La difficile vie des étudiants burundais
Education

BBC Afrique, 5 novembre 2016

A cause de l'augmentation des effectifs de l'Université du Burundi, les conditions de vie des étudiants se sont détériorées au fil des années.

Avec une bourse de 30 000 francs burundais par mois, environ 17 dollars US, des milliers d'étudiants vivent en dehors des campus universitaires, dans la promiscuité. Ils dorment parfois le ventre creux, ce qui a un impact certain sur leurs résultats académiques. [Photo : Un étudiant prépare une pâte de manioc, que ses camarades et lui vont manger avec des haricots.]

Emery Manirakiza, un étudiant en première année de droit, prépare le déjeuner pour ses sept colocataires à Mugoboka, une banlieue à quelques centaines de mètres à l'est du campus principal de l'Université du Burundi. Il a dû sécher les cours du matin, car c'est son tour de préparer le déjeuner, une pâte de manioc qu'ils vont manger avec des haricots.

Tout en pétrissant la pâte, Emery explique à BBC Afrique les difficiles conditions dans lesquelles lui et ses camarades se débattent : "Nous vivons dans des conditions anormales parce que la bourse est insuffisante. Entre les dépenses pour la ration alimentaire, le loyer et les documents à photocopier, les 30 000 francs de la bourse ne couvrent même pas 15 jours. Les jours restants, nous demandons aux parents de nous envoyer des bananes ou des patates."

Un autre étudiant fait un calcul presque similaire : "D'abord concernant la ration alimentaire, chacun peut contribuer pour 20 mille (environ 11,3 dollars), le loyer est de 5 000 francs (environ 2,8 dollars) pour chacun. Nous nous retrouvons avec 5 000 en poche, parfois même moins."

La pâte de manioc accompagnée de haricots est le seul plat à portée de la bourse des étudiants.

Mais certains d'entre eux qui vivent à Mugoboka ont au moins le privilège de vivre tout près du campus pédagogique de l'Université du Burundi.

A Kanyare, sur le flanc du mont Vugizo, qui surplombe la ville de Bujumbura, les étudiants doivent parcourir plus de trois kilomètres pour rejoindre les amphithéâtres.

Emlyne Beneyo, revenue de l'université très essoufflée après une longue marche, n'aura que quelques minutes de repos avant de retourner suivre les cours de l'après-midi. "Je fais ce parcours tous les jours. Il est long et j'arrive ici très fatiguée", s'inquiète-t-elle.

Emelyne habite dans une chambrette mesurant à peine trois mètres sur trois mètres, qu'elle présente avec beaucoup d'hésitation et de gêne. "Nous vivons ici à sept. Nous nous sommes rencontrées par hasard. Nous avons loué cette pièce à 55 000 francs (environ 31,1 dollars)", explique-t-elle.

Sa petite chambre se trouve sur une parcelle occupée par une vingtaine de maisonnettes, qui s'alignent en forme de paliers, avec des escaliers permettant de passer d'un niveau à l'autre.

Plus d'une centaine d'étudiants habitent cette parcelle baptisée Pavillon 14, en référence aux 13 pavillons des campus universitaires.

Des étudiants disent habiter dans de petites chambres à 11 par exemple.

Pour survivre à cette galère, certains d'entre eux ont trouvé le moyen de gagner un peu d'argent. C'est le cas d'Emmanuel Bakire, un étudiant en deuxième année de génie civil, qui s'est doté d'une photocopieuse. Il ne lui manque pas des clients. Pour acquérir la machine, il a demandé à des parents un prêt de 688 200 francs burundais (environ 390 dollars) qu'il rembourse petit à petit.

"Cette photocopieuse est précieuse pour moi. Les amis qui n'ont pas d'autres revenus en plus de la bourse s'en servent. C'est très difficile pour eux de trouver de quoi manger, de s'équiper, etc. En plus, on nous donne des documents à photocopier une aide", ajoute Emmanuel. "Oui, je vis un peu mieux que d'autres camarades, grâce à la photocopieuse", reconnaît-il.

Les conditions de vie difficiles affectent les résultats académiques. Gertrude Kazoviyo, professeur d'université, estime que "lorsque les étudiants arrivent en retard, lorsqu'ils dorment en classe ou restent en classe sans rien manger au moment du déjeuner, les résultats ne peuvent pas être ceux qu'on souhaiterait avoir".

"Beaucoup d'étudiants ne réussissent pas. Dans une classe, deux étudiants seulement sur 80 peuvent passer au niveau supérieur. Les résultats étaient meilleurs il y a une dizaine d'années", reconnaît-il.

Valos Runyagu, le directeur de l'assurance-qualité à l'Université du Burundi, est d'accord avec M. Kazoviyo que les mauvaises conditions de vie des étudiants entraînent de faibles résultats académiques.

"Un étudiant qui vient de très loin, de 15 à 20 kilomètres, entame le cours dans des conditions défavorables. Nous voudrions que nos étudiants soient dans de favorables conditions de travail, mais vous comprenez très bien que ce n'est pas à l'université qu'incombe les questions sociales", explique M. Runyagu, rappelant que les bourses d'études sont octroyées par le gouvernement.

En moyenne, un étudiant sur trois échoue dans les facultés de droit et de médecine de l'Université du Burundi. Les conditions de vie des étudiants font partie des causes des nombreux échecs.

Créée en 1964, l'Université du Burundi compte actuellement plus de 14 000 étudiants, pour une capacité d'accueil ne dépassant pas 4 000 places.

Les enseignements sont souvent perturbés par grèves menées par les étudiants, qui réclament une augmentation de la bourse. Cette université dénommée Rumuri, le flambeau en kirundi, risque de voir sa flamme s'éteindre si rien ne change.

Judith Basutama, BBC Afrique, Bujumbura