Nouvelle épisode cinglante dans le long feuilleton entre la CPI et le Burundi
Justice

PANA, 18 novembre 2017

Bujumbura, Burundi - Le gouvernement burundais a rejeté formellement, vendredi, une décision qu'il juge "atypique" prise, le 9 novembre dernier, par la Cour pénale internationale (CPI)" d’ouvrir une enquête sur de présumés crimes contre l’humanité, depuis le 26 avril 2015 jusqu’au 26 octobre 2017, période marquée par des violences autour des élections controversées dans ce pays africain des Grands lacs, indique un communiqué officiel.

Les «crimes contre l’humanité» en cause sont d’une ampleur d’«au moins 1.200 morts, des détentions illégales de milliers de personnes, la torture de milliers d'autres, des centaines de disparitions, ainsi que l’exil forcé de plus de 400.000 Burundais, d’avril 2015 jusqu’à mai 2017.

La conviction de la CPI est que «des membres des forces de sécurité burundaises et des éléments des Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir, avaient, en application de la politique d'un Etat, mené une attaque délibérée contre la population civile qui s'est soldée par de nombreux meurtres, emprisonnements, actes de torture, viols et autres formes de violence sexuelle, disparitions forcées et persécutions, constitutifs de crimes contre l'humanité".

La sortie médiatique longuement mûrie du pouvoir burundais fait suite à une préparation du terrain, notamment par la ministre de la Justice, Mme Aimé Laurentine Kanyana, qui avait déclaré à chaud, que la décision de la CPI était sans «effet», le Burundi s’étant retiré définitivement de la Cour depuis le 27 octobre dernier.

 «La CPI corrompue vient de se tirer encore une balle dans le pied. La tricherie saute aux yeux. Sans doute que le Burundi sortira vainqueur de cette bataille, c’est la dernière carte de l’Occident», avait prophétisé, également à chaud, le Conseiller principal en communication à la Présidence burundaise, Willy Nyamitwe.

Les rues de Bujumbura, la capitale du Burundi, et celles des grandes villes de l’intérieur du pays n’ont pas non plus chômé depuis que la décision de la CPI est tombée, le 9 novembre dernier.

Au niveau de la forme, le communiqué officiel n’apprécie pas d’avoir pris connaissance à ce jour de la décision de la CPI, que «par médias interposés».

Dans le fond, il s’agit, pour le gouvernement burundais, d’une «décision atypique» qui s’inscrit «dans la logique d’un vaste complot contre le Burundi», et visant «particulièrement» des institutions démocratiquement élues.

Le gouvernement burundais voit derrière cet «acharnement» de la CPI, « certains Burundais qui, par manque de patriotisme, se sont toujours rangés derrière ou aux côtés des puissances étrangères nostalgiques d’une période coloniale révolue».

Dans « cette course pour le renversement du gouvernement du Burundi, l’Union européenne, sous la houlette de la Belgique, ancienne puissance coloniale du Burundi et point focal de ce pays au niveau européen, sera la première à prendre les devants sur la scène internationale pour s’acharner contre le Burundi, jusqu’à faire commettre des erreurs et manquements graves à certains organes des Nations Unies », charge le communiqué.

Les pays de l’Union européenne et principaux partenaires techniques et financiers traditionnels maintiennent le gel de leurs aides directes au pouvoir burundais, accusé de ne pas en faire assez pour favoriser un dialogue de sortie de crise politique avec son opposition.

Le texte du communiqué en veut encore pour preuve de cette inimitié, les pressions qui ont été exercées par l’Union européenne sur l’Union africaine pour envoyer une «Mission africaine de protection au Burundi, forte de 5.000 hommes, avant qu’elle ne soit vouée à l’échec suite au refus de non recevoir de Bujumbura, au nom de la souveraineté nationale.

 «Les tentatives d’invasion étrangères » ne se sont pas limitées et le pouvoir burundais se fonde sur un projet de « Résolution 2303 » prévoyant l’envoi de quelque 228 policiers étrangers au Burundi, «sous la houlette de la France» et «sans consultation aucune, ni le consentement du pays concerné, en violation flagrante du principe fondamental du chapitre 6 de la Charte des Nations Unies ».

Le dernier acte connu du pouvoir burundais, « dans cette mise en scène pour déstabiliser le Burundi par l’Union européenne, sous la pression de la Belgique», a été « la course contre la montre pour obtenir la poursuite et la condamnation des plus hauts responsables des institutions de l’Etat burundais».

A cet effet,  la Procureure de la CPI, Mme Fatou Bensouda, est accusée d’avoir pris la décision, en avril 2016, de lancer un examen préliminaire, étape préalable à une enquête sur les violences commises au Burundi, sur la base de «faux rapports rédigés par des organisations non gouvernementale de défense des droits de l’Homme déjà acquises au complot contre le Burundi».

En somme, la CPI apparaît, aux yeux du pouvoir burundais, comme un «instrument politique des puissances qui financent son fonctionnement et rémunèrent ses magistrats».

Néanmoins, la décision de la CPI n’aura «aucun effet sur le Burundi, son peuple et ses institutions, d’autant plus que l’authenticité de la décision est très douteuse», parie le pouvoir burundais.

En fin de compte, «tous les acteurs dans cette machination n’auront fait qu’honorer leur contrat et percevoir leurs honoraires, malheureusement au détriment du droit et de la morale universelle», trouve le pouvoir burundais.

D’un autre côté, le gouvernement burundais remercie «vivement tous les pays amis qui ont montré leur solidarité avec le peuple burundais dont la souveraineté a failli être vendue aux enchères par les puissances nostalgiques de la période coloniale».

Il s’agit, entre autres, des chefs d’Etat et de gouvernements des pays africains, «particulièrement ceux de la famille de l’Afrique de l’Est » qui ont œuvré à ce que le Burundi garde « sa souveraineté et sa dignité parmi les nations », exception faite du Rwanda voisin qui s’est «désolidarisé».

Le communiqué salue, à part, une récente prise de position des Présidents ougandais,Yoweri Kaguta Museveni, et tanzanien, John Pombe Magufuli, contre la décision de la CPI, «des exemples éloquents de cette solidarité» panafricaine.

Les deux pays jouent un rôle de premier plan dans la médiation sous-régionale visant à trouver une issue pacifiquement négociée à la crise burundaise.

Le gouvernement burundais lance à la fin un appel au Secrétariat Général des Nations Unies de «veiller à mettre un terme à la politisation de certains des principaux organes de son système», particulièrement le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme et la CPI «qui sont devenus de véritables instruments de déstabilisation des Etats».

 «A l’allure et à la façon dont se prennent certaines résolutions et décisions, ces Institutions risquent de multiplier les tensions et conflits plutôt que de les résoudre, et ainsi affecter la crédibilité de tout le système des Nations Unies».

A l’Union européenne, le gouvernement burundais dit rester «ouvert» à toute coopération, «dans le strict respect de sa souveraineté et celle de son peuple» et demande aux Européens de «revoir toutes les mesures injustement prises à l’endroit du Burundi, par mauvaises informations ou sur la base des rapports mensongers qu’elle a elle-même financés».

A la Belgique, «principal architecte de cette campagne contre le Burundi», de « mettre fin à ses ambitions de remettre sous tutelle son ancienne colonie et à sa politique basée sur la haine, la division qu’elle a introduite dans le pays, depuis l’époque coloniale».

Si la Belgique n’est pas en mesure de jouer «le rôle d’avocat de son ancienne colonie», elle est tout au moins invitée à «arrêter son influence négative contre le Burundi auprès de l’Union européenne ».

Au peuple burundais, le gouvernement demande de «rester serein», de «s’atteler davantage aux travaux de développement» et de «se préparer avec sérénité» aux prochaines élections de 2020.

Pour sa part, le gouvernement rassure le peuple burundais qu’il «ne le trahira jamais et ne cédera aucun millimètre de sa souveraineté et son indépendance».

Le pouvoir burundais rassure encore le peuple que le conflit avec la CPI relève du passé et qu’il faut plutôt préparer l’avenir du pays.

Rien n’indique néanmoins que c’est la fin du long feuilleton entre le pouvoir burundais et une Cour pénale internationale qui intervient généralement en cas d’incapacité ou de manque de volonté des juridictions des Etats-parties à sévir contre les crimes contre l’humanité relevant du droit international.

La Cour compte même demander à ses juges de délivrer des mandats d'arrêt ou des citations à comparaître, «lorsqu'au vu des éléments recueillis, il y aura raisonnablement lieu de penser qu'une personne est pénalement responsable de crimes relevant de la compétence de la CPI».

Par ailleurs, le pouvoir burundais est tenu «légalement» de coopérer avec le Bureau de la CPI pour aider dans les enquêtes annoncées.

La Cour sollicite aussi le soutien des Etats-parties et de la Communauté internationale dans son ensemble pour atteindre ses objectifs.

On rappelle que le Conseil national pour la défense de l'Accord d'août 2000, à Arusha, en Tanzanie, sur la paix, la réconciliation et l'Etat de droit (Cnared, principale plate-forme de l'opposition en exil et à l'intérieur), ainsi que certaines organisations de la société civile ont, par contre, salué chaleureusement la décision de la CPI de "rendre enfin justice aux victimes des crimes avérés contre l'humanité" au Burundi.