La polémique n'en finit pas sur le l’ambassadeur de France eu Burundi
Diplomatie

Le Monde, 24.02.2017

Au Burundi, la « drôle » d’interview de l’ambassadeur de France continue de faire réagir

Dans un entretien accordé au journal en ligne proche de Bujumbura, l’ambassadeur de France a affirmé se « sentir en sécurité » dans le pays.

« Je me sens en sécurité dans ce pays », n’avait pas hésité à titrer le journal burundais Ikiriho le 27 janvier. Sur ce média en ligne réputé proche du pouvoir, cette phrase banale serait sans doute passée inaperçue si ces propos n’avaient pas été ceux de l’ambassadeur de France, Laurent Delahousse (photo), en poste au Burundi depuis plus de trois mois.

« Il m’est arrivé à plusieurs reprises de me déplacer à l’intérieur du pays et je crois que le plus fort risque d’insécurité auquel j’ai été confronté, c’est l’insécurité routière une fois la nuit tombée », déclare-t-il à Ikiriho dans cette interview fleuve.

Dans le pays de Pierre Nkurunziza, qui n’a eu cure de la Constitution et a brigué un troisième mandat en 2015, déclenchant ainsi une grave crise politique, sécuritaire et humanitaire, les propos de l’ambassadeur français continuent de provoquer de vives réactions.

Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui reprochent à la France d’être trop conciliante envers ce pouvoir qui réprime dans le sang toute forme d’opposition. Les organisations des droits humains ont en effet dénombré depuis avril 2015 plus de 1 000 personnes tuées, 5 000 détenues, 800 disparues, des actes de torture, des milliers d’arrestations arbitraires et plus de 250 000 Burundais partis se réfugier dans les pays voisins.

« Décrispation possible »

Un constat que préfère nuancer le diplomate français, en affirmant la « connotation politique » des alertes lancées en novembre 2016 par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) qui fait état « d’une répression aux dynamiques génocidaires ».

« J’ai l’impression [que ces accusations relèvent] plus d’un discours à finalité politique que d’une réalité en termes de dimension sécuritaire aujourd’hui », explique doctement M. Delahousse.

L’ambassadeur affirme aussi vouloir « rabibocher » les deux pays. « Je crois qu’après un an et demi de crise, la situation du pays est telle que la décrispation est possible, de même que la pacification du débat politique, l’ouverture dans la perspective des élections de 2020 d’un espace politique libre et ouvert au retour de ceux qui le souhaiteraient », a déclaré M. Delahousse. D’aucuns l’accusent de reprendre des éléments de langage du gouvernement burundais qui cherche à montrer coûte que coûte que la situation sécuritaire actuelle permet le retour des milliers de réfugiés.

Au Quai d’Orsay, plusieurs diplomates de la section Afrique se disent surpris par certaines positions de M. Delahousse et évoquent des « maladresses ». Ils se rassurent en estimant néanmoins que, sur le fond, ses propos relatifs aux droits humains, à la liberté de la presse et à la position de la France ont été fermes lors de cet entretien. La France, rappellent-ils, soutient le dialogue initié par le médiateur de la crise, l’ancien président tanzanien Benjamin Mkapa, et se doit de parler avec le pouvoir en place pour faire évoluer la situation.

Propos « inacceptables »

M. Delahousse est un habitué des réseaux sociaux. En retweetant, en décembre 2016, les propos d’un opposant qui se moquait du nouveau jet du président burundais, l’ambassadeur avait créé une polémique sur la Toile. Le même journal pro-gouvernement Ikiriho avait à l’époque relayé sur son compte Twitter un appel à la démission, #DelahousseOut, qui circulait sur le Net.

L’ambassadeur français est souvent pris à partie sur les réseaux sociaux. Le 8 décembre, toujours sur Twitter, le chef de la diplomatie burundaise, Alain-Aimé Nyamitwe, a réagi en appelant à « respecter les diplomates en poste au Burundi » et a jugé « inacceptables » les « insultes graves » formulées sur Internet. Las, l’ambassadeur français n’a jamais cessé de s’exprimer sur le réseau social.

Joint par Le Monde Afrique, Laurent Delahousse invite « les gens à lire l’interview en entier et pas uniquement les raccourcis publiés sur Twitter ».

Par Emile Costard et Amaury Hauchard