Du Burundi au Rwanda : Maggy Barankitse, ou l'exil fertile
Société

RTBF, 21 juin 2018

Au Burundi, son pays natal, Marguerite Barankitse avait construit un projet de rêve. la Maison Shalom. Dans sa ville de Ruygi. Toute une ville dédiée aux enfants abandonnés, orphelins, enfants-soldats démobilisés. A Ruygi, Maggy avait construit un village pour les fratries, une ferme, un atelier mécanique, un restaurant, un cinéma, un cyber-café, un hôpital réputé. En 30 ans, la Mère courage du Burundi avait réussi a sauver 40.000 enfants, à leur donner une formation, un métier, de l'amour.

Mais, en 2015, tout s'écroule. le gouvernement burundais réprime dans le sang les manifestations de protestation contre un 3e mandat pour le président Nkurunziza.  Des milliers de Burundais fuient, et se réfugient au Rwanda, en Ouganda, en Tanzanie ou en RDC . Maggy proteste. Elle soigne les jeunes blessés, et fait porter à manger à ceux qui sont en prison. En juin 2015, Marguerite Barankitse est elle-même obligée de fuir. Au Burundi, sa tête est mise à prix. Elle aurait pu couler des jours confortables en Belgique, où elle compte de nombreux amis. mais elle décide de recommencer tout à zéro. Au Rwanda, auprès des réfugiés.

Oasis of peace

"Quand je suis allée au camp de réfugiés de Mahama, à 4 heures de route de Kigali, et que j'ai vu la détresse dans les yeux des enfants, je me suis dit que je ne pouvais pas les abandonnerMoi qui ai tiré 1.500 enfants soldats des griffes de la rébellion, je devais agir, pour éviter que ces jeunes réfugiés prennent un jour les armes". Maggy sélectionne 500 jeunes, et, avec l'argent donné par des amis belges, elle leur fait donner des cours d'anglais (le Rwanda est un pays anglophone). Ces jeunes terminent aujourd'hui brillamment leur première année d'université.

Maggy fonde l'ONG "Oasis of peace" , agréée par le gouvernement rwandais. Les dons commencent à affluer. En 2016, elle remporte le prix Aurora, décerné par l'Arménie. Une belle somme qui lui permet de se relancer. Sa priorité, ce sont les jeunes. Elle en envoie 230, triés sur le volet, en Internat, pour qu'ils recoivent une bonne éducation.

"Car j'avais cette idée : puisqu'il y a toujours eu la guerre au Burundi, tous les 10 ans on s'entretue, il y a des massacres, des révoltes.. Que peut on faire pour casser ce cycle de violences au Burundi ?  Nous devons préparer les jeunes a prendre la relève,  et il faut que ces jeunes soient bien éduqués !"

Le réfugié: une personne normale dans une situation anormale

Mais il n'y a pas que les jeunes qui souffrent du déracinement.

"J'ai vu que les mamans commencaient à se prostituer pour nourrir leurs enfants; je me suis dis: il me faut un centre communautaire où j'accueillerais tout le monde, pas seulement les réfugiés burundais. A Kigali on a créé une maison , "Oasis for peace". On y organise toutes les activités culturelles. Pour les jeunes , il y a des cours de tambours sacrés, c'est une façon de guérir la mémoire. Parce que trop de jeunes sont traumatisés. Il y a ceux qui ont été torturés, ceux qui ont fait de la prison, ceux qui ont fui avec des blessures, les mamans qui ont été  violées. Ce centre est établi sur 2 hectares, il y a une grande salle pour les réceptions, nous pouvons la louer. Nous avons créé un restaurant, pour pouvoir former les jeunes  à l'art culinaire, pour générer de l'espoir . Des femmes viennent a l'atelier de couture. 

Toutes ces  activités  empêchent  les Burundais de déprimer. Mon désir, c'est de montrer à tout le monde qu'un réfugié, c'est une personne normale dans une situation anormale. Il ne faut pas qu'on nous distribue des pacotilles. il faut qu'on nous distribue la dignité."

Dans son exil, Maggy a emmené Trésor, un jeune homme de 23 ans, laissé tétraplégique après avoir reçu une balle dans le dos. Sur les photos, Trésor sourit, enveloppé dans un drap blanc.

300.000 Burundais ont fui leur pays. 100.000 ont trouvé refuge au Rwanda, un pays qui se relève d'un grave génocide

"Nous voulons prouver au monde que les réfugiés peuvent apporter quelque chose au pays d'accueil. Ce monde qui a si peur d'eux. Alors que les réfugiés peuvent venir avec leur talent  et developper le pays d'accueil . Le Rwanda a accueilli si généreusement plus de 100.000 réfugiés alors que c'est un si petit pays. Ils nous respectent. Alors je me suis dit : nous aussi nous pouvons respecter ce pays et prouver que les réfugiés, ce n'est pas une charge . C'est au contraire une opportunité."

Des uniformes cousus maison par les mamans

Maggy déteste l'assistanat. Pour ses étudiants diplômés, elle a décidé de créer et de faire coudre les uniformes par les mamans réfugiées.  "Pour les uniformes, je me suis dit que les femmes pouvaient les confectionner, au lieu que le HCR et l'UNICEF en commandent a l'extérieur du camp. Ces femmes sont douées pour la couture, elles pourront gagner un peu de sous.. C'est du "win win", les réfugiés produisent , sont payés, et sont autonomes. Et les enfants sont fiers de porter des uniformes confectionnés par leurs mères.

Cela change tout ! Et c'est ce que le réfugié demande ! Le réfugié ne demande pas l'aumône, il ne veut pas devenir une charge; il voudrait faire de son exil  un apprentissage de dignité. Maintenant que je suis réfugiée moi même, je sais ce dont il a besoin . Je sais que ce n'est pas la distribution de nourriture dont il a besoin. Surtout au Rwanda. on pourrait lui donner les outils, il pourrait cultiver, et subvenir a ses besoins."

Maggy s'est organisée  en partenariat avec plusieurs universités, l'UCL en Belgique, l'université de Genève et celle de Paris, pour que les étudiants dans les camps puissent bénéficier de cours par Internet, des MOOCs ( Massive Open Onlines Courses). 

Cet été, Maggy va organiser une "université d'été". Elle a fait appel a la diaspora burundaise, en France, en Norvège, en Belgique, au Canada, pour venir enseigner cet été , dans les camps, aux jeunes réfugiés.

Quand on lui parle du président Nkurunziza, qui a déclaré récemment qu'il ne briguerait pas de 4e mandat, son rire, éclate, cristallin.

"En 2010, il avait dit la même chose. En 2015, il a dit la même chose. Après, il fera comme Mobutu ! Il est rusé. Il s'est proclamé 'guide suprême éternel' ..Et puis, s'il ne brigue pas de nouveau mandat en 2020, pourquoi a-t-il changé la Constitution ? Et pourquoi ne permet-il pas aux médias indépendants de rouvrir ? Pourquoi n'accepte-t-il pas le dialogue avec l'opposition en exil ? Il nous prend pour des enfants ! Pierre Nkurunziza, c'est un menteur, c'est un irresponsable, un irrationnel. Moi j'ai tourné la page. "

Au Burundi, la nature a envahi Ruygi, la ville de Maggy. La Maison Shalom qu'elle avait patiemment construite est fermée . Les ronces et les plantes sauvages ont englouti les batiments pillés. C'est l'oeuvre d'une vie qui semble avoir sombré. Mais Maggy ne renonce pas. Elle reconstruit, au Rwanda. Son moteur, c'est l'amour, et ce n'est pas un vain mot dans sa bouche.  "Un jour, nous rentrerons, la tête haute!"

Françoise Wallemacq