Burundi : comment le pays gère-t-il les sanctions économiques et financières ?
Economie

TV5MONDE, 25 OCT 2016

La crise socio-politique qui dure depuis plus d’un an et demi a eu d’importantes conséquences sur l’économie burundaise. Le pays a notamment perdu le soutien de l’Union européenne, son principal bailleur de fonds. Un coup dur pour ce petit pays qui vivait à plus de 50% de l'aide extérieure.

Le Burundi a récemment pris des décisions radicales qui l'isole encore un peu plus de la communauté internationale et il  a perdu son principal soutien financier, l'Union européenne (UE), qui l’accuse de violer les droits de l’homme.

En effet, après avoir coupé son aide directe au gouvernement burundais, qui représentait 432 millions d'euros, soit 20% du budget du pays, en mars dernier, l’UE a récemment déclaré qu’elle souhaitait priver le Burundi des fonds de l’Amisom. Ce financement de l’UE sert notamment à couvrir les indemnités des troupes et des policiers de l’Amisom, les salaires du personnel civil (international et local) ainsi que les frais de fonctionnement de la Mission, peut-on lire sur le site de l’Amisom.

« C’est un geste qui est dans la continuité de la déstabilisation de la République du Burundi. » Gaston Sindimwo, premier vice-président burundais

Selon RFI, « Chaque mois, ce sont 5 millions d’euros destinés aux salaires des 5 500 soldats burundais engagés dans l’Amisom » qui transitent par les caisses de l’Union Africaine (UA) avant d’arriver dans celles de l’Etat burundais. Ce dernier reverse ensuite 80% des fonds aux soldats et garde les 20% restant. « Du pain bénit pour un régime qui manque cruellement de devises », peut-on lire sur le site de nos confrères. Aujourd’hui, l’objectif de l’UE serait donc de trouver « un moyen de payer directement les soldats burundais » « sans passer par leur gouvernement », pour pénaliser l’Etat sans affecter la mission de l’Amisom.

Face à cette nouvelle menace, Bujumbura a réagi, samedi 22 octobre. Au micro de RFI, Gaston Sindimwo, premier vice-président burundais a accusé l’UE de vouloir semer la division entre l’Etat du Burundi et ses militaires. « C’est un geste qui est dans la continuité de la déstabilisation de la République du Burundi, a déclaré Gaston Sindimwo. Nous l’avons dit depuis longtemps : le Burundi doit payer ses propres fonctionnaires et de surcroît, les militaires ». Et d’ajouter : « on dit que c’est le gouvernement qui ne paie pas les militaires, alors que c’est l’Union africaine, en complicité avec l’Union européenne. C’est inadmissible, ça ! ».

Une économie en chute libre

La fin ou la suspension des appuis financiers est donc un coup dur pour ce petit pays enclavé qui vit à plus de 50% des aides extérieures. « L’économie burundaise est incapable de fonctionner sans appui de l’extérieur », assure Gervais Rufyikiri.

D’autant que la crise de 2015 a fortement ralentie l’activité économique. Certains secteurs comme l’hôtellerie, l’industrie ou le bâtiment et les travaux publics (BTP) ont été très impactés. Le taux de croissance a donc chuté d’environ 9% par rapport à la moyenne enregistrée entre 2010 et 2014 qui s’élevait à 4,8%. En seulement quelques mois, le Burundi est devenu l’un des pays les plus pauvres au monde.

« Par manque de devises, l'économie tourne au ralenti » Gervais Rufyikiri, ancien deuxième vice-président du Burundi

En effet, l’instabilité politique a eu de graves conséquences sur le commerce burundais. Le Burundi est un pays consommateur : il importe quatre fois plus qu’il n’exporte. Et ce fossé entre importations et exportations était « presque exclusivement comblé par les apports extérieurs, sous forme de dons », explique Gervais Rufyikiri. Mais avec la crise, les importations et exportations se font plus rares, ce qui entraîne un manque criant de devises. « Par manque de devises, l’économie tourne au ralentie et les importateurs sont en difficulté, souligne Gervais Rufyikiri. Par conséquent, certains produits sont de plus en plus rares sur le territoire et quand ils sont disponibles, ils sont chers ». Une situation qui affecte la population qui voit son pouvoir d’achat fortement diminuer.

Moyens de pression

Affaiblir économiquement le gouvernement burundais, c’est justement le but de la communauté internationale, et ce malgré les répercussions que cela peut avoir sur la population. Mais est-ce le moyen le plus pertinent  pour agir  ? Car pour le moment, Bujumbura ne semble pas décidé à changer sa façon de gérer le pays  et ne souhaite pas davantage vouloir discuter avec l’opposition.

Selon Gervais Rufyikiri, ces sanctions sont « une bonne manière de faire pression sur le gouvernement. Et je crois que ces pressions doivent augmenter. Il faut qu’il y ait plus de pays donateurs qui le fassent et que ces derniers soient davantage imaginatifs pour penser à d’autres formes de pressions », assure l’ancien deuxième vice-président du Burundi.

De nouveaux bailleurs de fonds ?

Malgré les sanctions financières qui s’abattent sur lui, le pouvoir burundais campe sur ses positions et refuse tout dialogue. Et pour tenter de combler ses difficultés économique, Bujumbura essaierait de se tourner vers d’autres partenaires comme les nouveaux pays émergents (Inde, Chine…) ou des instances comme la Banque africaine de développement ou la Banque mondiale. 

« L'Etat burundais est incapable de combler le trou laissé par le retrait ou la suspension de la coopération des donateurs traditionnels » Gervais Rufyikiri, ancien deuxième vice-président du Burundi

Selon le politologue sénégalais Justin Babacar N'Diaye interviewé par la Deutsche Welle en juin dernier, « pour garder la tête hors de l’eau, Bujumbura est obligée de trouver une bouée de sauvetage »« La Russie est une puissante donc elle peut faire le nécessaire, tout comme la Chine. Les investissements chinois en Afrique sont considérables, au point de vue du volume financier ». Selon Justin Babacar N'Diaye, la question est de savoir ce que ces pays trouveront comme intérêt dans l'affaire.

Mais selon Gervais Rufyikiri, ces options même sont compromises. « L’Etat burundais est incapable de combler le trou laissé par le retrait ou la suspension de la coopération bilatérale des donateurs traditionnels comme l’UE ».

Concernant une aide éventuelle provenant des pays comme l’Inde, la Chine ou la Russie, il assure que lorsqu’il était « aux affaires », il n’a « jamais vu ces pays donner des appuis budgétaires au gouvernement burundais ». Et d’ajouter : « Il y avait bien quelques appuis mais ils étaient ponctuels : dons de matériels, sacs de ciment, taules…). Mais cela ne va pas assurer un développement équilibré et financer les différents secteurs qui constituent la vie d’une nation ».

Gervais Rufyikiri ne croit pas non plus en une aide venant de la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement car ces instances conditionnent leurs aides sur les « performances du pays » en matière de développement économique. Or, il est aujourd’hui compliqué pour le Burundi de se porter candidat à ces genres d’appuis financier.

Alors combien de temps le pays tiendra-t-il sans le soutien de l’Union européenne ? Et surtout, parviendra-t-il à trouver une autre solution pour combler le trou laissé par Bruxelles ? La question reste entière. En attendant, la population est la  première victime de la politique du président Pierre Nkurunziza et de nombreux Burundais continuent de fuir le pays en espérant que la situation s’apaise rapidement. Enfin, la  situation affecte mécaniquement  les pays frontaliers comme le Rwanda, l’Ouganda ou encore la RDC, des pays déjà soumis à de graves problèmes internes.