A Paris, le président du Burundi reçoit un étrange «prix Mandela»
Société

Libération, 20 mars 2018

Pierre Nkurunziza se voit attribuer un «prix du courage» par un institut basé à Paris qui s'approprie le nom de Nelson Mandela. «Libération» est allé à la cérémonie de remise des prix ce lundi. Un moment assez surréaliste. [Photo d’archive : Le président burundais, Pierre Nkurunziza, était reçu il y a cinq ans au Palais de l’Elysée à Paris, le 11 mars 2013.]

 

Les lauréats ont l’air content. Et pas peu fiers, tiens. Ce lundi dans un hôtel des Champs-Elysées à Paris ils ont été conviés pour recevoir un prix. Auquel est accolé un nom illustre : «Nelson Mandela», le héros absolu de l’Afrique contemporaine. C’est trop chouette quand même : être récompensé par un «Prix Mandela», c’est mieux que les césars, ça vaut un oscar. Alors ils défilent à la tribune, se fendent chacun d’un discours, souvent un peu long et c’est compliqué de les interrompre tant ils sont plein d’émotion et de ferveur. Un entrepreneur sénégalais, une Sud-Soudanaise qui se bat pour la paix, une athlète et un écrivain tous deux Ivoiriens… L’Afrique qui gagne en somme, récompensée par des prix prestigieux, créés, apprend-on, il y a un an.

Dans la foulée, on a aussi droit à un hommage posthume au premier président de l’indépendance tunisienne, Habib Bourguiba, lauréat, du «Prix Mandela du combattant suprême». Comme évidemment il ne peut pas être là, c’est un ex-ambassadeur tunisien à l’Unesco qui fait le discours à sa place. Confidence dévoilée à l’auditoire : cet intervenant-là fait aussi partie du jury d’attribution des prix. «D’habitude, les noms des membres du jury restent secrets», explique Paul Kananura, le président de l’Institut Nelson Mandela de Paris qui organise la cérémonie. «Mais sous la pression des journaux», souligne-t-il, il a fini par divulguer au moins un nom. «La pression des journaux» ? Zut, on aurait loupé un truc ?

Pourtant, il n’y a guère de représentants des médias dans cette salle de l’hôtel Marriott Champs-Elysées, ni même d’«honorables ministres et députés», pourtant régulièrement évoqués à la tribune. Nous, on était surtout venu, attiré par des attributions de prix plus croquignolesques. Lesquels finalement n’auront pas été remis à cette cérémonie: «Les chefs d’Etats préférant qu’on leur remette les prix en main propre sur place ou dans leurs ambassades», justifiera le maître de cérémonie, à la fin de ce raout aux rangs vite clairsemés.

Ubu Roi

Il y avait pourtant ce magnifique «Prix Mandela de la sécurité 2017» décerné au président tchadien Idriss Deby, au pouvoir depuis 1990 et confronté depuis plusieurs mois à une violente fronde sociale dans son pays. Ou encore, ce must absolu, notre préféré : «Le prix Mandela du courage», attribué cette année à Pierre Nkurunziza. Un grand homme qui mérite d’être connu. Le président du Burundi, véritable Ubu roi en son royaume. 

Le jour même où on lui remet ce fabuleux «Prix du courage Mandela», il vient d’annoncer la date du référendum constitutionnel, prévu donc le 17 mai, qui, tel Dieu lui-même, lui permettra de rester au pouvoir pour l’éternité. Déjà en 2015, il avait décidé de se représenter au-delà des deux mandats légaux prévus, plongeant ce petit pays de l’Afrique des Grands lacs, dans un cycle infernal de contestation et de répression.

Laquelle se poursuit aujourd’hui, selon la Fédération internationale des droits de l’homme qui dénombre pour la seule année 2017: «456 meurtres, 283 victimes de tortures, et 2 338 arrestations». Depuis trois ans, les opposants, journalistes, membres de la société civile, se cachent, ou ont quitté le pays. En octobre, la Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur les crimes commis au Burundi, soulignant d’emblée l’implication des forces du régime et de leurs milices, les redoutables Imbonekature. En guise de «Prix du courage», Mandela doit se retourner dans sa tombe, lui qui avait tenté en son temps d’œuvrer pour la paix au Burundi.

Démenti

Mais au fait, d’où vient cet Institut Mandela ? En principe, l’usage du nom «Mandela» est géré avec beaucoup d’attention par la célèbre fondation du même nom, depuis l’Afrique du Sud. Or, contactée par Libération à Johannesburg, la Fondation Mandela affirme n’avoir jamais donné son accord à cet Institut qui revendique l’héritage du grand homme. L’institut parisien, sentant depuis peu la polémique naître, fait désormais savoir sur son site que «Institut Mandela» est une marque déposée et enregistrée à Paris. En Afrique du Sud, les héritiers ne semblent pas l’entendre ainsi et prépareraient une action en justice. D’autant qu’il existe un «vrai» prix Mandela, décerné par les Nations unies. L’an passé, l’un des lauréats de l’institut parisien, un ancien Premier ministre malgache, aurait confondu les deux, pensant être récompensé par l’ONU…

Visiblement, l’institut affectionne les références illustres. En janvier, comme le prouve une capture écran, le site de cet institut affichait sur sa page d’accueil plus de sponsors qu’un général soviétique n’a de médailles sur son torse. Parmi lesquelles, le ministère des Armées à Paris. Lequel, également contacté par Libération, a démenti tout partenariat. Curieusement, tous ces illustres parrainages ne s’affichent désormais plus sur la page d’accueil.

Et qui est ce Paul Kananura, contacté sans succès par Libération ? D’origine rwandaise, il prétend organiser «depuis dix ans des conférences de haut niveau» en France, dont on peine pourtant à trouver la trace. C’est un mystère. Comme il a apparemment beaucoup d’attaches au Maroc, et surtout à Rabat, un site d’infos local, Le Desk, a mené son enquête. Publiant un verdict définitif : «L’institut Mandela, c’est bidon.» C’est aussi ce qu’avait conclu une tribune parue en janvier dans Jeune Afrique, sous la plume d’un intellectuel burundais. Et c’est également l’impression laissée à la représentante de la Fondation Chirac, qui l’an passé avait été invitée à remettre un prix: «On s’est laissé abuser par le nom de Mandela», confie-t-elle avec beaucoup de regrets.

Par Maria Malagardis