Burundi : un référendum constitutionnel crucial dans un contexte volatile
Politique

RTBF, 11 mai 2018

Quelle est la situation au Burundi à l'approche d'un référendum constitutionnel crucial ?

Il y a trois ans débutait une crise politique, sociale et économique importante au Burundi. L’annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat provoquait la colère d’une partie de la population. Fin avril 2015, des milliers de personnes, toutes ethnies confondues, sortaient dans les rues pour exprimer leur refus d’un troisième mandat. [Photo : Face à face tendu, entre police et manifestants, le 30 avril 2015 à Bujumbura.]

Trois ans plus tard, le pays ne semble pas être sorti de cette crise : des centaines de journalistes et opposants sont partis en exil (dont certains en Belgique) et les réfugiés dans les pays voisins se comptent toujours par centaines de milliers. 

Des modifications communiquées tardivement

C’est dans ce contexte volatile que se prépare un référendum constitutionnel crucial pour l’avenir du pays. Le 17 mai, les Burundais sont appelés à voter "Ego" (oui) ou "Oya" (non) à une réforme de la Constitution. 

S’il n’y a guère de doute sur le succès des réformistes, le flou règne par contre sur l'objet du référendum. La proposition de réforme n'a été officiellement publiée que le 8 mai, soit 7 jours après le début de la campagne! Qui plus est, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a antidaté le document, indiquant que celui-ci avait été mis en ligne le 2 mai. 

Que contient la réforme proposée?

Plusieurs points suscitent le débat dans cette proposition de réforme. Jusqu'à présent, la Constitution burundaise (datant de 2005) reposait sur l'Accord d'Arusha (datant de 2000) censé mettre un terme à plusieurs années de guerre civile. Cet Accord de paix mettait en valeur des équilibres ethniques (entre hutus, tutsis et twas) et politiques (pour éviter un retour vers un parti unique au pouvoir).

Voici les 4 éléments à retenir dans la réforme proposée:

1. Retour vers un parti unique?

  • Jusqu'à présent: chaque parti obtenant 5% des suffrages lors des élections législatives était représenté au sein du gouvernement national. "L’idée à l’époque était bien sûr d’accorder un morceau du gâteau à tous les protagonistes autour de la table des négociations de paix", explique Stef Vandeginste, juriste à l'Université d'Anvers, qui a analysé le texte proposé. Reste que depuis 2005, le CNDD-FDD, parti du président, a obtenu une majorité absolue à chaque scrutin législatif, dominant ainsi de facto le paysage politique burundais. 
  • Avec la révision: "Le CNDD-FDD pourrait – s’il confirme son résultat aux élections de 2020 – envoyer tous les ministres au gouvernement", détaille Stef Vandeginste. Conséquence: la coïncidence entre Etat et parti déjà prégnante en sera renforcée. 

2.   Les équilibres ethniques conservés, mais jusque quand? 

  • Jusqu'à présent : des quotas ethniques sont prévus (60% pour les Hutus, 40% pour les Tutsis à l’Assemblée nationale et au gouvernement; 50/50 au sénat et 50/50 au sein des Forces de défense et de sécurité). L'usage de quotas permet ainsi à la minorité tutsi d'avoir un droit de veto essentiel puisque une loi est adoptée à la majorité des deux tiers.
  • Avec la révision : "Ils seront maintenus et même élargis au secteur de la Justice", selon Stef Vandeginste. Le juriste précise tout de même qu'une clause prévoit que "le Sénat devra évaluer l’usage des quotas dans les 5 ans et recommander soit qu’il soit maintenu soit qu’il y soit mis fin". Par ailleurs, "dorénavant, une loi sera adoptée par une simple majorité", détaille Stef Vandeginste. Les députés de la minorité tutsi seraient donc privés de leur droit de veto. "En outre, les quotas constitutionnels ne s’appliquent plus au Service national des renseignements (SNR)", prévient Stef Vandeginste. Le SNR a une réputation sulfureuse, étant accusé par plusieurs rapports de recours à la torture. 

3. Des candidatures d'opposants rendues très difficiles

  • Jusqu'à présent: les candidats à la présidentielle pouvaient se présenter sous l'égide d'un parti (en garantissant un seuil électoral de 2%) ou comme indépendant sans devoir garantir un seuil électoral.
  • Avec la révision: La possibilité pour des candidats indépendants de se présenter aux élections devient plus difficile. "Pour qu’un indépendant soit élu à l’Assemblée nationale, il faudra qu’il obtienne 40% des suffrages au niveau de la circonscription électorale (la province)", précise Stef Vandeginste. Cette mesure semble viser le principal opposant à l'actuel président, Agathon Rwasa. "La nouvelle Constitution obligera en quelque sorte les actuels indépendants réunis au sein d’une coalition de créer un parti politique et, ensuite, d’essayer d’obtenir un agrément de manière à pouvoir participer aux élections".

4. Vers un système à la russe (Poutine/Medvedev)  

  • Jusqu'à présent: la Constitution actuelle précise : "Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels". Un mandat présidentiel équivaut à 5 ans.
  • Avec la révision: Le projet de Constitution dit "Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs". Pour Stef Vandeginste, "un troisième mandat, après une pause à la Poutine, devient donc possible". Reste à savoir si les compteurs seront remis à zéro en 2020 (année de la prochaine présidentielle). Pierre Nkurunziza en est à son troisième mandat (2005 -élu de manière indirecte - -2010 et 2015 - élu de manière directe). Pourra-t-il se présenter en 2020? "La grande surprise et la grande énigme pour moi est de constater que le texte proposé n’en dit rien, son éligibilité fait donc l’objet d’une ambiguïté constitutionnelle ", s'étonne Stef Vandeginste. Par ailleurs, avec cette réforme, le mandat présidentiel ne durera plus cinq mais sept ans. 

Avec cette réforme, Pierre Nkurunziza pourrait rester président jusqu'en 2034 et s'accrocher au pouvoir comme bon lui semble. Il lui faudra se trouver un Medvedev afin de mettre en place un semblant d'alternance. 

Damien Roulette