Le Burundi institue le mariage obligatoire
Société

Paris Match, 14/06/2017 

Au Burundi, une police conjugale traque les concubins. Non mariés, ils sont illégaux et tombent sous le coup d’une nouvelle loi qui s’inscrit dans la dérive totalitaire orchestrée par le clan Nkurunziza.

C’est le nouveau mot d’ordre du Président burundais, Pierre Nkurunziza. Dans une déclaration du 1er mai dernier, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Térence Ntahiraja, a dévoilé la nouvelle mesure choc du plan de « moralisation de la société » du petit pays de la région des Grands Lacs.

Dores et déjà annoncée en août 2013, la croisade morale du gouvernement monte d’un cran. Pour « renforcer les valeurs traditionnelles positives de la société », tous les couples en concubinage, sont désormais dans l’obligation de se marier avant le 31 décembre 2017.

Des sanctions sont déjà prévues pour tous les amoureux réfractaires. Les autorités évoquent une amende de 50 000 FBu soit 22 euros, une véritable fortune pour les burundais dont le salaire moyen s’élève à 18 euros par mois.

Au-delà de cette pénalité financière, ce sont surtout les femmes et les enfants nés de ces unions « illégales » qui seront touchés. L’accouchement ne sera plus pris en charge et les enfants n’auront plus accès à une éducation et à des soins médicaux gratuits.

Officiellement, le gouvernement de Nkurunziza justifie cette mesure comme la solution permettant d’éradiquer les « maux » qui gangrènent le pays tels que, l’explosion démographique, les grossesses précoces ou encore la polygamie. Véritable non-sens, car cette dernière naît justement par le mariage. Ces obligations d’unions sont pourtant jugées nécessaires afin de raviver le patriotisme burundais pour une société basée sur des valeurs dites « positives ».

Pour Florent Geel, directeur du bureau Afrique de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH), ces unions de masse ont un double objectif, loin de ceux avancés par la présidence. « Le gouvernement a besoin d’argent donc ces mariages permettent une rentrée financière et surtout, d’un point de vue sécuritaire, de retracer les liens dans les familles pour assurer une pression constante sur la société burundaise en cas de troubles. »

"La prochaine étape sera l’identification par l’ethnie."

Cette nouvelle décision sur les mariages obligatoires vient s’inscrire dans un plan plus global de réécriture du roman national initié en aout 2013 : faire renaitre les valeurs d’Ubuntu (dignité, humanité burundaise) qui auraient « totalement disparu de la société ».

« Dans une logique jusqu’auboutiste, le régime, allié au clergé, impose sa lecture ethniciste de l’histoire burundaise, plaçant les Utuh comme des élus de Dieu pour légitimer leur pouvoir sur la minorité Tutsi. » Selon Florent Geel, Nkurunziza a déjà commencé l’épuration des Tutsi dans l’armée : annonce d’un génocide à venir sur lequel la FIDH alertait déjà l’année passée.

Génocide à huit clos

Au pouvoir depuis août 2005, Nkunrunziza a peu a peu verrouillé la socitété burundaise. Les fermetures successives des ONG sur place, dont l’emblématique ITEKA récemment, l’instrumentalisation de la presse et la « dérive totalitariste » en témoignent. En 2016, le Président a annoncé le retrait du Burundi de la CPI et la rupture de la coopération avec les Nations Unies. De plus en plus inaccessible, la population burundaise se retrouve seule, victime de la repression systématique du clan Nkurunziza. 

Quand on sait que la denière révolte en 1993 a fait 300 000  morts, ça nous laisse imaginer le potentiel explosif du pays

En coopération avec le peu d’humanitaires et de soutiens encore présents sur place, la FIDH a réalisé un rapport, disponible la semaine prochaine, au sujet de la situation burundaise. Objectif affiché de la FIDH cet été : faire reconnaître par la CPI, les crimes de guerre et contre l’humanité perpetrés dans le pays. 

Abigail Gérard et Caroline Petit