A la découverte du tambour burundais, un instrument interdit aux femmes
Société

BBC Afrique, 30 décembre 2017

Le Tambour ou Ingoma est un élément important de la culture burundaise.

Du temps de la monarchie, il annonçait les grands événements tels que les intronisations, les funérailles des souverains, ou encore les fêtes de semailles du sorgho au mois de décembre.

Après la chute de la monarchie en 1966, le tambour, jusque-là réservé aux tambourinaires appelés les Batimbo, s'est ouvert à d'autres groupes surtout des jeunes.

Depuis 2014, le tambour est inscrit sur la liste du patrimoine immatériel de l'humanité.

Pour valoriser ce symbole de royauté, le gouvernement a récemment pris des mesures pour réglementer l'usage du tambour.

Des mesures qui sont néanmoins controversées

Le 20 novembre, le son du tambour burundais a résonné à travers tout le pays.

La semaine dédiée à l'Ingoma est une première cette année, depuis l'inscription du tambour sur la liste du patrimoine immatériel de l'UNESCO en 2014.

Une série de mesures a été prise au mois d'octobre dernier pour valoriser cet instrument mais l'une d'elle interdit désormais aux femmes d'en jouer.

Goreth Barampama joue du tambour depuis son enfance.

Elle a mis de côté cette passion le temps de finir ses études universitaires.

Mais à 30 ans, elle voudrait recommencer à jouer de cet instrument.

L'interdiction de battre du tambour l'en empêche, nous l'avons rencontrée dans une école où elle enseigne l'éducation physique et sportive.

Barampama est en short, baskets et casquette sur la tête, elle pense que les Burundais devraient évoluer avec le temps.

Elle estime que si on laisse les femmes porter des habits d'hommes maintenant, il ne faudrait pas leur interdire de battre du tambour, qui n'est qu'un instrument comme tant d'autres.

Selon elle, le tambour est un jeu comme le football, le basketball, il faut laisser continuer.

"Le monde a évolué, nous portons le pantalon, les culottes, vous voyez aujourd'hui moi je porte des culottes comme les garçons, même les pantalons comme les garçons. Je vois que c'est une exclusion comme dans les autres services où les hommes voient que les femmes n'ont pas de force, n'ont pas de capacité de faire ça, pas du tout, il ya des femmes qui sont capables de faire beaucoup de choses", ajoute-t-elle.

Au ministère de la Culture, l'heure est à la promotion du tambour en tant que patrimoine culturel.

Ce n'est donc pas une interdiction, affirme le ministre Jean Bosco Hitimana.

A ses yeux, il y a déjà un changement, dans le temps les femmes n'étaient pas autorisées à accompagner umurisho w' ingoma, (le son du tambour) maintenant c'est autorisé, c'est déjà une innovation dans ce sens.

Mais les nombreuses organisations féminines ne sont pas de cet avis et la nouvelle réglementation du tambour est tellement controversée que beaucoup de burundais n'acceptent de s'exprimer sur le sujet que sous couvert d'anonymat.

Pour cette femme, que nous appellerons Francine, la société burundaise est encore trop conservatrice.

"J'ai pris cela comme un pas en arrière eu égard à l' étape où nous étions par rapport à la promotion de la femme, à l'égalité et à l'équité, on avait en tête qu' on tendait vers l' égalité et l' équité, on tendait également à l' éradication des pratiques et stéréotypes qui discriminent la femme mais avec cette décision ça décourage, ça a montré qu' il y a encore des résistances à l'évolution vers l' égalité entre les garçons et les filles".

D'après Francine, il y a des choses, des constructions sociales qui ont eu leur temps mais qui actuellement n'ont plus raison d'être.

"Ce n'est pas uniquement dans le domaine du tambour ; on ne doit pas rester là où on était. Dans le temps on disait que une femme ne doit pas monter sur le toit mais actuellement il y a des filles qui font des études de constructions elles vont sur le toit, cela ne veut pas dire que les maisons vont s'effondrer".

Les activistes des droits de l'homme partagent le même avis, ainsi que ce monsieur, la cinquantaine, que nous nommerons Egide pour des raisons de sécurité, il estime que le gouvernement est en train de légitimer une forme de discrimination.

Selon lui dire que le tambour ressemble à un corps de femme est encore plus grave, parce qu'on chosifie la femme.

"Ça fait partie des préjugés, ça fait partie des outils de discrimination et d'exclusion et même d'élimination physique. Le tambour tel qu'il est conçu, nulle part il ne ressemble à une femme ; c'est plutôt les appellations de parties du tambour qu'on a assimilé aux parties intimes de la femme ; c'est tout. Si on veut que le tambour soit le patrimoine commun à l'humanité, ça doit être réel et non discriminatoire. Et dans la culture, c'est là où nous créons l'inégalité de statut ; et c'est grave lorsque nous portons notre culture discriminatoire à l'égard des femmes au niveau de l'humanité".

Cependant beaucoup de Burundais rencontrés dans les rues de Bujumbura prônent le respect de la tradition qui interdit aux femmes de jouer le tambour.

"Comme dit l'adage, une poule ne peut pas chanter quand il y a un coq, la femme ne doit pas non plus battre le tambour, ce n'est pas possible. Les femmes ne devraient pas jouer au tambour étant donné que depuis longtemps on sait bien que la culture burundaise ne permet pas aux femmes de jouer aux tambours parce que ça a une autre signification c'est comme une insulte à notre tradition".

Dans la tradition Burundaise, seuls les Batimbo, tambourinaires en français, pouvaient fabriquer et jouer du tambour et aucune femme ne pouvait prétendre faire partie des Batimbo.