La visite de Paul Kagame à Bruxelles suscite la polémique
Afrique

La Libre Belgique, 04 juin 2018 

Rwanda : la Belgique déroule le tapis rouge à un dictateur

Une opinion de Norman Ishimwe Sinamenye, activiste des droits de l’homme au sein de Jambo ASBL.

Ce mardi, les communautés rwandaise et congolaise de Belgique manifestent devant le complexe de Tour&Taxis à Bruxelles où se déroulent les Journées Européennes du Développement pour exprimer leur colère contre le fait que la Belgique et l’Europe acceptent de recevoir celui qu’elles considèrent comme “un dictateur” et “un criminel”. Le Rwanda de Paul Kagame reprend toutes les caractéristiques d’une dictature.

De plus, il est vrai qu’aujourd’hui aucun chef d’état en Afrique n’est accusé d’autant de violations des droits de l’Homme que le Président rwandais en exercice. Pour le principal expert belge sur la région des Grands Lacs, le Professeur émérite de l’Université d’Anvers, Filip Reyntjens : “Paul Kagamé est le plus grand criminel de guerre encore au pouvoir”.

Protégé par l’Immunité de chef d’état, Paul Kagame peut pour l’instant continuer à échapper à la justice et aux instructions conduites par les juridictions internationales à l’encontre du Front Patriotique Rwandais (ancien mouvement rebelle et aujourd’hui parti au pouvoir). 

En effet, en 2006, la justice française a émis plusieurs mandats d’arrêt contre des proches de Kagame pour leur participation présumée dans l’attentat terroriste qui a coûté la vie aux Président rwandais et burundais, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira. 2 ans plus tard, c’était au tour de la justice espagnol d’émettre de nouveaux mandats d’arrêt contre l’entourage de Kagame pour des actes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et terrorisme commis au Rwanda et en République démocratique du Congo (RDC) entre le 1eroctobre 1990 et 2002. 

En 2010 cette fois, venant attester les instructions française et espagnole, un groupe d’experts de l’ONU a détaillé dans “l’historique” Rapport Mapping des actes criminel perpétré par les troupes de Kagame à l’encontre des réfugiés Rwandais qui se trouvaient à l’est du Congo. Selon les experts onusiens eux-mêmes, ce rapport, “révèle plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide”.

“ Le Rwanda sous l’égide du Président Kagame est aujourd’hui accusé de graves violations des droits”

Les agissements criminels du président Kagame ne s’inscrivent pas que dans le passé. Le Rwanda sous l’égide du Président Kagame est aujourd’hui toujours accusé de graves violations des droits par tous les organes internationaux compétents en la matière. 

Le 6 décembre dernier, le Comité contre la torture des Nations Unies a publié ses observations finales après un examen de routine de la situation au Rwanda. 

Pendant cet examen, les membres du comité ont émis des inquiétudes à propos de violations graves – torture, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et intimidation de journalistes, de défenseurs des droits humains et de membres de partis de l’opposition.

Ces accusations viennent s’ajouter à celles émises par le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU dans son dernier rapport sur le Rwanda. Celui-ci avait exposé des cas de violations des droits de l’Homme commis par les autorités. 

Les inquiétudes et accusations concernaient notamment les détentions illégales, les allégations de torture et de mauvais traitements, l’indépendance du système judiciaire et le manque de procès équitables pour les opposants, les conditions carcérales, l’utilisation excessive de la détention avant jugement et les affaires relatives à la disparition de personnalités politiques. 

Les manques fondamentaux dans le domaine de libertés publiques avaient également été pointés du doigt : manque de Liberté de pensée, de conscience de religion et d’expression, entrave au droit de réunion pacifique et de liberté d’association, ainsi que l’interception illégale des communications entre les populations sans autorisation préalable. 

Sur la question fondamentale de la justice, le très critique rapport 2017 du département d’État américain sur le Rwanda avait quant à lui pointer du doigt le fait que “l’impunité envers les responsables civils et certains membres des forces de sécurité était un problème.” 

"Aucun écart n’est toléré, aucune critique n’est acceptée".

Les violations en matière de libertés politiques sont parmi les mieux documentés. En octobre 2016, le Parlement européen a adopté une résolution sur le cas de l’opposante politique Victoire Ingabire estimant que son procès en appel n’a pas été “conforme aux normes internationales” et appelle donc à une “révision rapide et impartiale” du procès de l’opposante. 

Une délégation du Parlement européen qui s’est rendue au Rwanda en septembre 2016 s’était au préalable vue refuser l’accès à Ingabire. 

Cette position du Parlement Européen a été confirmée par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui, dans un arrêt rendu le 1er décembre dernier, a estimé que la condamnation par la justice Rwandaise, en 2012, de l’opposante Victoire Ingabire viole son droit à la liberté d’expression. La Cour a ainsi réclamé au Rwanda “de prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la requérante dans ses droits”.

Dans un rapport de juillet 2017, Amnesty International décrivait le “climat de peur au Rwanda” dû à “Deux décennies d’attaques contre les opposants politiques, les médias indépendants et les défenseurs des droits humains”. 

Le cas de Diane Rwigara qui avait voulu se porter candidate aux élections présidentielles de 2017 illustre parfaitement cette situation. En guise de représailles à ses velléités présidentielles, elle et toute sa famille (qui est de nationalité belge) sont aujourd’hui soumis à la pression judiciaire rwandaise. D’abord spoliées de leurs biens, Diane Rwigara et sa mère sont aujourd’hui en prison en attente de leur procès. 

“La répression du gouvernement rwandais montre qu’il n’est nullement disposé à tolérer la critique ou à accepter que les partis d’opposition jouent un rôle, et cela envoie un message effrayant à ceux qui oseraient remettre en cause le statu quo”, a déclaré Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. “Chaque arrestation au Rwanda implique que de moins en moins de personnes vont oser élever leur voix contre la politique ou les abus de l’État” ajoute-t-elle. “

"La Belgique est-elle prête à sacrifier ses valeurs sur l’autel de ses intérêts?”

“Les bailleurs de fonds du Rwanda et les autres acteurs internationaux devraient condamner cette vague de répression flagrante contre l’opposition politique” avait également déclaré Ida Sawyer de Human Rights Watch. Pourtant on observe tout à fait le contraire. 

Aujourd’hui les agissements de Paul Kagame sont condamnés par les organes onusiens, le Parlement européen, les justices française et espagnole, les principales organisations internationales de défense de droits de l’Homme et même par les communautés rwandaises et congolaises à l’étranger. Pourtant la Belgique et la communauté internationale dans son ensemble font fi de toutes ces accusations, font semblant de ne rien voir et continuent à soutenir Paul Kagame au nez et à la barbe des valeurs qu’ils disent défendre. 

La Belgique oserait-elle aujourd’hui accueillir et dresser le tapis rouge à Kim Jong-un ou Bachar Al-Asaad aux regards des graves violations des droits de l’Homme dont ils sont accusés ? Rudy Demotte, Ministre-Président socialiste de la Fédération Wallonie-Bruxelles, n’avait lui pas hésiter à justifier le récent accord de coopération entre la dite fédération et l’État rwandais par “les liens entre les Rwandais et les Belges francophones autour des valeurs partagées de démocratie, de progrès social et de respect des Droits de l’Homme”. 

Déclaration consternante du leader du PS au regard de la vision du régime de Kagame en matière des droits et des libertés fondamentaux.

La Belgique est-elle prête à sacrifier ses valeurs sur l’autel de ses intérêts dans la Région des grands Lacs ? Il semble que le gouvernement Michel a fait son choix. La position schizophrénique de celui-ci sur la région des Grands Lacs est déroutante. 

Tantôt chantre du respect des constitutions et défenseur des droits de l’Homme, quand cela concerne Pierre Nkurunziza au Burundi et Joseph Kabila au Congo, le gouvernement Michel déroule le tapis rouge pour Paul Kagame dont le CV en matière de crimes et violations des droits fondamentaux est de loin bien plus chargé que celui de ses voisins congolais et burundais. 

Le Rwanda reste le deuxième plus grand bénéficiaire de la Coopération belge au développement avec une enveloppe de plus 32 millions d’euros alloués chaque année par la Belgique et ses contribuables en direction de l’État rwandais. Alors que de l’autre côté, les autorités belges ont multiplié les sanctions économiques à l’encontre du Burundi et Congo.

“On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème”

Le Président Emmanuel Macron avait déclaré il y a quelques semaines, lors de la visite du Président Kagame à Paris : “La France soutient l’initiative prise par le président de l’Union africaine (NDLR : le président rwandais Paul Kagame) en lien étroit avec le président angolais”. Par cette déclaration pour le moins surprenante, Macron a exposé la ligne idéologique qui conduit les grandes puissances à soutenir aujourd’hui le Président Rwandais. 

Comme toujours, l’intérêt que porte la communauté internationale pour le Rwanda et pour Kagame se situe sur sa capacité à influer sur la destinée du Congo. Pourtant, considérer Kagame comme une solution pour la région alors qu’en réalité, il en est le problème fondamental, résulte soit d’une méconnaissance de l’histoire de cette région soit d’un mauvais calcul stratégique. 

En s’imposant comme le “shérif” de la région des Grands Lacs, les pays occidentaux ont fini par considérer Kagame comme incontournable pour la préservation de leurs intérêts dans la région. Ils lui offrent dès lors protection et soutien diplomatique.

Pourtant Kagame est bien celui qui est à l’origine de toutes les crises et de l’instabilité que la région connaît depuis près de 25 ans. Par ses agissements criminels, Kagame est aujourd’hui celui qui met le plus en péril les intérêts belges et occidentaux dans la région. 

Albert Einstein avait dit : “On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème”. En transposant cette situation au cas qui nous intéresse, la Belgique et les pays occidentaux font fausse route en pensant résoudre le problème congolais en faisant à nouveau appel à Kagame qui est celui qui a porté les Kabila, père et fils, au pouvoir. 

La meilleure manière pour l’occident de protéger ses intérêts dans la région face à la menace russe et chinoise est de soutenir l’émergence d’un Rwanda démocratique capable d’être un acteur positif dans la stabilisation de cette région gangrené par les guerres chroniques depuis près de 25 ans.

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