L’UE échoue à convaincre le groupe ACP de sanctionner le Burundi
Diplomatie

EURACTIV, 23 juin 2017

Les Européens ne parviennent pas à mobiliser les pays en développement pour condamner le Burundi, en crise politique depuis 2 ans.

Les critiques venues d’Europe ne sont pas les bienvenues chez les pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. A l’occasion de la 32ème assemblée parlementaire paritaire ACP-UE qui s’est tenue du lundi 19 au mercredi 21 juin, à Malte, les Européens l’ont une nouvelle fois constaté concernant le Burundi.

La situation politique du pays a dégénéré depuis avril 2015, lorsque le président Pierre Nkurunziza a annoncé sa candidature pour un troisième mandat – qu’il a obtenu en juillet. Depuis deux ans la situation politique n’a cessé de se dégrader. Le président veut désormais obtenir sa nomination à vie et les exactions se multiplient contre les opposants. Depuis mars 2016, l’Union européenne a suspendu l’aide directe destinée à l’administration burundaise du président Pierre Nkurunziza sur la base de l’Accord de Cotonou de 2000, qui lie les pays membres de l’UE et les 77 pays du groupe ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), à un respect des droits humains et démocratiques.

Dérives

À l’occasion de la 33ème assemblée parlementaire ACP-UE, les représentants européens ont tenté de faire adopter une résolution condamnant les dérives en matière de droit humain du pouvoir en place au Burundi. En vain.

« C’est une fois encore la même situation. Les pays africains refusent toute critique de la part de l’Europe concernant le respect des droits humains et la situation politique. Nous avons eu le même rejet en bloc lors de la dernière assemblée concernant la situation au Gabon », explique l’eurodéputé socialiste allemand Jo Leinen.

Après avoir proposé une première résolution condamnant la situation politique du pays rejeté par la majorité des pays ACP, les représentants européens ont tenté de proposer une nouvelle version de la résolution. « L’UE proposait d’envoyer une nouvelle délégation d’observation au Burundi pour témoigner de la situation et de reporter le vote d’une résolution à la prochaine assemblée. Cette proposition a également été rejetée » poursuit Jo Leinen.

« Il y a un véritable refus de la part des pays africains de recevoir des leçons de la part des pays européens en matière de droit de l’Homme. Et ce même si certains pays condamnent l’attitude du Burundi » regrette l’élu européen.

Ce rejet en bloc des propositions européennes n’est pas nouveau au sein de l’instance paritaire. Lors de la dernière assemblée, c’est le cas du Gabon qui avait fait l’objet d’un blocage similaire.

En décembre 2016, l’adoption d’une résolution commune sur la situation post-électorale au Gabon entre les parlementaires européens et ceux des pays ACP a tourné court. Les députés européens avaient tenté de faire adopter un texte remettant en question le résultat des élections. De son côté, le Gabon avait vertement critiqué le manque d’indépendance de la mission d’observation européenne sur le processus électoral.

Faute d’accord avec les pays ACP, les députés européens avaient finalement adopté en janvier 2017 une résolution condamnant unilatéralement la situation gabonaise.

Tensions diplomatiques

Si la résolution européenne n’a pas été adoptée, celle proposée par le Burundi a également été rejetée par les députées. La résolution proposée par le Burundi « demande à l’Union européenne et aux États membres de tenir compte de toutes les performances réalisées par le gouvernement […] » et de « lever les sanctions prises contre le Burundi ».

Selon une source européenne, la stabilisation du pays est loin d’être une réalité. Début juin, le nombre de réfugiés ayant quitté  le pays depuis avril 2015 s’élevait à plus de 400 000 personnes, et les déplacés internes à 200 000.

Par ailleurs, les assassinats, les arrestations arbitraires et les disparitions forcées continuent se poursuivent depuis le début de la crise. Pour le mois de mars 2017, 826 cas d’arrestations arbitraires ont été relevées, 61 cas de tortures, 9 assassinats et 48 cas de disparition.

Mais les tensions diplomatiques entre Bujumbura et Bruxelles avaient déjà atteint un pic un peu plus tôt dans le mois. Dans un communiqué du gouvernement burundais publié le lundi 5 juin, le gouvernement affirmait avoir pris connaissance « de la circulation d’un document portant sur la probable implication de l’Union européenne dans la déstabilisation des Institutions Républicaines du Burundi ».

Les documents mentionnés par le Burundi sont ceux faisant état d’une probable intervention de l’Union européenne dans l’exfiltration de certains activistes burundais des droits de l’Homme. De son côté, l’UE avait réfuté tout interventionnisme dans un communiqué publié le 8 juin, affirmant que les accusations étaient le fruit « d’une interprétation volontairement erronée d’un programme de soutien aux défenseurs des droits de l’homme. »

Conditionnalité de l’aide

Avec une aide globale de quelque 430 millions d’euros pour la période 2015-2020, l’UE est le premier donateur du Burundi. Et malgré la suspension de l’aide directe depuis plus d’un an, le dialogue avec le Burundi ressemble de plus en plus à un dialogue de sourds.

Une situation récurrente dans les relations entre l’UE et les pays ACP, régies par l’Accord de Cotonou. Adopté en 2000, cet accord encadre les relations entre l’UE et les pays ACP sur le plan politique, économique et du développement. Et un de ses pivots repose sur les droits de l’homme, les principes démocratiques et l’État de droit, que les deux parties s’engagent à respecter.

« Nous n’allons plus pouvoir longtemps faire l’économie d’un débat de fond sur la question des droits de l’Homme » reconnait Jo Leinen. Le débat devrait d’ailleurs rapidement s’imposer dans l’agenda les pays ACP et Européens, qui doivent entamer en septembre 2018 les négociations pour réviser l’accord de Cotonou.

Par Cécile Barbière |