Un collectif de Burundaises en Belgique alerte sur les slogans des Imbonerakure
Diaspora

RTBF, 26 avril 2017

Burundi : les Imbonerakure appellent au viol

Diffusée au début du mois, une vidéo embarrasse le gouvernement. Devant un local du parti du pouvoir, le CNDD-FDD, on découvre une longue colonne de jeunes gens, non armés, vêtus les uns de T-shirts rouge, les autres en bleu. Ils ne sont pas armés. Ils s'échauffent en dansant sur place et en scandant une formule en kirundi.

Juliette Nijimbere (photo), une des Burundaises de Belgique qui ont choisi de diffuser la vidéo pour mettre en lumière les appels au crime des Imbonerakure explique:

"Ils ont l'habitude de s’entraîner à chanter des slogans, chaque fois définis par le Parti CNDD-FDD (Conseil National de Défense de la Démocratie - Forces pour la Défense de la Démocratie). Leur but c'est d'intimider la population. Dans cette vidéo, ils appellent leurs camarades à engrosser les femmes de l'opposition pour que celles-ci mettent au monde des enfants imbonerakure."

Dans un appel, le collectif international des femmes unies contre la violence, le viol et les discours de haine souligne que "cette vidéo confirme ce que des centaines de femmes ont déjà découvert : la peur du viol est là, au quotidien. Des centaines de femmes ont été violées, des centaines en sont mortes. La peur et la honte poussent la majorité d'entre elles à ne pas en parler."

Le collectif veut briser le silence pour que cesse l’impunité. "Il faut empêcher la banalisation de cette violence imposée aux femmes  et aux filles, en ayant en mémoire le génocide des Tutsis au Rwanda (où le viol fut aussi une arme de la milice hutue interahamwe, ndlr). Les conséquences de ces crimes à caractère sexuel sont profondes et durables, pas seulement pour les victimes, mais aussi pour les familles et les communautés, comme on le constate en République démocratique du Congo."

En droit, les crimes à caractère sexuel sont considérés comme des crimes contre l'humanité. Qui plus est, la jurisprudence considère le viol comme constitutif de génocide s'il est perpétré avec l'intention de détruire  en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux. 

Le collectif des femmes contre la violence, le viol et les discours de haine demande à la communauté internationale d'aider à la collecte des témoignages des victimes, de mettre en place les poursuites judiciaires nécessaires et d'envoyer une force internationale de protection des femmes burundaises. Cet appel a aussi été signé par plusieurs femmes parlementaires belges.

La vidéo embarrasse le pouvoir de Bujumbura

Dans un communiqué publié le 5 avril,  le  parti CNDD-FDD dit " condamner avec la dernière énergie cet écart de langage. La commission de discipline est déjà à pied d’œuvre pour déterminer les responsabilités ".

Pour Juliette Nijimbere, les preuves existent que des femmes ont été violées, - parfois même des étudiantes à l'université, par leur professeur-, et que des enfants sont nés de ces viols.

Les chants de haine des imbonerakure ne sont qu'un aspect de leur pouvoir toxique, elles sont aussi une force auxiliaire du pouvoir, et en particulier  du service national de renseignement (SNR) et de la police.

Fondé en 2010, le mouvement de jeunesse des Imbonerakure revendique plusieurs centaines de milliers de membres. Son président Denis Karera a récusé le qualificatif de "milice".

Or plusieurs témoins et experts ont souligné leur implication dans les actes d'enlèvement, assassinat, torture. Qui plus est, à la fin de l'an dernier, le pouvoir a décidé de transformer cette milice de fait en un corps de volontaires nationaux. Cette nouvelle structure de force pourrait venir en aide, en renfort à une armée divisée et affaiblie. L'opposition craint qu'elle devienne une force génocidaire. 

Un bilan accablant

Entre le 26 avril 2015  et novembre 2016, la FIDH, la fédération internationale des ligues des droits de l'homme  a chiffré le bilan de la répression  à plus de 1000 morts, 8000 personnes détenus pour des motifs politiques, 300 à 800 disparus, des centaines de cas de torture, des centaines de femmes victimes des violences sexuelles, des milliers d’arrestations arbitraires, et plus de 310 000 personnes réfugiées dans les pays voisins et de 61 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays. 

Une vague de répression  et un exode nés de la volonté du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat, contrairement à l'esprit des accords d'Arusha de 2000. Le 26 avril 2015,l’annonce de sa décision avait provoqué des manifestations réprimées dans le sang, une tentative de putsch avorté en mai 2015, et la réélection controversée de juillet 2015.

Nkurunziza contre la communauté internationale 

Face aux allégations et preuves d'atteintes graves aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, entre autre à la liberté de la presse, face aux accents ethniques donnés par le pouvoir à la crise, l'Onu a décidé l'an dernier d'envoyer une commission d'enquête et 228 policiers au Burundi. Mais le pouvoir burundais repousse toutes les injonctions, et d'accusé se transforme en accusateur, par exemple en faisant manifester plusieurs milliers de personnes pour conspuer l'Union européenne, quelques jours après le vote, le 19 janvier, par le parlement européen d'une résolution qui fait l'inventaire de la dégradation de la situation au Burundi et son impact pour l'Afrique centrale.

Si le pouvoir reste sourd aux appels de la communauté internationale, c'est aussi qu'il a fait le vide : les médias indépendants ont été fermés, les Ong étrangères sont parties, les ong burundaises radiées. Les opposants ont fui ou se cachent. Il n'y a plus de témoins. C'est le règne de la peur et de l'impunité. La seule solution serait de parvenir à remettre le pouvoir et l'opposition, regroupée dans le CNARED (Conseil national pour le respect de l'accord d'Arusha) autour d'une table de négociation. Jusqu'ici, le pouvoir les a boudées ou boycottées. "Nkurunziza, qui se dit inspiré par Dieu, veut entraîner le Burundi dans sa chute. Il y a des gens qui meurent de faim.  Pourtant, il sait qu'il devra quitter le pouvoir un jour. Il n'y a pas d'autre solution que la négociation" conclut Juliette Nijimbere.   

Françoise Nice