Une activiste burundaise empêchée de s’exprimer devant le Conseil de sécurité
Diplomatie

FRANCE 24, 11/03/2017

Une militante burundaise des droits de l’Homme devait être entendue, jeudi, par le Conseil de sécurité de l’ONU, dans le cadre d’une réunion sur la situation au Burundi. Son intervention a été annulée, suite à l'opposition russe et chinoise.

La réunion s’est tenue sans elle. Carine Kaneza (photo), une défenseure burundaise des droits de l’Homme, devait intervenir, jeudi 9 mars, devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, à New York, en marge de la présentation d’un rapport du secrétaire général Antonio Guterres sur les violations massives des droits de l’Homme au Burundi.

Ce pays de la région des Grands Lacs traverse une grave crise née de la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat il y a presque deux ans.

"Plusieurs personnalités, comme l'ancien président tanzanien Benjamin Mkapa, devaient intervenir au cours de cette réunion, et les Britanniques ont proposé d’entendre Carine Kaneza, pour qu’elle apporte son regard sur ce que vivent les citoyens lambda au Burundi", explique une source onusienne qui connaît bien le dossier à France 24.

Porte-parole du mouvement des femmes et des filles pour la paix et la sécurité au Burundi, Carine Kaneza n’a pas les faveurs du gouvernement de Nkurunziza. Début janvier, celui-ci a refusé de prendre part à des discussions de paix sous l’égide de la Tanzanie, en raison notamment de la présence de la militante et de son mouvement à la table des négociations.

Prétexte technique

Vendredi, des sources diplomatiques ont indiqué à France 24 que la Russie s’était opposée à l’audition de Carine Kaneza par le Conseil e Sécurité de l’ONU, entraînant l’annulation pure et simple de son intervention.

Moscou a invoqué un motif technique, arguant que les membres du Conseil de sécurité n’avaient pas été prévenus suffisamment en avance de cette intervention. Des réticences partagées par la Chine et l’Égypte.

Mais des sources diplomatiques ont expliqué à France 24 que les véritables raisons de ce refus étaient ailleurs : la Russie et la Chine voient tout simplement d’un mauvais œil que des activistes des droits de l’Homme soient entendus par le Conseil de Sécurité. Par ailleurs, Moscou protège le gouvernement burundais d’actions plus sévères de l’ONU, ont souligné ces mêmes sources.

Depuis avril 2015, le Burundi est plongé dans une crise violente qui a fait plus de 500 morts selon l'ONU et jusqu'à près de 2 000 avancent les ONG. Le rapport de Guterres, le premier que le nouveau secrétaire général ait rédigé sur le Burundi, fait état d’une grave crise politique.

Il décrit une population terrorisée par un régime qui viole délibérément les droits humains, presque deux ans après que Pierre Nkurunziza a obtenu son troisième mandat en avril 2015, entraînant des contestations de masse et un coup d’État réprimé dans la violence. Ce rapport met en garde contre un quatrième mandat du président burundais – une éventualité évoquée par Nkurunziza en décembre dernier.

Carine Kaneza a de son côté indiqué à France 24 que “le risque de génocide et d’atrocités de masse” décrit dans le rapport devaient alerter. Le document indique que malgré une baisse des violences déclarées et notamment une baisse des violences armées, les violations des droits de l’Homme se poursuivent : meurtres, disparitions forcées, violences de genre, arrestations arbitraires, tortures, découverte de cadavres non-identifiés ont été recensés.

Jamal Benomar, le médiateur de l’ONU dans la crise burundaise, a déclaré quant à lui à France 24 que "les témoignages de torture rapportés sont épouvantables". "Des corps pendus ont été retrouvés dans la campagne, le long de rivières, laissant croire à de supposés suicides", a-t-il relaté.

Exil massif

En réponse à ce rapport, l’ambassadeur du Burundi à l’ONU, Albert Shingiro, a déclaré que Guterres appartenait à un "axe du mal" qui "harcelait" le Burundi.

Alors que le gouvernement prétend que la situation dans le pays est calme, de nombreux Burundais partent en exil. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime ainsi que près de 386 000 personnes ont déjà fui et que près de 500 000 personnes auront quitté le pays d’ici à la fin 2017.

Si elle n’a pu être entendue officiellement, Carine Kaneza a pu parler à des membres du Conseil de sécurité en marge de la réunion de jeudi. Elle a dit souhaiter que les pays de la région des Grands Lacs accentuent la pression sur le gouvernement de Nkurunziza.

Elle a appelé les voisins du Burundi à parler d’une seule voix pour mettre en œuvre des sanctions, comme par exemple un embargo commercial, afin de forcer le gouvernement burundais à s’asseoir à la table des négociations avec des membres de l’opposition et de la société civile.