Réinhumation en Suisse de Mwambutsa IV après cinq ans de bataille juridique
Société

24heures, 24.06.2017

«L’âme du roi va enfin pouvoir trouver la paix»

Réinhumation de Mwambutsa IV du Burundi Les restes du monarque du Burundi seront redéposés la semaine prochaine au cimetière de Meyrin après cinq ans de bataille juridique. Sa dernière compagne ainsi que sa nièce témoignent.

«Il aura fallu cinq ans de bataille judiciaire mais mon oncle, le roi du Burundi, va enfin trouver la paix à l’occasion de sa réinhumation à la fin du mois.» Contactée cette semaine à Paris, la nièce du monarque africain, la princesse Esther Kamatari, ambassadrice de Guerlain, se prépare pour cette cérémonie qui aura lieu le 30 juin au cimetière de Meyrin: «Ce n’est pas une victoire personnelle. Mais celle du peuple burundais.»

Né en 1912, couronné à l’âge de 3 ans, Mwambutsa IV a été investi des pleins pouvoirs à 31 ans. Après trente-cinq ans de règne éclairé et habile, cet artisan de l’indépendance du Burundi en 1962 est renversé en 1966 par… son fils. Le roi déchu s’exile en Suisse. Il demande et obtient l’asile, puis un permis d’établissement, à Genève. Gravement malade dès les années 70, il sent la mort venir. C’est dans un dernier sursaut qu’il écrit son testament en février 1977 et demande à être enterré au cimetière de Meyrin, sa commune d’adoption. Il meurt deux mois plus tard. Son dernier vœu est exaucé.

«Nos plus belles années»

Mais, trente-sept ans plus tard, le Burundi veut rapatrier les restes du monarque. La fille du défunt, soutenue par le gouvernement burundais, veut offrir à son père des funérailles nationales. Elle parvient à le faire hâtivement exhumer. Les autorités du pays africain déclarent vouloir ainsi rendre honneur à la famille royale. Le pays étant soumis à de fortes tensions, les funérailles auraient instauré, selon la fille du défunt, un processus d’apaisement et de réconciliation au sein de la population. La nièce du roi s’y oppose. En attendant que les juges genevois et fédéraux tranchent, les restes du roi sont déposés dans une entreprise de pompes funèbres (lire ci-dessous). La Cour de justice puis le Tribunal fédéral ont débouté ce printemps le Burundi. Ce rapatriement aurait contrevenu aux dernières volontés du défunt, concluent les magistrats.

«Un grand mérite revient à la compagne du roi, Erika Regenfelder, qui a soutenu mon oncle et défendu sa mémoire. C’est d’ailleurs elle qui avait payé les obsèques à l’époque.» Malade, le dernier amour du roi, qui vit encore dans le canton, ne fera pas le déplacement le 30 juin au cimetière: «Mais j’enverrai une couronne de fleurs en souvenir de nos dix ans de vie commune», confie Erika Regenfelder. La retraitée évoque sa rencontre avec le roi: «J’avais 21 ans quand il m’a proposé de partir trois semaines à Marbella. C’était en 1968. Nous sommes finalement restés neuf mois. C’était le moment le plus heureux de mes années passées avec cet homme gentil et compréhensif.» A son arrivée en Suisse, le monarque, qui était habitué à être entouré par une cour et du personnel, se retrouve quelque peu démuni, se souvient Erika Regenfelder: «J’allais faire ses courses. C’est un peu compliqué de vivre avec un roi en exil. J’étais bien plus jeune que lui, nous n’avons pas eu d’enfants. Il était assez seul. Ses compatriotes n’osaient pas lui rendre visite de peur des représailles (ndlr: d’opposants politiques). Et puis est venue sa maladie. Elle a duré quatre ans.»

La présence du roi à Meyrin n’est pas passée inaperçue auprès des habitants qui se souviennent d’un homme chauve et voûté se promenant vêtu d’un costume prince-de-galles et d’un pardessus de vigogne. Chaussé de bottillons, le monarque portait souvent des gants de peau et des lunettes à la lourde monture d’écaille. Les passants le saluaient d’un populaire «Bonjour Monsieur».

Malgré sa discrétion et la pudeur du voisinage, l’image de cette personnalité a marqué les esprits. Il représentait un fragment d’histoire africaine fait de gloire, de trahison, de sang et de larmes.

Une belle américaine

«Au pays, quand j’avais 10 ans, en 1961, mon oncle me donnait de l’argent pour aller au Ciné-Burundi situé en face de son Palais royal, se souvient aujourd’hui sa nièce Esther Kamatari. Au programme, il y avait des westerns. J’invitais les enfants du quartier. Un premier groupe regardait la première partie. A l’entracte, il donnait ses billets au second groupe. A la fin de la projection, on se réunissait tous pour reconstituer le film. Mon oncle était un homme bon. Je me souviendrai toujours de sa voiture américaine beige et son intérieur en cuir bordeaux.» La princesse, qui a perdu son père (ndlr: frère de Mwambutsa IV) tué «dans une mise en scène d’un étrange accident de la route en 1964», a vu ensuite le roi renversé par son propre fils deux ans plus tard. Un fils qui sera lui aussi assassiné par la suite. Mwambutsa IV échappera, lui, à ce destin funeste grâce à son exil en Suisse.

Sa nièce lui avait rendu visite à Genève en 1976 à l’hôpital. Quelques mois avant sa mort. «C’est la dernière fois que je l’ai vu. Je ne savais pas quoi lui offrir. J’ai opté pour une rose rouge. Il ne parlait presque plus. Il m’a regardée en serrant ma main. Ce regard m’a donné la volonté de me battre. Heureusement, la Suisse prouve aujourd’hui que la justice existe.»

Par Fedele Mendicino