Jean Minani : au Burundi, le facilitateur «s’est déclassé complètement»
Politique

RFI, 03-01-2017

INVITÉ AFRIQUE

Au Burundi, la nuit du Nouvel An a été endeuillée par l’assassinat d’Emmanuel Niyonkuru, le ministre de l’Eau et de l’Environnement du pays. Depuis le début de la grave crise burundaise, il y a 18 mois, jamais un membre du gouvernement n’avait été tué. Aujourd'hui, comment sortir de cette crise ? Jean Minani (photo) préside le Conseil national pour le respect de l'Accord d'Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de l'Etat de droit (Cnared), la plate-forme qui regroupe la quasi-totalité de l’opposition en exil. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. 

RFI : Que vous inspire l’assassinat du ministre de l’Eau, de l’environnement et de la planification, la nuit du Nouvel An, à Bujumbura ?

Jean Minani : Cela montre que la sécurité tant clamée par le pouvoir de facto de Bujumbura n’est pas une réalité.

Qui peut être derrière cet assassinat ?

Vous savez moi, j’ai toujours pensé que ces gens-là, après avoir tué tout le monde, vont s’entretuer entre eux.

Donc vous privilégiez la thèse du règlement de comptes à l’intérieur du régime ?

Absolument. Et si ces ministres ont quelque chose entre eux ou entre ces généraux, ils peuvent être assassinés sans que rien ne puisse l’arrêter.

Depuis la crise burundaise, depuis 18 mois, il y a eu plusieurs attentats attribués à la rébellion. On pense à l’assassinat du général Adolphe Nshimirimana en août 2015 [ancien chef d’état-major de l’ex-rébellion Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) et l'un des hommes forts du régime de Pierre Nkurunziza]. Pourquoi ne s’agirait-il pas là aussi d’un nouvel attentat de la part de la rébellion ?

Tout est possible. Je n’ai éliminé aucune hypothèse, mais cela montre qu’il n’y a pas de sécurité au Burundi, que personne n’est à l’abri d’être tué.

Et comment vous réagissez à cet assassinat ?

Tous les assassinats me font mal. Je condamne tous ceux qui tuent, tous les tueurs. Je condamne tous ceux qui utilisent la force, mais je condamne surtout celui qui a fait que les gens soient laissés à utiliser de la force, à tuer, sans que la justice ne puisse les en empêcher.

Vous parlez du président ?

Absolument. Toute la faute est à monsieur Pierre Nkurunziza.

Alors deux jours avant cet assassinat, le président Nkurunziza a laissé entendre que la Constitution pourrait être modifiée afin qu’il puisse se présenter en 2020 pour un quatrième mandat. Est-ce qu’il peut y avoir un lien entre ces deux évènements ?

Cela est possible parce que, de toute façon, ces décisions de monsieur Pierre Nkurunziza, d’abord pour nous ne sont pas une révélation, parce que monsieur Pierre Nkurunziza a toujours eu l’intention de rester au pouvoir éternellement. Et même si on ne regarde pas bien, il risque de demander à ce qu’on le consacre roi du Burundi ou alors après empereur comme Bokassa. Donc à mon avis, en déclarant cela, il doit y avoir eu des réactions à l’intérieur même du parti au pouvoir au sein des CNDD-FDD. Il y en a qui sont mécontents. Il faut s’attendre qu’il y ait encore des désertions par des gens qui seront désespérés au Burundi.

Vous dites que son annonce fait des mécontents au sein du régime, mais n’a-t-il pas l’appui de la Commission nationale du dialogue interne, la CNDI ?

La CNDI, c’est son instrument. Il sait qu’à l’intérieur, il ne peut pas y avoir d’opposition. S’il y a quelqu’un qui s’exprime librement, il serait tout de suite tué ou mis au cachot. Donc tout le monde est muselé à l’intérieur du pays.

Et si demain, il convoque un référendum pour faire passer ce changement de la Constitution, est-ce qu’il y a une chance que le non puisse gagner ?

Comment est-ce qu’on peut faire des élections libres ou un référendum libre lorsqu’il n’y a ni médias, ni observateurs, ni société civile ? Le peuple est terrorisé et ce référendum n’aura aucune valeur.

Depuis un an et demi, l’opposition Cnared que vous présidez s’oppose farouchement à ce régime. Mais vos camarades et vous-même, vous êtes en exil. Est-ce que vous avez encore une prise sur le terrain ?

Oui, nous avons une prise sur le terrain. Plus de 80% de la population est avec nous. Mais ils sont terrorisés, ils sont sous la terreur.

Et du coup, est-ce que vous n’avez pas échoué dans votre stratégie ?

Non, le régime est capturé. Aujourd’hui, bientôt il n’y aura aucun sou pour payer ses fonctionnaires. Le franc bu, en dollar il est à 1 600, aujourd’hui, il est à 3 000 presque. Les prix ont doublé et même triplé. Le régime ne pourra pas tenir longtemps.

Vous dites que le franc burundais a perdu beaucoup de sa valeur par rapport aux devises étrangères. Mais pour l’instant, le régime est toujours en mesure de payer ses fonctionnaires.

Tous les salaires ont été diminués de 50% et dans tous les cas, pour ce mois de février-mars, il n’y aura pas de salaire.

Etes-ce que vous êtes tenté par la solution militaire ?

La solution militaire est toujours mauvaise. Mais lorsqu’à la fin, le peuple n’a rien d’autre, lorsqu’on n’a plus rien à faire, on est toujours tenté d’utiliser tous les moyens qu’on a à ce côté. Jusqu’à maintenant, nous avons toujours dit aux gens de ne pas utiliser la force, parce que la force ne donne jamais de solution. Mais malheureusement aujourd’hui, de plus en plus, nous sommes désarçonnés, embarrassés de continuer à tenir ce langage. Néanmoins, nous disons toujours à la Cnared qu’il y a toujours une chance pour qu’on trouve une solution négociée.

Il y a trois semaines, le médiateur tanzanien Benjamin Mkapa a affirmé que, selon lui, le troisième mandat de Pierre Nkurunziza était légitime. Est-ce que ce n’est pas pour vous l’objet d’une grande déception ?

Nous sommes très déçus. C’est tout le peuple burundais qui est déçu parce que l’origine de ce conflit, c’est le troisième mandat. Aujourd’hui, le facilitateur dans ce conflit entre deux parties vient de déclarer que la cause même du conflit n’est plus une cause. Donc pour nous, il s’est déclassé complètement. Nous croyons tous qu’il n’est plus acceptable qu’il continue à être facilitateur.

Ce lâchage par le médiateur tanzanien, est-ce que ce n’est pas le signe que l’opposition est de plus en plus isolée ?

L’opposition n’est pas isolée parce que toute la population burundaise voit très bien que nous avons raison, y compris ceux qui étaient hier derrière Nkurunziza, puisqu’il vient de déclarer publiquement que non seulement il veut un troisième mandat, mais c’était aussi pour voir un quatrième et cinquième, sixième mandat. Qui peut accepter cela ?

Donc vous pensez que c’est la déclaration de trop ?

C’est la ligne rouge qu’il vient de dépasser.