Présidentielle au Rwanda : les dés sont jetés et pipés
Afrique

ARTE Info, 2 août 2017

Paul Kagame, président du Rwanda jusqu’en 2034 ?

Le 4 août, les Rwandais se rendent aux urnes pour élire leur prochain président. Un scrutin qui ne laisse pas de place à la surprise : le président sortant, Paul Kagame, est archi-favori. Il dirige le pays d’une main de fer et présente deux visages.

Il est celui qui a relevé un pays meurtri par le génocide de 1994 et qui a réussi à relancer une économie exsangue. Mais c’est aussi un despote qui étouffe le moindre souffle d’opposition et qui a tout fait pour confisquer le pouvoir pendant vingt-trois ans. Ces élections ne se jouent donc pas à pile ou face, les dés sont jetés et pipés.

Avec Gerd Hankel, juriste et chercheur spécialiste du Rwanda à l’Institut de recherche d’Hambourg, ARTE Info dresse un état des lieux du Rwanda aujourd’hui.

Comment Paul Kagame tient les rênes du pouvoir 

Paul Kagame est l'homme fort du pays depuis juillet 1994 : à l'époque, la rébellion qu’il a menée avec le Front patriotique rwandais (FPR) a chassé de Kigali les extrémistes hutus et mis fin au génocide qui a coûté la vie à huit cent mille personnes. Après ce fait d’armes, il est devenu vice-président et ministre de la Défense, puis a remporté les élections présidentielles de 2003 avec plus de 95 % des suffrages et recueilli 93 % des voix en 2010.

Son règne devait s’arrêter en 2017, après deux mandats présidentiels, la limite fixée par la Constitution rwandaise. Mais il a réussi à contourner ce système grâce à une réforme constitutionnelle plébiscitée par référendum en décembre 2015. Il est donc autorisé à briguer un troisième mandat de sept ans, puis deux quinquennats. Il peut potentiellement diriger le Rwanda jusqu'en 2034.

Comment expliquer le résultat des élections passées -plus de 90% des suffrages exprimés ? Pour Gerd Hankel, "il ne s’agit pas d’élections libres. Le secret du scrutin n’est pas garanti et cela permet de savoir qui vote pour qui". Au Rwanda, manifester son désaccord est "trop dangereux" : en 2015, "beaucoup de Rwandais n’ont pas voté, mais se sont retrouvés sur ces listes qui ont été signées collectivement sans leur accord".

Ce constat est d’ailleurs partagé dans le dernier rapport d’Amnesty international : "Depuis que le FPR est arrivé au pouvoir, il y a vingt-trois ans, il est difficile pour les Rwandais de participer à la vie publique et de critiquer ouvertement les politiques gouvernementales ; certains le paient même de leur vie" (Muthoni Wanyeki, directrice du programme Afrique de l’Est).

L’essor économique, un mirage ?

L’autre facteur qui explique cette opposition atone est la réussite économique du Rwanda, qui a connu une croissance "robuste" de 7,9% entre 2000 et 2015, selon la Banque africaine de développement. C’est aussi le pays africain qui a le plus fait reculer la pauvreté : le taux de pauvreté est passé de 56,7% en 2005-2006 à 39,1% en 2013-2014.

Pour Gerd Hankel, la majorité des Rwandais veut préserver cet essor économique, même au prix de restrictions des libertés fondamentales. C’est ainsi qu’il explique l’engouement des meetings électoraux de Kagame, qui "mobilisent entre deux cent mille et trois cent mille personnes : leur présence est attendue afin de prouver qu’elles sont en faveur d’un nouveau Rwanda. Mais c’est une autre histoire que de savoir si ce fait traduit la confiance dans l’homme ou un désir de développement pour le pays".

Cet équilibre est fragile : que va-t-il se passer lorsque l'économie se retrouvera en berne ? Certes, le pays connaît une croissance de plus de 7%, mais il est aussi touché par une explosion démographique sans précédent : la population a doublé depuis le génocide, passant de sept à quatorze millions de Rwandais.

"L’essor économique est de ce fait dévoré", selon le chercheur de l’université de Hambourg : une baisse de la croissance engendrerait forcément une baisse du niveau de développement. De plus, "les inégalités entre les villes et les zones rurales sont considérables. Cela induit forcément des mécontentements."

Le spectre du génocide de 1994

En 1994, Paul Kagame est l’homme qui a permis de reconstruire un pays dévasté par un génocide. Il l’a fait d’abord par le développement économique du Rwanda, mais aussi par un autoritarisme assumé, qui se justifie par l’histoire du pays, qui "a derrière lui l’expérience de violences extrêmes. Ceci paraît donc dans un premier temps logique de dire qu’il ne faut pas que se reproduisent les mêmes événements. Une liberté de la presse sans aucune limite ne peut pas être mise en avant, dans la mesure où elle a été dévoyée en son temps pour exhorter au génocide" , selon Gerd Hankel. 

Mais plus de vingt ans après, régner avec un tel autoritarisme peut-il encore se justifier ? Le régime a-t-il encore besoin de cette "allégeance inconditionnelle" de la population ? Pour le spécialiste du Rwanda, aujourd’hui ces arguments ne tiennent plus : cet autoritarisme ne "sert plus qu’à renforcer un pouvoir". Pire, le travail de mémoire n’a pas été réalisé et de nombreux points de l’Histoire restent dans l’ombre.

"Au moins trois cent mille Tutsi ont survécu au génocide et au moins 80% de ces derniers ont été sauvés par leurs voisins hutus. De nombreux Hutus ont été eux-mêmes victimes du régime génocidaire. Ils se sont réfugiés au Zaïre, où ils ont été poursuivis et assassinés. Autant d’éléments qui n’ont pas donné lieu à un débat public. Il n’existe pas de processus de réconciliation qui suppose que les victimes parlent des souffrances endurées et que celles-ci soient mutuellement reconnues."

Il y a une forme de déni ou au moins de non-dit, qui mine le pays sur le plan sociétal. La paix est achetée à coup de croissance et elle est maintenue par la force, en refoulant la mémoire. Pour Gerd Hankel, ce sont autant de graines explosives dont on ne peut guère mesurer la portée. "Les mêmes erreurs sont en passe d’être commises : le côté triste de cette évolution est qu’une des raisons avérées ayant déclenché le génocide rwandais a été que depuis son indépendance en 1962, il avait connu un régime de parti unique". En d’autres termes : "les leçons du passé n’ont pas été tirées".

@Mathieu Boch, Anne Mangin