Burundi : le projet de nouvelle Constitution, coup de grâce à l'accord d'Arusha
Politique

RFI, 27-10-2017

Le projet de révision constitutionnelle adopté mardi 24 octobre en Conseil des ministres au Burundi fait réagir. S'il est validé par référendum, ce texte permettra au président burundais Pierre Nkurunziza (photo) de se maintenir au pouvoir jusqu'en 2034, voire 2041, et donnera ainsi le coup de grâce à l'accord d'Arusha, signé en 2000, un texte qui interdit à un chef d'Etat de rester au pouvoir plus de dix ans. Toute référence à cet accord de paix est donc gommée dans le projet de nouvelle Constitution.

L'accord d'Arusha est pourtant considéré par beaucoup comme le socle du Burundi moderne, car il a permis au pays de sortir de la guerre civile en définissant les règles du partage du pouvoir.

En privé, les dirigeants burundais ne s'étaient jamais vraiment gênés pour tirer à boulets rouges sur l'accord d'Arusha, qu'il considère comme injuste. L'actuel pouvoir était d'ailleurs toujours dans le maquis au moment de sa signature en 2000 et ne l'avait rallié qu'aux forceps quatre ans plus tard.

Le travail de dépeçage des acquis d'Arusha est donc déjà à l'œuvre depuis plusieurs années, mais en gommant toute référence à ce texte fondateur dans le nouveau projet de Constitution, Bujumbura franchit une étape importante. « La ligne rouge », estime même l'opposant Charles Nditije, qui parle d'une « déclaration de guerre » au peuple burundais.

Sur le papier, l'équilibre ethnique prévu par Arusha perdure : 60% de Hutus et 40% de Tutsis au gouvernement et au Parlement, parité dans l'armée et dans la police. Mais dans les faits, cet équilibre est déjà rompu, car les logiques politiques qui allaient avec ont volé en éclats. Par exemple, le poste de vice-président. En théorie, il revient à l'ethnie tutsie, mais dès 2014, la personnalité choisie par l'Uprona, plus grand parti tutsi, a été limogée et remplacée par un membre de ce même parti, mais considéré comme « vendu » au pouvoir.

Si la nouvelle Constitution est adoptée, les lois au Parlement seront par ailleurs votées à la majorité simple et non plus des deux tiers, reléguant ainsi la minorité tutsie au rôle de figurant au sein de l'hémicycle, fulmine un opposant.

« Un coup fatal au processus de négociation inclusif »

Pour Charles Nditije, président du Cnared, la principale plateforme de l'opposition intérieure et en exil, ce projet de réforme porte « un coup fatal au processus de négociation inclusif qui battait de l'aile ». « Toutes les voies de recherche d'une négociation pacifique sont désormais bloquées », prévient l'opposant.

Charles Nditije : « M. Nkurunziza vient de tourner définitivement le dos à l'accord d'Arusha »

Le porte-parole du gouvernement burundais n'a pas répondu aux sollicitations de RFI.

Dans un communiqué, Louis Michel, député européen qui avait joué en coulisse un rôle important dans le processus qui a mené à la signature de l'accord d'Arusha en l'an 2000, « condamne » ce projet de révision. Selon lui, il « nie » l'accord d'Arusha. « Nous ne pouvons pas continuer à fermer les yeux sur les manipulations constitutionnelles et exactions graves du gouvernement burundais », estime l'ancien ministre belge des Affaires étrangères. Il appelle la communauté internationale, les Nations unies, l'Union européenne et l'Union africaine à ne pas rester « passives ». « Le drame des Burundais a assez duré », conclut Louis Michel.

Le chercheur Pascal Kambale, du bureau régional Afrique d'Osiwa, rappelle que le président burundais Pierre Nkurunziza et son parti le CNDD-FDD n'ont jamais fait mystère de leur hostilité à l'accord d'Arusha.

Pascal Kambale : « Ils ont le sentiment que cet accord n'a pas pris la mesure des exactions, des massacres dont ils ont été victimes, et que cet accord a mis les massacreurs et leurs victimes sur un pied d'égalité. »