Le cri d’une femme désabusée de la situation politique du Burundi
Opinion

@rib News, 19/04/2010

Élections burundaises, peut-on parler de démocratie ?

Adrienne NijimberePar Adrienne Nijimbere

Dans moins d’un mois commencent les élections générales dans tout le pays, les Barundi vont démocratiquement élire leurs dirigeants et représentants, à tous les niveaux des institutions du pays. Mais peut-on parler de démocratie au Burundi ? Peut-on parler de choix du peuple ? Le peuple burundais a-t-il la possibilité ou la liberté de faire un choix de ceux qui, demain vont diriger le pays ? Au Burundi, l’expérience aura montré que les dirigeants de toutes ethnies et de tout acabit ont peur de la démocratie, y compris ceux-là qui, il y a un temps se réclament « démocrates nés » ! Les intimidations et assassinats ciblés ou les massacres de masse sont depuis près de cinquante ans le mode courant d’accéder ou de se maintenir au pouvoir.

Politique ! Danger de mort

Au Burundi, politique ça tue, et par le simple fait d’exprimer ses idées ou ses convictions. La politique tue, surtout lorsque celui qui s’y adonne se refuse de danser au rythme imposé par ceux qui ont le pouvoir ! « Uko zivugijwe niko zitambwa ». Qu’importe que le rythme soit cacophonique, ou que les « tambours » soient battus sur un rythme tout à fait inconnu, non conventionnel ou tout simplement un rythme qui n’inspire aucune envie de danser. Le peuple doit danser ! « Haleluya ! Tout burundais qui sait danser au rythme du dirigeant s’est déjà converti en Chrétien born again et ne rate pas les ibikorane du chef ». Un petit exemple. Abatimbo murangarura ninaba nihenze.

Par ailleurs, n’est-il pas le danseur qui commande la façon dont les tambours doivent être battus ? N’est-il pas le danseur qui propose son rythme « umurisho », explique la façon dont il veut que le tambour soit battu, le batteur du tambour s’exécutant selon les instructions du danseur. Les tambours battus sous un rythme autre que celui convenu, selon la volonté du danseur ne peuvent pas produire un spectacle de bon goût, mais produit sans nul doute un autre effet que celui voulu par les acteurs présents. Un vrai politicien doit prendre le temps d’écouter les danseurs (nous le peuple) et ainsi créer les conditions de pouvoir produire un spectacle moins désolant et dégoûtant, tel qu’on en a l’habitude.

Les exemples des vaillants qui payent de leurs vies pour avoir refusé de danser au rythme incohérent de la musique du pouvoir sont assez nombreux. Rwagasore a refusé d’agir selon la volonté du pouvoir belge et a voulu changer le système d’alors. La suite vous la connaissez. Depuis lors et jusqu’à nos jours, toutes les tentatives d’opérer des changements dans les systèmes politiques ont été des expériences sanglantes. Les noms de Mirerekano Paul, Ngendandumwe Pierre, Ndadaye Melchior ainsi que les dates de 1965, 1969, 1972, 1988, 1993 revête un symbolique douloureux de cette expérience amère de la politique burundaise.

Le crime comme moyen d’accession et de maintient au pouvoir

Il est connu de tous ceux qui s’intéressent à la politique du Burundi qu’après l’assassinat du prince Rwagasore, une lutte pour le pouvoir conduisit à une série d’actions et de réactions qui culmineront par la tentative de coup d’État de 1965, suivi d’exécution sommaire de ceux qui étaient considérés comme responsables. 1965 fût aussi le début de l’expérience au Burundi de massacre systématique de population civile comme moyen de revendication de pouvoir. La commune pilote fût Busangana, actuellement Bukeye. Cet événement donnera en même temps l’occasion de prouver l’efficacité de la répression militaire et l’émergence de l’élite militaro-politique. Les tentatives de 1969 et 1972 produiront les mêmes effets avec la singularité que la répression de 1972 aura battu le record de manifestation de violence de la part du Pouvoir au Burundi. Les massacres de 1988 et 1993 ont eu en caractère particulier dans ce qu’elles ont tour à tour engendrées une dynamique nouvelle dans les systèmes politiques burundais. Ntega-Marangare déclenchera la politique dite de l’Unité nationale qui fera du Major-président la vedette de gestionnaire des conflits ethniques. L’assassinat du hutu-président élu Ndadaye en 1993 ainsi que les massacres et le chao qui en ont suivi vont légitimer la naissance des groupes armés hutus, avec comme corollaire l’acceptation de fait de massacre de la population civile comme méthode de combat valable des deux côtés, une méthode de guerre qui fût d’usage en parallèle avec des négociations supervisées par la Communauté Internationale. « Uwutema urwiwe bamutiza umuhoro ! ».

Avec sa politique d’après Ntega-Marangara, le système a introduit une nouvelle donne dans la politique Burundaise. L’usage des postes politiques et des moyens financiers pour anéantir les oppositions politiques. De même, la corruption a pris une allure effrayante en même temps qu’elle a créé une « unité » des membres de l’élite au pouvoir et de ceux gravitant autour du pouvoir (abatanganya amatako ntibota hamwe), donnant ainsi l’impératif d’une nécessité de couverture mutuelle. D’où la coalition des putschistes, génocidaires et criminels économiques, toute l’élite au pouvoir se retrouvant dans la dernière catégorie.

Seulement voilà, la politique comme moyen d’enrichissement rapide est devenue tellement la norme que ces derniers jours, elle a été et est en train d’être codifié. Regarder la réglementation des avantages et indemnités des parlementaires, sénateurs, membres du gouvernement et comparez avec le statut des enseignants ou autres fonctionnaires de l’État, qui eux travaillent effectivement car ils n’ont pas de fortunes et d’affaires à gérer pendant leurs heures de travail.

Silence ! Les dignitaires ne volent pas, ils se servent… ce que l’on a oublié, c’est que tout ce qui appartient à l’État (au peuple) leur appartient. Et d’après la logique de la démocratie à la burundaise, ils ont été élus pour cela. « Ngo Falcon 50 bari kuyigaba kuri gusa kuko batowe n’abanyagihugu ». Sous d’autres cieux « ryobaye ibara ryo kumutemere ».

On s’apprête maintenant à voter une loi accordant des avantages dépassant toute logique aux généraux dont la plupart n’ont eu d’autres mérites que de se distinguer dans l’égorgement des personnes sans défense, dans des viols systématiques et autres crimes odieux. Ce n’est pas parce que des crimes ont été commis aussi bien par des tutsi que par des hutu qu’ils cessent d’être crimes.

Je refuse que « akapfuye kabazwa ivu » uwakishe yambitwe ibidari. Agashirwa ku ngoma y’ibihe bitazoshira !

Mon ventre avant tout, la justice et autres « commissions vérité et réconciliation » peuvent attendre.

Ce que l’on aura compris depuis que les politiques dits d’unité nationale ont vu le jour, la logique de « mange et tais-toi » est devenue plus que centrale. « Ntawuvugana indya mu kanwa, aba atarezwe runtu ».

Ce qui me révolte et me pousse à écrire ces pages, c´est le constat amère que la honte est en train de disparaître complètement, par le truchement des hommes au pouvoir ou aspirant au pouvoir.

- J’avais pensé que les hutus, de part ce qu’ils ont enduré depuis 1972 si pas avant, ont soif de voir la vérité sur ces massacrés établie, les responsables identifiés et la mémoire des disparus réhabilitée. Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de volonté de la part de l’élite hutu au pouvoir ou de revendications claires pour la commission vérité et réconciliation ? Quid des assassins de Ndadaye et consort ? Les massacres systématiques (naguère dénoncés sans ambages) commis par l’armée tutsie à la poursuite des rebelles ont-ils déjà été oubliés ? Les effets des opérations ville-morte. N’y a-t-il personne qui a besoins de voir les responsables des opérations amaboro qui ont semé la terreur dans Bujumbura et centres urbains du pays traduits en justice ?

- J’avais pensé que l’élite tutsie allait continuer à réclamer le châtiment des « génocidaires » de 1993 ! Hélas ils se bousculent pour entrer au parti de Rwasa ou autres, les massacres de Gatumba de 2004, Bugendana, Buta et autres ne sont qu’une parenthèse d’histoire.

Quelle honte ! Quelle amertume ! Quelle déception ! Quel scandale !

Le pouvoir au peuple, les criminels aux geôles !

Je ne suis  candidat à aucune des élections en cours, pas de toute façon celles de 2010. Je n’ai pas non plus l’intention de faire campagne pour un candidat quelconque. Mais vous me direz que je suis folle en m’exprimant en termes ci haut ! Oui, je suis folle de rage à l’idée que l’association des criminels se maintienne au pouvoir. Je suis enragée par le constant qu’il y a un risque que tout les crimes commis ne soient jamais punis. Non, le pouvoir doit revenir à ceux à qui il appartient, au peuple et les criminels doivent regagner leurs places. De toute façon pas les postes juteux en politique.

Mais comment cela pourra-t-il se réaliser quand se sont les mêmes criminels qui font la pluie et le beau temps ? Je laisse le lecteur répondre à cette question, mais pour moi, il y’aura pas de démocratie et les élections n’auront pas de sens aussi longtemps qu’il n’y a pas de débats politiques contradictoires sur toutes les questions d’intérêt général. Aussi longtemps que le peuple est intimidé au lieu d’être écouté pour exprimer ses doléances et points de vue, il n’y aura pas de démocratie. Aussi longtemps que les révélations des malversations ou autres crimes sont sanctionnées par des mandats d’arrêt ou assassinats, on est loin de la démocratie.

Peut-être est-il temps de crier au secours à la Communauté Internationale (si elle a la volonté d’aider) pour superviser un débat politique sincère et inclusif sur les questions vitales d’intérêt national, afin de permettre de balayer devant notre maison, avant de continuer cette aventure dite démocratique mal partie. Cela nous interpelle tous, quelle que soit notre appartenance ethnique, régionale ou autre. La situation ne peut pas continuer comme elle l’a été depuis les années 1960.

Adrienne Nijimbere