Burundi : les efforts de l’Eglise pour la réconciliation
Société

La Libre Belgique, 15 février 2018

Le président de la Conférence des évêques catholiques du Burundi, Mgr Joachim Ntahondereye (photo), évêque de Muyinga (nord du pays), est à Bruxelles à l’occasion du Carême de partage d’Entraide et Fraternité. Il doit rencontrer le ministre belge de la Coopération, Alexander De Croo (libéral flamand), et être reçu au cabinet des Affaires étrangères et par la commission Relations extérieures de la Chambre. Le prélat a donné jeudi 15 février une conférence devant des membres d’Entraide et Fraternité, à laquelle a assisté La Libre Afrique.be

Le prélat a présenté la situation difficile du Burundi: un pays très pauvre, dont 58% de la population a moins de 20 ans (l’âge moyen est 17 ans!) et où naissent 6,4 enfants par femme. Avec une moyenne de 300 habitants au km2 et 74,4% de la population qui vit de l’agriculture ou de l’informel, on ne s’étonnera guère que 48% de la population vit dans une extrême pauvreté. Cette situation a encore été aggravée par la crise politique, économique, humanitaire (plus de 400.000 Burundais ont fui les violences à l’étranger) née en 2015 de la volonté du président Pierre Nkurunzizade se maintenir au pouvoir – qu’il occupe depuis 2005 – après la fin de son second mandat, en dépit de l’interdiction que lui en fait l’Accord d’Arusha, qui mit fin à la guerre civile (1993-2005).

La polarisation ethnique

En réponse à une question sur les tensions ethniques, Mgr Ntahondereye a indiqué qu’il était exact que les populations burundaises avaient résisté jusqu’ici aux incitations d’autorités du régime visant à attiser ce conflit. « Mais, en même temps, malgré le grand espoir suscité par l’Accord d’Arusha, il y a toujours des blessures très profondes. Il suffit d’un rien pour que la polarisation resurgisse. Dieu merci, cela n’a pas donné lieu jusqu’ici à des affrontements intercommunautaires, mais on sent, dans le langage utilisé, qu’il y a une tendance à la polarisation ethnique. Dans l’appareil d’Etat, certains tirent sur cette corde pour rallier les gens au pouvoir ».

Le prélat estime que « la solution réside dans une plus grande justice, car la polarisation n’est pas due à une haine viscérale mais à des intérêts économiques et politiques ». « La résurgence de cette question est là et il faut prendre garde à ce que cela ne provoque des affrontements ».

Eduquer et rendre justice

L’Eglise du Burundi prend cette question très au sérieux puisque, depuis 2005, les évêques organisent des synodes diocésains sur la paix et la réconciliation – dont les actes seront publiés prochainement. En outre, les commissions Justice et Paix organisent des comités de réconciliation dans de nombreux diocèses et des formations à la communication non violente. Elles aident aussi les Burundais à faire enregistrer leur propriété afin de ne pas léguer à leurs enfants des conflits pour la terre non résolus; au besoin, elles paient des avocats pour faire reconnaître des droits de propriété en justice – « notamment en faveur des femmes ». Enfin, des forums Paix et Justice sont organisés chaque années par la Commission épiscopale des Laïcs, destinés aux jeunes – « dont beaucoup sont membres de milices ».

La Jeunesse du CNDD-FDD (parti du président Nkurunziza) est considérée comme une milice par l’Onu et accusée de répandre la terreur par de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme.

L’Eglise a-t-elle les coudées franches pour agir?

L’Eglise a-t-elle les coudées franches pour agir? La question a été posée à Mgr Ntahondereye. « On fait ce qui est possible », a répondu l’évêque. « Nos prises de parole ont suscité des réactions. On nous a accusés d’être de mèche avec l’opposition en exil ou au service de colonialistes nostalgiques. Mais, jusqu’ici, nous avons pu continuer à exercer notre droit de contribuer au développement de notre pays ». Car la charité, estime l’évêque, « consiste à mettre l’Homme debout » et il est du devoir de l’Eglise de « se soucier du développement des personnes et des communautés, afin qu’elles vivent dans la dignité, et de combattre ce qui offense cette dignité ».

Par Marie-France Cros.