Burundi : Les amis de la criminelle milice Imbonerakure
Politique

La Libre Belgique, 4 septembre 2017

Les enquêteurs de l’Onu sur les violations des droits de l’homme au Burundi viennent de presser la Cour pénale internationale (CPI) d’ouvrir une dossier sur ce pays en raison de graves abus commis « en majorité par des membres du Service national de renseignement, de la police et de l’armée, ainsi que des Imbonerakure », la ligue des jeunes du parti au pouvoir, le CNDD-FDD.

L’Onu qualifie depuis plusieurs années les Imbonerakure de « milice » et les ONG burundaises les accusent de nombreux crimes.

Malgré cela, et malgré le scandale international causé en avril 2017 par la découverte que certains chants des Imbonerakure, régulièrement entonnés, encourageaient à violer les opposantes présumées, plusieurs ligues de la jeunesse de partis au pouvoir dans d’autres pays ont répondu, fin août, à une invitation à participer à des activités des Imbonerakure au Burundi, à l’occasion du deuxième anniversaire de l’élection – non régulière – du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, bien que ce dernier soit expréssément interdit par l’Accord de paix d’Arusha qui avait mis fin à la guerre civile burundaise (1993-2005).

La crise que cette élection a suscitée a fait de 500 à 2000 morts et 400 000 réfugiés dans les pays voisins et entraîné une profonde crise économique. Selon des sources diplomatiques et sécuritaires citées par l’AFP, le pouvoir a imposé la terreur grâce à un maillage du territoire à partir de l’administration territoriale, totalement contrôlée par le CNDD-FDD, des Imbonerakure et du Service national de Renseignement. Selon la Féderation internationale des ligues de défense des droits de l’homme (FIDH), les Imbonerakure « sont devenus au fil du temps le fer de lance de la répression ».

Les invités étrangers des Imbonerakure – qui ont offert à Pierre Nkurunziza une sculpture accompagnée du message « restez au pouvoir à jamais » – venaient du Cameroun, du Tchad, des deux Soudan, des deux Congo, de Tanzanie et de Turquie.

Le PPRD de Joseph Kabila

Kinshasa avait envoyé pour cinq jours une délégation du parti présidentiel PPRD, dont les dix membres avaient été choisis par le secrétaire général du parti, Henri Mova, ancien ambassadeur en Belgique. On ignore qui a assumé le coût de ce séjour, le Congo comme le Burundi rencontrant d’importantes difficultés financières liées à la mauvaise gouvernance.

Cette participation a, en tout cas, provoqué un certain mécontentement dans les rangs de la Majorité présidentielle congolaise, a relevé notre consoeur « Jeune Afrique », tandis que le président de la jeunesse du PPRD justifiait le voyage par le fait qu’« il ne s’agissait pas d’une rencontre bilatérale ».

La Tanzanie neutre?

La participation d’une délégation de Tanzanie pose également problème alors que le « facilitateur » dans la crise burundaise – supposé neutre – est  l’ex-président tanzanien Benjamin Mkapa. Ce dernier a déjà suscité beaucoup de critiques pour l’aisance avec laquelle il accepte que le président Nkurunziza refuse toute participation du gouvernement ou de son parti à des pourparlers de paix avec l’opposition.

La neutralité de Dar es Salam avait déjà été fortement écornée lorsqu’en juillet dernier, le président John Magufuli – lui aussi du parti Chama cha Mapinduzi, au pouvoir depuis 1977 – avait suscité un scandale en appelant les réfugiés burundais (ils sont 240 000) sur son territoire à rentrer chez eux, à l’issue d’une visite de son homologue burundais. « Ceux qui prêchent que le Burundi n’est pas en paix doivent cesser cet évangile », avait-il déclaré après avoir « ordonné » au ministre de l’Intérieur « d’arrêter d’accorder la nationalité (tanzanienne) aux réfugiés. Il faut que nous apprenions à servir nos pays ». S’adressant aux réfugiés, il avait déclaré: « Mes frères burundais, je vous prie de rentrer chez vous pour bâtir votre pays. Vous venez d’entendre votre Président; préparez-vous dès aujourd’hui à rentrer chez vous ».

La Turquie, à la chasse aux marchés et …à Gülen

Seule délégation non africaine qui a participé aux festivités des Imbonerakure, les Turcs ont nécessairement attiré l’attention. Le régime Nkurunziza s’est tourné vers Ankara dès le coup de froid avec ses partenaires européens qu’avait entraîné sa violation, en 2015, de l’Accord de paix d’Arusha. En avril 2017, le régime burundais a ouvert une ambassade à Ankara (la Turquie a promis de faire bientôt de même) et, en juin, a eu lieu la première visite en Turquie d’un ministre burundais des Affaires étrangères. En juillet les députés ont adopté un projet d’accord de coopération commerciale et économique.

Le Burundi exporte peu, en dehors du café – et ne dispose donc guère de devises pour payer ses importations. La Turquie cherche à multiplier ses débouchés économiques; on parle de liaison aérienne à ouvrir pour Turkish Airlines et de l’installation d’entreprises turques dans une zone franche à la frontière RDC-Burundi.

Les deux pays, associés par l’Association des journalistes professionnels, le 3 mai dernier, comme des Etats « où se meurt la liberté de la presse », soulignent, quant à eux, qu’ils ont tous les deux été victimes de tentatives de coup d’Etat dont ils sont sortis vainqueurs. Ankara souhaite « une coopération très forte entre nos deux pays pour condamner le terrorisme international », a déclaré en mai l’envoyé spécial du président Erdogan à Bujumbura, Hassan Yavuz.

Car l’activisme actuel de la Turquie en Afrique vise surtout à y pourchasser le mouvement Hizmet (« service ») du milliardaire turc Fetullah Gülen, 76 ans, ancien allié du président turc qui l’a déclaré son ennemi depuis que ce dernier s’en est éloigné à cause de la répression, en 2013, du mouvement de contestation Taksim Gezi. Hizmet est bien implanté en Afrique, où il a ouvert des dizaines d’écoles au Burkina Faso, en Côte-d’Ivoire, au Mali, au Niger, en RDC et au Sénégal. Des ONG proches de Gûlen mènent des actions humanitaires dans une vingtaine de pays africains.