L’isolement du régime burundais est plus relatif qu’on le croit
Cooperation

Jeune Afrique, 17 octobre 2016

Vous avez dit « communauté internationale » ?

Le Burundi de Pierre Nkurunziza, personnage dont l’autisme n’a d’égal que la résilience, a émis, le 12 octobre, la ferme intention de claquer la porte de la Cour pénale internationale (CPI).

Une première, aussitôt qualifiée par les médias de pas supplémentaire vers l’isolement de ce régime au sein de la communauté internationale. Cette expression – « communauté internationale » – est à ce point devenue un tic de langage de journalistes pressés et de sommets multilatéraux que nul ne s’aperçoit à quel point elle est déconnectée de la réalité.

Cela fait dix-huit mois en effet que le président burundais défie chaque jour un peu plus ce concept fourre-tout et dix-huit mois qu’il résiste à toutes les pressions pour la bonne raison que l’universalisme prôné par cette communauté des valeurs (occidentales) n’a rien… d’universel.

Pendant qu’Européens et Américains multiplient remontrances, sanctions et boycotts, les ambassades de Chine, d’Afrique du Sud et de Russie à Bujumbura continuent leur business as usual. Leurs titulaires s’activent, fréquentent cocktails et inaugurations, délivrent bourses et visas, facilitent la signature de contrats commerciaux et n’éprouvent aucune gêne à s’afficher aux côtés d’un président tricard.

De Kinshasa à N’Djamena, de Harare à Addis-Abeba, de Brazzaville à Libreville, en tous lieux où les chefs d’État sont tenus à bout de gaffe par la « communauté internationale », ces nouveaux acteurs se conduisent en partenaires et alliés des pouvoirs en place. Mieux: ils sengouffrent dans la brèche laissée béante par les néomissionnaires du parti du « Bien » et ne perdent aucune occasion de démontrer leur utilité et leur fiabilité, ainsi que leur détestation de toute ingérence étrangère.

Les troubles qui ébranlent l’Éthiopie, future « usine de la Chine » en Afrique, laissent Pékin de marbre. Les poches d’insécurité dans la région du Pool, au Congo-Brazzaville, n’empêchent pas les travailleurs chinois d’y poursuivre leurs chantiers, tout comme en RD Congo, sous protection armée.

Un peu partout, les entreprises de BTP turques – autres arrivants récents sur la scène panafricaine – prennent la place des majors occidentales (en particulier françaises), quel que soit le contexte. Là où l’insécurité physique et financière et les avertissements alarmistes des « conseils aux voyageurs » délivrés par les chancelleries européennes, américaine ou canadienne font fuir les investisseurs, cette autre « communauté internationale » prend le risque de rester, persuadée qu’à terme ce pari sera rentable.

Cette solidarité avec des régimes brocardés par les médias, les ONG et la plupart des responsables politiques du Nord explique en partie la ténacité au pouvoir d’un Mugabe, d’un Nkurunziza, d’un Kabila et de quelques autres, dont l’isolement est plus relatif qu’on le croit. Elle permet à leurs partisans de répéter un discours élémentaire: si les Occidentaux veulent quils quittent le pouvoir, c’est parce qu’ils ne les contrôlent pas ou plus et que les parts du gâteau leur échappent au profit de leurs concurrents.

La « communauté internationale » n’existe guère en dehors des 170000 fonctionnaires onusiens qui en vivent

Refrain simpliste, certes, qui fait l’économie de la répression des dissidences et des violations de l’ordre démocratique dont usent et abusent nombre de ces régimes, mais qui n’est pas pour autant dénué de vérité.

Il faut être bien naïf pour croire qu’en RD Congo par exemple, pays ultra-stratégique et singulier, le seul qui préoccupe réellement les États-Unis en Afrique centrale, l’intérêt d’une « communauté internationale » sous influence américaine repose sur les valeurs humanitaires et désintéressées de la charte de San Francisco. Les Congolais, qui ont de la mémoire, le savent très bien.

Qu’on s’en désole ou qu’on s’en réjouisse, il faut donc s’y faire. Sur cette planète fractionnée, la « communauté internationale », martelée à coups de trompe et de roulements de tambour par les élites blanches mondialisées, n’existe guère en dehors des 170000 fonctionnaires onusiens qui en vivent – plutôt bien dailleurs.

Ou alors, il faut admettre que les valeurs et les antivaleurs de cette « communauté » sont autant définies par les Américains et les Européens que par la Chine, gérée de façon exceptionnellement rationnelle depuis plus de trente ans, ou par la Russie, qui n’aura de cesse de prendre sa revanche sur l’humiliante désintégration de l’URSS en attendant le jour où elle aura le sentiment d’avoir retrouvé son rang, son influence et le respect qui lui est dû – quitte à vitrifier Alep au passage.

La vision qu’un Xi Jinping ou un Vladimir Poutine ont du monde est, à leurs yeux, aussi légitime que celle d’un Barack Obama, d’une Hillary Clinton ou d’un François Hollande. Pour le milliard et demi de Chinois, l’année 2017 commencera le 28 janvier et elle sera celle du Coq de feu – même la mesure du temps et la notion de durée sont différentes!

Dans cette nouvelle communauté émiettée en quête de cohésion, l’Afrique n’est encore pour l’instant qu’un simple acteur, largement passif et tributaire des valeurs des autres. À elle d’imposer les siennes.

Par François Soudan

François Soudan est directeur de la rédaction de Jeune Afrique.