FIDH et ITEKA alertent à l’ONU au sujet de la situation qui prévaut au Burundi
Droits de l'Homme

FIDH, 15/03/2018

LA FIDH À L'ONU - Conseil des droits de l’Homme

Intervention sur le Burundi lors de la 37ème session du Conseil des droits de l’Homme

(Genève, Paris, Bujumbura) La FIDH et son organisation membre, la Ligue ITEKA, alertent de nouveau le Conseil des droits de l’Homme au sujet de la situation des droits humains qui prévaut au Burundi.

Au cours de l’année 2017, la Ligue ITEKA a documenté le meurtre de 456 personnes ; 89 disparitions forcées ; 283 cas de torture ; 77 cas de violences sexuelles et basées sur le genre (SGBV) ; et 2 338 arrestations souvent suivies de détentions en dehors de toute procédure légale. Depuis janvier 2018, elle a recensé 50 cas de meurtres, 4 enlèvements, 23 cas de torture, 402 arrestations arbitraires, et 9 cas de SGBV.

Ces violations sont en majorité commises par des individus issus ou affiliés au régime et visent des opposants, réels ou supposés, au pouvoir en place. Les responsables de ces crimes continuent de bénéficier d’une impunité totale et les victimes d’attendre justice et réparations.

Monsieur le Président,

Nous souhaiterions attirer l’attention du Conseil sur le fait que nos enquêtes mettent au jour une recrudescence inquiétante des violences et de la répression à l’approche du référendum sur la Constitution devant se tenir en mai 2018 et permettre à Pierre Nkurunziza de prolonger à nouveau sa présidence.

Des informations nous parviennent selon lesquelles les autorités mènent une campagne de terreur visant à contraindre la population de s’inscrire sur les listes électorales et de voter en faveur de la révision constitutionnelle.

Des dizaines de personnes perçues comme opposées au référendum ont été arbitrairement arrêtées. Des partisans du régime, notamment de hauts responsables du parti au pouvoir, du gouvernement et de l’administration, recourent aux menaces et à l’intimidation pour inciter la population à voter « oui ». Le 13 février dernier, le porte parole du Ministère de la sécurité publique, Pierre Nkurikiye, a ainsi adressé, selon ses propres dires, « une mise en garde contre toute personne qui par son action ou son verbe tentera[it] d’entraver ce processus » [de référendum]. Il a précisé que toute personne s’y opposant « sera immédiatement appréhendé[e] et traduit[e] devant la justice » [1].

Ce faisant, il n’a fait que relayer les mots d’ordre du président Nkurunziza qui a lui-même averti que « celui qui osera s’opposer au projet de révision de la Constitution en subira les conséquences » [2].

Nous considérons que les conditions politiques et sécuritaires actuelles n’offrent pas un contexte favorable à l’organisation d’un référendum qui soit inclusif, libre et consensuel. Au contraire, nos organisations craignent que la tenue coûte que coûte de ce scrutin – alors qu’une large frange de l’opposition politique et des organisations de la société y sont opposées et que la population est terrassée par le régime – ne s’accompagne de nouveaux heurts et ne mette davantage en péril les espoirs de sortie de crise et de réconciliation.

Nos organisations sont également extrêmement préoccupées par les nouvelles attaques et entraves visant les membres de la société civile et particulièrement les défenseurs des droits humains. Le défenseur Germain Rukuki demeure détenu depuis plus de sept mois [3].

Trois membres de l’organisation PARCEM ont été condamnés à 10 ans d’emprisonnement le 8 mars 2018 pour « atteinte à la sécurité de l’État » alors que ni eux ni leurs avocats n’étaient présents au cours de l’audience, avancée de quatre jours sans explication ou notification préalable de la défense. Nestor Nibitanga, un ancien observateur de l’APRODH, est détenu depuis novembre 2017. Nos organisations demeurent également sans nouvelle de l’ancienne trésorière de la Ligue ITEKA, Marie-Claudette Kwizera, portée disparue depuis plus de deux ans après son enlèvement par des agents du SNR, et craignent qu’elle n’ait été exécutée.

Ces personnes sont victimes de la répression du régime pour avoir cherché à exercer pacifiquement des activités de défense des droits humains. Par ailleurs, en plus du cadre légal extrêmement restrictif promulgué au début de l’année 2017 [4], de nouvelles mesures de restrictions ont été prises pour entraver le travail des ONG, notamment internationales. Tous ces actes des autorités ne visent qu’à exercer une emprise toujours plus autoritaire sur la société burundaise à des fins de conservation du pouvoir.

Dans ce contexte de plus en plus délétère, la FIDH et la Ligue ITEKA exhortent le Conseil à maintenir toute son attention et sa vigilance sur la situation au Burundi. Le Conseil devrait exhorter le Burundi à mettre un terme aux graves violations des droits humains, à libérer les défenseurs et autres personnes détenues arbitrairement, à abandonner tout projet de référendum sur la révision de la Constitution qui ne garantirait pas, comme c’est le cas aujourd’hui, les conditions sécuritaires et politiques nécessaires au bon déroulement du processus, et à coopérer avec les mécanismes d’enquêtes et de protection des droits humains mandatés par les Nations unies, notamment la Commission d’enquête internationale mandatée par le Conseil en septembre 2016.

Notes

[1] Accéder à l’interview via le lien suivant : https://twitter.com/JustineDuby/status/963355607045754885

[2] Le 12 décembre 2017, dans la province de Gitega, les autorités ont ainsi lancé « la campagne pour le référendum constitutionnel » dont l’objectif affiché est d’expliquer à la population les modifications contenues dans le nouveau projet de Constitution. Cependant, les informations recueillies par nos organisations indiquent que cette campagne est utilisée par les autorités pour inciter à voter « oui » et menacer celles et ceux qui s’opposeraient à ce processus. Dans son discours de lancement de cette campagne tenu le 12 décembre, le président Pierre Nkurunziza a notamment déclaré que « celui qui osera s’opposer au projet de révision de la constitution en subira les conséquences », et « [mis] en garde les fauteurs de troubles et autres qui tenteraient d’entraver le déroulement de cette activité ». D’après le cadre légal burundais, la campagne politique autour du référendum ne devrait commencer que 16 jours avant la date du scrutin.

[3] L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, Burundi : Nouvelles accusations à l’encontre de Germain Rukuki, irrégularités de procédure et poursuite de sa détention arbitraire, 15 février 2018, https://www.fidh.org/fr/themes/defenseurs-des-droits-humains/burundi-nouvelles-accusations-a-l-encontre-de-germain-rukuki

[4] Des lois extrêmement restrictives ont été promulguées les 27 et 23 janvier 2017 visant à contrôler de façon très étroite l’action des ONG locales (loi n°1/02) et étrangères (loi n°1/033) et sont utilisées pour entraver leurs actions.