Burundi : Sans véritable opposition, le pouvoir vend ses réformes constitutionnelles
Politique

PANA, 07 janvier 2018

Bilan de bientôt un mois de campagne sur les réformes constitutionnelles au Burundi

Bujumbura, Burundi - Les partis politiques au Burundi attendent toujours le feu vert de battre campagne pour le "Oui" ou pour le "Non", bientôt un mois après le lancement officiel de la campagne sur les enjeux de la nouvelle Constitution amendée à laquelle la population sera appelée à se prononcer au courant de cette année, par voie référendaire.

La campagne avait été lancée officiellement le 12 novembre dernier, par la chef de l’Etat burundais, Pierre Nkurunziza, invitant à la même occasion les membres du gouvernement à quitter les bureaux pour aller expliquer, sur terrain, les réformes visant à adapter la Constution de 2005 aux réalités du moment aussi bien au Burundi que dans la sous-région.

Le président Nkurunziza avait parlé d’un moment "historique" pour son pays, devant la population et des diplomates étrangers, à Gitega, la future capitale politique, dans le centre du Burundi, mettant du coup en garde ceux qui seront tentés de saboter la campagne référendaire dont l’opportunité est néanmoins diversement appréciée, selon les bords politiques.

Au niveau de l’exécutif, l’enjeu majeur de la réforme constitutionnelle en cours porte sur le passage du quinquennat à un septennat et la création d’un poste de Premier ministre, "chef du gouvernement", avec la possibilité pour l’actuel chef de l’Etat de se représenter aux  "prochaines élections de 2020".

Ce n’est toutefois pas le moment d’y penser, avait estimé, le président Nkurunziza, lors de ses multiples interventions publiques de fin d’année dernière.

Le vice-président de la République, Gaston Sindimwo, le président de l’Assemblée nationale, Pascal Nyabenda, sont parmi les hautes autorités étatiques de la semaine qui faisaient encore le terrain pour appeler les populations de l’intérieur du pays à un vote 'franc et massif' en faveur des réformes constitutionnelles proposées par le gouvernement.

"C’est une question d’honneur", lançait encore, cette semaine, l’Ombudsman (Médiateur de la République), Edouard Nduwimana, à une séance d’explication du référendum constitutionnel, cette fois, à Bujumbura, la capitale politique et économique du Burundi.

On constate encore que les médias officiels ne censurent pas non plus les voix qui appellent à voter "Oui" au prochain référendum constitutionnel, malgré la consigne du ministère de l’Intérieur à attendre le moment opportun.

Quant au chronogramme du référendum, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Pierre Claver Ndayicariye, a déjà annoncé qu’il aura lieu courant mai prochain, le jour exact restant à préciser par décret présidentiel.

La CENI a encore finalisé ces derniers temps la mise en place de ses démembrements provinciaux et se prépare à en faire de même au niveau des entités communes du pays pour une supervision de proximité du prochain référendum constitutionnel.

Les membres des commissions électorales provinciales indépendantes (CEPI) et des commissions électorales communales indépendantes (CECI) sont censées provenir de différents partis politiques, d’organisations de la société civile et des confessions religieuses diverses.

L’influente Eglise catholique du pays n’a toutefois pas donné des représentants dans les différentes commissions, officiellement pour cause de calendrier chargé de fêtes religieuses de fin d’année 2017.

La même Eglise avait retiré ses observateurs des précédentes élections générales controversées et émaillées de violences de 2015.

D’ici mai prochain, les partis politiques, quant à eux, auront deux semaines pour battre campagne en faveur du "Oui" ou du "Non" à la nouvelle Constitution amendée, selon toujours l’autorité électorale nationale.

La configuration politique actuelle au Burundi et l'implication sans ménagement du pouvoir dans la campagne référendaire laissent présager de fortes chances de voir les tenants du "Oui" prendre le dessus sur ceux du "Non", de l’avis des analystes indépendants à Bujumbura.

Les analystes se fondent, notamment, sur le boycott précoce auquel a déjà appelé le Conseil national pour la défense de l’accord d’août 2000, à Arusha, en Tanzanie, sur la paix, la réconciliation et la défense de l’état de droit (CNARED, principale plate-forme de l’opposition intérieure et en exil).

L’appel au boycott risque de se retourner contre l’opposition et faire l’affaire du pouvoir qui, de son côté, ne ménage aucun effort pour faire triompher le "Oui" à son projet de réformes constitutionnelles.

Cette coalition hétéroclite et en ordre dispersé du CNARED juge "inopportun" de convoquer un référendum populaire pendant que subsiste le contentieux politique autour des élections de 2015.

Le boycott de la même opposition avait montré des limites aux élections générales de 2015 dont était sortie largement gagnant, l’actuelle majorité présidentielle, se souvient-on dans l'opinion.

Face à une opposition encore sonnée par la tournure électorale de 2015, et sans emprise réelle sur l’électorat, le pouvoir ne fait qu'occuper le vide pour vendre ses réformes constitutionnelles à une population, selon les mêmes analystes, qui doute d’une alternative crédible.

La campagne du référendum constitutionnel se double, par ailleurs, d’une sensibilisation officielle tout aussi soutenue à l’autofinancement des prochaines élections générales de 2020, "pour ne pas retomber dans le même piège qu’en 2015".

Les fonds promis par la communauté internationale des bailleurs avaient été finalement gelés, officiellement pour protester contre le manque de transparence et d’équité dans l’organisation des élections de 2015.

La semaine prochaine donnera lieu à la collecte et la remise des contributions des administratifs territoriaux et à la base, "pour donner le ton et l’exemple" à la population, a annoncé, vendredi dernier, le ministre de l’Intérieur, à l’issue d’une réunion préparatoire avec les gouverneurs de provinces et les responsables communaux de tout le pays.

L’appel à l’autofinancement des prochaines élections fait également l’objet des controverses dans divers milieux burundais où certains lui trouvent un caractère "contraignant" alors que le vote est constitutionnellement "libre" au Burundi, d’autres estiment que c’est une question de "fierté et de souveraineté nationale".

La communauté internationale risque également de manquer d’argument à faire valoir sur l’issue des prochaines élections qui auront été financées par des efforts internes, trouvent les mêmes analystes.

La suffocation économique généralisée est un autre argument d’opposants à l’autofinancement des élections, convaincus qu’il suffirait d’un dialogue sincère entre toutes les parties prenantes à la crise burundaise pour se réconcilier avec la communauté internationale dont le pays a toujours dépendu pour plus de 50% de ses besoins.

Les précédentes élections de 2015 avaient été budgétisées à hauteur de 60 millions de dollars américains, ce qui rend pessimiste certains analystes quant aux capacités et moyens internes à réunir un tel montant, si jamais le cout des prochains scrutins de 2020 devait revenir, ne fut-ce qu’à ce niveau.