Jean-Baptiste Alaize : «Mes nouveaux parents m'ont pris comme j'étais»
Diaspora

Le Parisien, 26 décembre 2017

 Jean-Baptiste Alaize, athlète paralympique aux multiples titres mondiaux au saut en longueur, est arrivé en France enfant avec une jambe en moins, rescapé d'un massacre à la machette qui n'a pas épargné sa mère. 

« Pendant longtemps, je faisais ces cauchemars. Je revivais cette scène où ces hommes ont exécuté ma mère ; ce moment où, sous mes yeux, ils lui ont coupé la tête. L'athlétisme m'a guéri de ça. »

De Jean-Baptiste Alaize, ce pétillant athlète paralympique qui accumule les titres mondiaux au saut en longueur, on ne connaît pas la véritable histoire. Une histoire qui prend un tournant dramatique, le 23 octobre 1993.

Jean-Baptiste s'appelle alors Mugisha, « l'enfant du bonheur ». Il n'a pas encore 3 ans et vit dans les collines de Muyinga au Burundi, un pays en proie à la guerre civile. Ce matin-là, les Hutus envahissent le village tutsi de Jean-Baptiste. Sa maman, qui tente de s'échapper en emportant le petit garçon, est massacrée à coups de machette. Plusieurs membres de la famille subissent le même sort. De cette abominable journée, le jeune homme garde aujourd'hui les traces indélébiles. Des cicatrices profondes derrière la nuque, sur le bras et dans le dos.

« Ma blessure à la jambe était trop importante, j'ai dû être amputé », raconte-t-il. Le petit garçon passera quatre ans dans un orphelinat burundais. « Mon père m'a placé là, soi-disant en attendant qu'on me mette une prothèse. Il devait venir me rechercher, j'ai compris plus tard qu'il m'avait abandonné. » Le sourire, Jean-Baptiste le retrouve grâce à Danièle et Robert Alaize. « Ils ont fait des démarches d'adoption pendant des années; quand ils ont su que j'étais un petit garçon de 7 ans à qui il manquait une jambe, ils n'ont pas hésité, ils m'ont pris comme j'étais. Mon nouveau papa est venu à l'orphelinat, malgré le danger de la guerre, avec des cadeaux, des petites voitures et une paire de Converse... et surtout plein d'amour. Il m'a aussi apporté des béquilles, des vraies, pas des béquilles en bois comme j'avais à l'époque. »

Mugisha devient Jean-Baptiste. Il s'installe dans un village de la Drôme et découvre son grand frère. « Nos parents n'ont pas choisi nos origines : il est rwandais et hutu, moi je suis tutsi, c'est quand même un drôle de tirage au sort ! » Quelques mois après son arrivée, Jean-Baptiste est appareillé d'une prothèse. « Sur une jambe, j'étais vivant, je faisais tout comme les autres : du vélo, du football. Le jour où mes parents m'ont offert une deuxième jambe, je courais partout. Cette sensation de liberté, c'est le plus beau cadeau qu'ils pouvaient me faire. »

 «J'ai vécu des choses horribles mais la vie m'a donné une seconde chance»

Pour essayer de le guérir de ses cauchemars, Danièle et Robert lui font faire de l'équitation. Au collège, Jean-Baptiste découvre l'athlétisme. « On organisait des JO, j'ai participé au relais, quand j'ai pris le témoin, on était 3es et on a gagné. C'est ce jour-là que la plupart de mes camarades ont découvert que j'avais une prothèse. Avec mon frère, nous étions les seuls Africains, nous n'étions pas forcément les bienvenus. J'étais noir, il ne fallait pas en plus que je montre que j'étais handicapé. » Le sport devient un exutoire pour l'adolescent qui, en quatre ans, décroche 10 médailles aux Mondiaux d'athlétisme handi-sport des moins de 23 ans.

« Ces podiums, c'est une revanche, j'ai vécu des choses horribles mais la vie m'a donné une seconde chance. J'ai toujours dit que je retournerais au Burundi quand je serais quelqu'un, histoire de ne pas arriver les mains vides. J'y suis allé en 2013, après les Jeux paralympiques de Londres. J'ai retrouvé mes soeurs et le village de mon enfance. Je voulais connaître la vérité, être certain que toutes ces scènes que j'avais dans ma mémoire, je les avais bien vécues. L'été dernier, j'ai organisé là-bas, avec Peace and Sport, les Jeux de l'amitié des grands lacs avec des jeunes du Burundi, de la RD Congo et du Rwanda. L'idée était de montrer à ces enfants que, même si nous sommes hutus et tutsis, nous pouvons vivre ensemble. Le temps a passé aujourd'hui, je n'ai plus de haine. »

A 26 ans, le spécialiste du saut en longueur rêve désormais de décrocher une médaille aux Jeux paralympiques de 2020. Sa vie, il aimerait l'adapter au cinéma.

Ce qu'il pense de la France d'aujourd'hui

« En France, on a la chance de pouvoir pratiquer du sport, on va même organiser les Jeux olympiques et paralympiques. Grâce au sport, j'ai rencontré de belles personnes. Aller à l'Elysée, être reçu par le président François Hollande, c'était quelque chose. Ma vie est en France désormais. Mes soeurs, au Burundi, savent que je fais de l'athlétisme mais ne savent pas ce que ça représente. Avec ce que j'ai vécu petit, j'aurais pu basculer dans la violence et la délinquance. Grâce au sport, j'ai pris le bon chemin. »

Sandrine Lefèvre