Futur palais présidentiel du Burundi : "Beaucoup de gens se sentent floués"
Société

France 24, 14/04/2017

Des Burundais se retrouvent à la rue pour faire place au nouveau palais présidentiel

Depuis quelques jours, les autorités burundaises ont entrepris la démolition de plusieurs maisons d’un quartier résidentiel (photo) dans le nord de la capitale Bujumbura pour y démarrer les travaux du futur palais présidentiel. Certains se sentent floués… dont des partisans du président Pierre Nkurunziza.

La construction du nouveau palais présidentiel est prévue de longue date : le projet a été lancé en 2009 avec le vote d’une loi prévoyant la construction du nouveau palais dans le quartier de Gasenyi.

Quatre ans plus tard, un accord avait été signé avec l’ambassade chinoise au Burundi, qui avait accordé les fonds pour la construction, soit environ 20 millions d’euros. Cette somme a été présentée par la Chine comme un don. Des plans du palais avaient même été publiés dans la presse, montrant une imposante bâtisse, prévue pour occuper une surface totale d’environ 40 hectares. C’est donc un projet colossal, dix fois plus grand en superficie que les actuels bureaux et résidences présidentielles, qui ne dépassent pas les 4 hectares.

Officiellement, les travaux de ce nouveau palais présidentiel ont été lancés pour concentrer bureaux et résidence présidentielle. Le gouvernement loue actuellement les bureaux présidentiels à l’ancien président burundais Michel Micombero, ce qui a notamment valu des soupçons de conflits d’intérêts de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques du Burundi.

Dès le lancement du projet en 2009, les propriétaires avaient été prévenus : toute parcelle située sur les 40 hectares du futur palais serait réquisitionnée, et les propriétaires devaient cesser toute construction et se rapprocher du gouvernement pour une solution. Cependant, jusqu’à cette semaine, de nombreux propriétaires n’avaient toujours pas accepté ces accords, estimant que les dédommagements n’étaient pas suffisants.

Des bulldozers démolissent les murs

Mardi, les travaux sont passés à la vitesse supérieure : des bulldozers ont débarqué sur les lieux, escortés par la police. Ils ont symboliquement cassés des murs des habitations réquisitionnées. Les derniers récalcitrants ont été sommés de signer un papier stipulant qu’ils quittaient volontairement les lieux. 

Plusieurs habitants ont affirmé à des médias burundais qu’ils n’avaient pas vraiment eus d’engagements clairs sur les indemnisations et qu’ils n’avaient nulle part où aller en attendant. La rédaction des Observateurs de France 24 est rentrée en contact avec des habitants de Gasenyi, qui ont expliqué que le dossier était "très sensible "et ont confié craindre de s’exprimer par peur de représailles. Une habitante a témoigné par téléphone à RFI, un enregistrement en kirundi que nous avons pu consulter. Elle explique :

« Nous ne savons pas où emmener nos familles et pour l’instant, nous allons vivre dans la rue. Si le gouvernement décide de détruire nos maisons sans qu’il ne nous ait donné d’indemnités, nous ne pouvons rien. Il est plus fort que nous. Les autorités provinciales nous exhortent à aller nous abriter au bureau de la commune Mutimbuzi, mais là-bas, on ne sait pas s’il va y avoir des maisons disponibles pour nous [en réalité, la commune de Mutimbuzi a proposé de stocker les biens de ces personnes, pas de les loger]. La commune se situe très loin des établissements scolaires fréquentés par nos enfants à Ganseyi [à un peu plus de 3 kilomètres sur un espace vallonné, NDLR], est-ce que ça signifie que pendant ce temps, ils ne pourront plus étudier ? »

Pour le gouvernement, "certains habitants ont été escroqués"

De son côté, le porte-parole de la présidence burundaise, Jean-Claude Karerwa, contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, explique : 

« Depuis 2009, la loi interdit de construire dans les 40 hectares définis par le projet. Cependant, certaines personnes ont quand même érigé des constructions et des plantations dans cette zone : elles sont en tort et n’ont donc pas droit à l’indemnisation. Le gros problème pour nous, c’est que certains habitants ont été escroqués par des propriétaires qui savaient que le terrain était réquisitionné, mais qui ont quand même vendu leur parcelle. Le gouvernement est très préoccupé par cette problématique et a créé une commission d’enquête pour évaluer les responsabilités. »

Le porte-parole n’a en revanche pas été en mesure de confirmer à France 24 le montant exact des dédommagements, bien qu’il affirme que certains propriétaires ont déjà été indemnisés. Par ailleurs, il n’a pas été en mesure de nous indiquer quand la commission pourrait rendre ses avis.

"Un habitant avait même un portrait du président Nkurunziza dans son salon, juste avant que sa maison soit démolie"

Hakizimana (pseudonyme) vit à Bujumbura. Il a suivi de près le dossier de Gasenyi et rencontré plusieurs propriétaires.

« Beaucoup de gens se sentent floués, il y aurait environ une vingtaine de ménages concernés. La plupart ont le sentiment que les indemnisations sont faites à la carte, selon les matériaux composant leur maison : si leur maison est en briques de pierre, leur maison ne sera pas indemnisée de la même façon que s’il s’agit d’adobe [de l’eau mélangée à de la paille pour fabriquer des briques, NDLR].

De plus, de nombreux habitants expropriés sont globalement très déçus des indemnisations qui avaient été fixées en 2009, bien avant que le franc burundais ne s’effondre. Aujourd’hui, en moyenne, on leur propose 2500 francs burundais (1,30 euros) par mètre carré réquisitionné.

Ce qui est curieux, c’est que la plupart de ces gens sont des sympathisants du CNDD-FDD [le parti du président Pierre Nkurunziza]. J’ai notamment rencontré un habitant qui avait un portrait du président Nkurunziza dans son salon…juste avant que sa maison soit démolie. »

Selon la presse burundaise, les autorités locales ont tenté, tant bien que mal, d’organiser des solutions de dernière minute. Le gouverneur de Mutimbuzi, Nadine Gacuti, a notamment demandé à ceux qui n’ont pas où aller de se rendre au bureau de la commune Mutimbuzi pour y entreposer leurs affaires.