équivalent de 30 USD en poche.

Sur les plages au bord du lac, les propriétaires ont également enregistré des dégâts, destructions de podiums aménagés pour des concerts au bord du lac, des guérites, et autres installations à des fins touristiques.

" En plus de cela, le nombre des visiteurs a diminué de plus de 50%", affirme un gestionnaire de l'hôtel Karera Beach, approché par Anadolu.

"Les eaux ont envahi les terres. Les vagues sont devenues trop hautes et fortes. D'ailleurs, elles ont emporté les sacs de sable servant de rempart contre l'avancée de l'eau", confie Isaac, un employé de "Karera Beach", rencontré par Anadolu.

Réputé être le lac "le plus poissonneux du monde", le Tanganyka est aujourd'hui craint par les pêcheurs. "Nous n'y passons plus autant de temps qu'avant. La plupart craignent pour leur sécurité, et préfèrent attendre, même si cela se traduit par une chute dans leurs revenus", a témoigné Gabriel, un pêcheur de Rumonge, dans le sud du Burundi.

Bernard Sindayigaya, spécialiste en aménagement du territoire et en environnement à l'Université du Burundi, affirme à Anadolu que le Lac Tanganyika est dans une période de "forte crue". Les grandes précipitations enregistrées récemment, tant au Burundi que dans les pays riverains, expliquent en partie ce phénomène. Par la rivière Rusizi, séparant le Burundi et la RDC, le Kivu se jette dans le lac Tanganyika augmentant ainsi la montée des eaux.

"Ses eaux ont même dépassé la côte d’alerte, fixé à 775 mètres" a fait savoir l'universitaire burundais. "Le 2 novembre 2005, le niveau de l’eau atteignait 772,62 m. Le 12 mai 2016, le niveau est à 775,16 m soit une montée de 2,54 m par rapport à la dernière fois. Il n'en faudra que peu pour que l'on se retrouve dans la situation de 1964, avec 777 mètres"

De son côté, Albert Mbonerane, l'ancien ministre, aujourd'hui militant dans la protection de l’environnement se dit très inquiet. «Si une fois les eaux du Lac reviennent au niveau de 1963-64, qui payera les dégâts y afférents ?», lance-t-il, appelant le gouvernement à penser déjà aux stratégies de secours ou d’évacuation des habitants des zones à risque d’inondations.

D'après lui, une étude de simulation récemment réalisée par l’Institut Géographique du Burundi (IGEBU) montre que plus de 5000 maisons seront détruites si le schéma des années 60 se reproduit.

Du côté du gouvernement, on rassure qu'une plateforme nationale de gestion des catastrophes est déjà mise en place, selon Théophile Ndarufatiye, assistant du ministre de l’Environnement, de l’aménagement du territoire, du tourisme et de l’urbanisme, joint par Anadolu. En attendant, plus de 700 ménages riverains de la Rusizi se trouvent sans abris à la suite du débordement des eaux de cet affluent du Lac Tanganyika.