Au Burundi, un référendum cadenassé par le Président tout-puissant
Politique

Libération16 mai 2018

Grâce à la nouvelle Constitution soumise au vote ce jeudi, Pierre Nkurunziza pourrait se maintenir au pouvoir jusqu'en 2034. Le parti présidentiel a employé tous les moyens pour faire gagner le «oui».

Il est impensable que «son» référendum lui échappe. Pierre Nkurunziza, président depuis 2005, en veut toujours plus. Il a déjà été réélu pour un troisième mandat, en 2015, en tordant les règles de la Constitution. Mais pour continuer à diriger le Burundi, ce que ce fervent born againconsidère comme une mission divine, il devait réécrire la loi fondamentale. Ce sera très certainement chose faite après la consultation organisée ce jeudi.

Toute la machine du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, a été mobilisée. Or au Burundi, la formation présidentielle a une influence sans égale : elle est même, à bien des égards, plus puissante que l’Etat lui-même. «Dans les collines, son ancrage territorial est énorme. Sa propagande est très efficace, mêlant le politique et le religieux, explique le chercheur indépendant Mathieu Boloquy. L’issue du vote ne fait aucun doute. Le "oui" va l’emporter, largement.» La campagne s’est déroulée «à sens unique», dénonce la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) dans un rapport paru mardi.

Battu à mort

«Celui qui osera s’opposer au projet de révision de la Constitution en subira les conséquences», avait prévenu Nkurunziza lors de l’annonce du référendum, en décembre. Il a tenu promesse. Les rassemblements de l’opposition ont été souvent interdits, et systématiquement perturbés. Des militants ont été arrêtés ou ont disparu. «On a reçu des menaces, des intimidations, les Imbonerakure [l’organisation de jeunesse du CNDD-FDD, devenue une véritable milice au service du parti, ndlr]établissaient des barrières pour empêcher les gens de venir à nos meetings, raconte Agathon Rwasa, le leader du camp du «non» et le seul opposant burundais d’envergure à ne pas vivre en exil. Une bonne partie de l’administration ne fait plus la différence entre la nation et le parti au pouvoir.»

La vague de répression qui s’est abattue sur le pays depuis 2015 – après les manifestations contre le troisième mandat de Nkurunziza, puis une tentative avortée de coup d’Etat – s’est encore durcie à l’approche du scrutin. La FIDH, qui est interdite de séjour au Burundi mais s’appuie sur un réseau d’observateurs locaux clandestins, a recensé 1 710 assassinats, 486 cas de disparitions forcées et 8 561 arrestations arbitraires en trois ans. La plupart de ces crimes sont commis par le Service national de renseignement (SNR) ou les Imbonerakure, qui font régner la terreur en toute impunité.

«La police ne fait rien sans leur en référer, explique Anne-Claire Courtois, historienne au Laboratoire des Afriques dans le monde. Ils représentent à la fois une forme d’ordre et de protection, car on vient les voir pour régler des problèmes, mais aussi un danger, car ils agissent en toute impunité, disposent du monopole de la violence physique, et créent la plupart du temps eux-mêmes des problèmes.» Le 22 février, ils auraient battu à mort un membre d’un parti d’opposition qui refusait de montrer son récépissé d’inscription sur les listes électorales, selon la Ligue Iteka, une organisation de défense des droits de l’homme qui a documenté des dizaines de cas de passage à tabac similaires depuis le début de l’année.

Au Burundi, rien ni personne ne doit entraver la course du Président, «persuadé d’obéir uniquement aux ordres divins», relève Anne-Claire Courtois : «Nkurunziza a fait le ménage à l’intérieur même du parti, les contestataires de 2014 ont été remplacés par des nouveaux courtisans, qui tirent leur légitimité d’une fidélité sans faille au chef de l’Etat et à leur zèle à appliquer, voire à devancer, ses consignes.» Les contre-pouvoirs, déjà laminés, seraient encore affaiblis dans la nouvelle Constitution, qui, en plus d’autoriser Nkurunziza à briguer deux nouveaux mandats de sept ans à partir de 2020, renforce les prérogatives institutionnelles du Président.

«Le texte est conçu pour privilégier celui qui détient le pouvoir, dénonce l’opposant Agathon Rwasa, joint par téléphone. Il accentue le monolithisme, alors que l’accord d’Arusha [signé en 2000 et censé mettre fin à une guerre civile qui fit 300 000 morts] prévoyait des mécanismes pour éviter à la majorité d’écraser l’opposition. La Constitution de 2005 était issue d’un consensus pensé pour réconcilier un pays déchiré.» Ces deux textes prévoient notamment un système de répartition ethnique du pouvoir à travers un système de quotas (60% Hutus, 40% Tutsis) au gouvernement, au Parlement, dans les administrations et les entreprises publiques. La nouvelle Constitution ne remet pas directement en cause cet équilibre, mais prévoit que le Sénat pourra, lui, le faire au bout de cinq ans.

«Non-dits»

«Nkurunziza perçoit l’accord d’Arusha comme une source de blocage. Il ne l’affirme pas explicitement, car l’ombre des massacres à caractère génocidaire plane toujours sur le pays, il y a beaucoup de non-dits», analyse Mathieu Boloquy, qui estime que le Burundi «n’est pas encore assez solide pour se passer de la "protection" d’Arusha». «Il s’agit moins d’un enjeu ethnique que d’une manœuvre politique, précise Anne-Claire Courtois. Nkurunziza utilise les quotas quand ça l’arrange, puis s’en débarrasse, pour noyauter les ministères, la justice, l’armée, etc. La finalité est de placer ses hommes un peu partout.»

Treize ans après son arrivée au pouvoir, l’ancien maquisard dirige finalement son pays comme du temps de la rébellion, quand tous les coups étaient permis contre les ennemis, et que la chasse aux «traîtres» était une obsession. Pour les guérilleros, la peur était alors une tactique comme une autre. Sous la présidence de Nkurunziza, elle est devenue l'arme privilégiée de l’Etat burundais.

Par Célian Macé