Au Burundi, tant de paysans et si peu de terre
Economie

L'Avenir, 19/02/2018 

Pieds nus dans la terre, une quinzaine de femmes, certaines avec un bébé accroché dans leur dos, s’échinent à arracher les pommes de terre à coups de houe. Ce champ communautaire situé sur la commune de Karindo, dans la province de Rutana, au sud du Burundi, occupe 71 personnes, dont 65 femmes. Celles et ceux qui viennent y travailler profitent de la récolte, mais y apprennent aussi les techniques culturales modernes qu’ils pourront appliquer chez eux ensuite. [Au Burundi, la pression démographique est telle que les terres disponibles sont rares et chères.]

«Avant, ils semaient encore à la volée, ne désherbaient pas, n’utilisaient pas de fumure… La rentabilité était donc mauvaise», explique Patrick Nshimirimana, le jeune ingénieur agronome qui les encadre pour le compte de l’association Action pour le Développement et la Protection de l’Environnement (ADEPE).

Avec l’appauvrissement des sols et le morcellement des terres provoqué par la pression démographique (un père de famille partage ses terres entre ses fils, souvent nombreux) et sans techniques modernes, les paysans peinent à produire suffisamment.

«Nous les jeunes, on est inquiets pour l’avenir, dit Samuel (18 ans). Car sans terre, on ne pourra pas nourrir notre famille. Les héritages ne sont plus suffisants, mais j’espère pouvoir acheter un jour mon propre champ.» C’est pourquoi il suit la formation: une meilleure rentabilité lui donnera peut-être de quoi dégager des revenus pour s’offrir un peu plus que le petit lopin qu’il cultive chez lui.

C’est aussi l’espoir de Christine. Avec une quarantaine d’autres femmes, elle a développé une petite activité d’élevage et un peu d’agriculture. Elles viennent de terminer une première récolte de pommes de terre sur un champ qu’elles ont défriché cette année, sur une colline située à plusieurs kilomètres de Rutana et qu’elles rejoignent à pied via une pénible piste défoncée. Elles espèrent vendre la récolte aux alentours de 500 000 francs (+-160€) alors qu’elles louent ce petit 1/2 ha 70 000 francs (23€) par récolte. Le chemin risque donc d’être long avant de pouvoir acheter un tel lopin de terre qui se négocie autour des 6 millions (2 000€).

«En plus, le risque est que, maintenant que le terrain a été défriché et rendu fertile, le propriétaire n’augmente le prix de location ou les dégage pour l’exploiter lui-même», dit Alphonse Habonimana. Chargé de programme pour l’ADEPE, il espère que ces paysans sans terre pourront rapidement s’organiser en coopérative et ainsi avoir plus de poids pour négocier avec les propriétaires afin d’obtenir des contrats de location à plus longue durée et à prix garanti.

Des hangars pour conserver les semences

«Lors de la récolte 2016, j’étais là quand un commerçant est venu au champ et leur a acheté toute la récolte pour un prix dérisoire.

J’étais dégoûté et eux aussi», raconte Alphonse Habonimana, chargé de programme ADEPE (Action pour le Développement et la Protection de l’Environnement). Cette mésaventure vécue par un groupe de paysannes de Rutana, au sud-est du pays, est courante dans les campagnes burundaises. Faute de lieux de stockage, les paysans conservent une partie des récoltes chez eux (au risque de se faire voler) et doivent vendre l’essentiel au plus vite, quel que soit le prix. Sans stockage, ils doivent aussi acheter au prix fort les semences pour la prochaine saison. Il est ainsi courant qu’ils vendent 0,10€ à peine le kilo de pommes de terre fraîchement récoltées et doivent les payer plus de 0,40€ lorsqu’il s’agit de replanter à la saison suivante.

Mais grâce au soutien financier d’Entraide et Fraternité, la récolte aura eu une autre saveur cette année à Rutana: un hangar a été construit fin 2017 et les pommes de terre arrachées la semaine dernière y ont été stockées. Les paysannes, regroupées en association, pourront les vendre quand les prix seront plus intéressants et elles en conserveront une partie qui leur servira pour la plantation de la prochaine saison.

D’autres projets similaires soutenus par Entraide et Fraternité ont déjà été développés ailleurs avec succès. C’est le cas de la commune de Mukiké, dans la province de Bujumbura où neuf associations de 198 paysans gèrent en commun un hangar permettant de stocker 20 tonnes de pommes de terre. Une cotisation payée au collectif qui gère le hangar a aussi permis de développer une petite boutique où les paysans peuvent se procurer des produits pour soigner leurs animaux ou lutter contre les ravageurs.

Du miel pour les sans terre

Ils sont neuf à se partager une vieille scie, deux marteaux aux manches tordus et trois rabots comme on en trouve sur nos brocantes… Malgré ce peu de moyens, les sept jeunes hommes et deux jeunes filles font des miracles: plusieurs ruches sont déjà terminées et d’autres vont suivre.

Pour eux qui n’ont pas de terre, l’apiculture à laquelle ils ont été formés au Centre Agro-pastoral de Mutwenzi (CAM), au nord du pays, c’est une opportunité pour avoir un peu de revenus.

Cette formation en apiculture a été lancée en 2017 quand le CAM a vu venir à ses formations des jeunes qui venaient de terminer leurs humanités générales mais n’avaient que peu ou pas de terre. «On s’est demandé quoi faire pour eux, puis on a eu l’idée de petits modules agricoles qui nécessitent peu d’espace», explique l’abbé Floribert Niyungeko, directeur adjoint. Des formations en production de fruits et légumes en cycles courts et pour la culture de champignons ont donc été mises en place. En plus de l’apiculture et de la fabrication de ruches, donc.

«Mais il nous faudrait plus d’outils pour progresser plus vite. Mais c’est cher… », dit Elias (27 ans) en nous montrant les ruches traditionnelles, en feuilles de bananiers, qui servent au piégeage des abeilles. Certains essaims ont déjà été transférés dans les ruches modernes qu’ils fabriquent. Mais il en faudrait plus, dit Elias, qui rêve qu’un jour son groupe pourra même s’acheter des outils électriques avec les bénéfices de la vente de miel et de ruches.

Mais s’ils sont motivés, les jeunes formés par le CAM sont aussi inquiets. Car les premières récoltes de miel sont prévues pour le mois de juin et ils n’ont toujours pas d’unité de transformation. Avec le soutien d’Entraide et Fraternité, le CAM espère pouvoir leur apporter une solution. «Mais la difficulté, c’est aussi de trouver un endroit où mettre cette unité sans qu’elle risque d’être détournée par les autorités, explique Prosper, qui joue le rôle d’interface entre les ONG burundaises et Entraide et Fraternité. C’est pourquoi nous insistons pour que ce soit le groupe qui trouve un endroit et participe à l’installation.»

Alain WOLWERTZ