Burundi : Quel bilan, quelles leçons faut-il tirer des deux années de crise ? |
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Jeune Afrique, 01 mai 2017 Gérard Birantamije [photo] : « La communauté internationale aurait dû intervenir au Burundi » Il y a deux ans, le 26 avril 2015, des manifestations dirigées contre la décision de Pierre Nkurunziza de se représenter pour un troisième mandat éclataient à Bujumbura. Une contestation qui s’est rapidement transformée en une véritable crise politique avec une tentative de coup d’État, une répression féroce faisant des centaines de morts et de disparus, des centaines de milliers d’exilés… Deux ans après, le Burundi reste toujours dans l’impasse politique, entre un dialogue hésitant et les prémices d’une nouvelle guerre civile. Quel bilan, quelles leçons pour l’avenir faut-il tirer de ces deux années de crise ? Gérard Birantamije, politologue burundais et professeur d’université, répond aux questions de Jeune Afrique. Jeune Afrique : Deux ans de crise, plus de 500 morts selon l’ONU, 2000 selon les organisations de défense des droits de l’homme, des centaines de disparus, plus de 400 000 réfugiés burundais dans les pays voisins… N’est-ce pas un peu trop pour la stabilité d’un pays qui venait juste de sortir de la guerre civile ? Gérard Birantamije : Même pour une seule personne, c’est toujours beaucoup, lorsqu’il s’agit d’une mort administrée, d’un emprisonnement abusif et injuste ou d’un exil qui n’est pas une immigration voulue. Bien évidemment, avec la fin de la crise en 2005, ou après la signature du cessez-le-feu par le FNL (Front national de libération) en 2009, tout le monde avait poussé un ouf de soulagement. Les Burundais avaient espéré recouvrer la paix et la quiétude pour pouvoir vaquer à leurs activités de survie en attendant un sursaut national sur la question du développement. Et voilà que nous faisons machine arrière, comme pour valider les projections de certains chercheurs, selon lesquelles le Burundi doit replonger tous les 10 ans dans un conflit politique. L’opposition, principalement le Cnared, veut négocier avec le régime. Ce dernier privilégie en revanche le « dialogue interne » qui exclut un bon nombre d’acteurs, notamment les opposants en exil. Jusqu’où peut mener un tel dialogue de sourds ? Le problème : les deux sourds ne sont pas dans les mêmes rapports de force. Le premier, le gouvernement, a le pouvoir quoique contesté, et en tire des dividendes. La seconde, l’opposition, réclame à corps et à cris le dialogue inclusif. Elle a raison et ses arguments sont bien fondés. Mais encore faut-il qu’elle sache que la noblesse des sentiments n’est rien sans la force. Concrètement, ce dialogue va mener à la fatigue des acteurs impliqués et concernés, et Nkurunziza va finir son mandat avant de rempiler pour un autre. Il suffit de voir que tous les soutiens de l’opposition se sont érodés au fur et à mesure que le temps passe, et les différents bailleurs se bousculent pour financer tel ou tel programme. Demain ils vont financer les élections, et appeler les opposants à rentrer pour la compétition tout en sachant que l’espace public est plus que jamais verrouillé. Et que dire de l’efficacité des sanctions financières prises par ces mêmes bailleurs, à l’instar de l’Union européenne, pour contraindre le régime à s’asseoir à la table avec ses opposants ? Les sanctions prises par l’Union européenne ont joué un rôle très limité. Elles ont certes booster un peu la dynamique des négociations. Mais elles demeurent isolées. D’une part, certains programmes des différentes coopérations bilatérales des pays membres de l’UE ont continué. Les différents ambassadeurs s’en félicitent d’ailleurs. D’autre part, le Burundi n’avait pas que ces seules ressources. Il y en a d’autres qui n’ont pas été gelées. Le gouvernement de Nkurunziza a continué à recevoir une manne financière étrangère via d’autres créneaux [comme l’aide chinoise par exemple, NDLR]. Par ailleurs ces sanctions n’ont pas touché ni les avoirs du chef de l’État, ni les limitations des mouvements des membres du gouvernement et de ses idéologues qui ont continué à parcourir le monde librement pour justifier leurs agissements. Quel commentaire faites-vous au sujet de l’opinion selon laquelle la communauté internationale ne fait pas assez pour mettre fin à la violence au Burundi ? Au regard de la situation actuelle, personnellement je dirais que ceux qui s’en prennent à la communauté internationale ont uniquement raison si l’on considère la situation chaotique caractérisée par les assassinats, les disparitions, les exécutions extrajudiciaires, les discours de haine et la « miliciarisation » des jeunes… Au nom de la responsabilité de protéger, la communauté internationale aurait dû intervenir de manière musclée pour arrêter ce que certains appelle actuellement le « slow genocide ». Que risque le Burundi si une telle situation perdure ? On peut envisager trois scenarii : le premier est celui d’un « dead conflict ». Tous les acteurs vont se rendre progressivement à l’évidence qu’ils ne peuvent rien faire. Les politiques, eux, continueront à égrener leur chapelet de communiqué et de contre-communiqué. Au final, on oubliera même qui a raison et qui a tort. Entre temps, le pouvoir s’activera à cibler les opposants en interne de manière subtile pour décourager définitivement toute velléité de contestation. Le second concerne la sous-région et la communauté internationale qui peuvent se ressaisir et taper du poing sur la table pour amener Nkurunziza à négocier avec les vrais protagonistes. Mais encore faudrait-il que les pays de la sous-région y voient de l’intérêt. Sur le long terme, le seul scenario possible pour changer la donne est celui de la recomposition des oppositions. Elles pourraient transcender leurs divisions naturelles pour mener une lutte commune. C’est-à-dire ?… Cela veut dire à la fois une lutte politique et une lutte armée visant à équilibrer les rapports de force, et surtout acquérir de la légitimité vis à vis de la communauté internationale qui ne peut pas continuer à investir dans un dialogue de sourds. Ce scénario n’est pas évident et il implique une guerre que la communauté internationale ne peut soutenir. Pour une lutte armée, on parle déjà d’une rébellion en gestation faite de militaires putschistes, le Forebu, mais aussi d’une branche armée du parti MSD (Mouvement pour la solidarité et la démocratie), le Red Tabara… Le défi est le même : quelle est leur capacité à déboulonner le système politique en place ? Ici, il faut entendre à la fois les moyens humains, matériels, financiers et idéologiques ainsi que les ressorts diplomatiques. Comment par exemple pourront-ils recueillir l’appui des populations et des diplomaties, avec ce que la guerre porte en elle en termes de violations des droits de l’homme ? Sans parler du terrain politique marqué par une opposition divisée. Si je ne doute pas de leur bonne foi, je me permets tout de même de douter de l’efficacité de cette entreprise même si ceci reste une hypothèse parmi d’autre pour les prochaines années. Par Armel Gilbert Bukeyeneza
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