Les parlementaires vent debout contre le rapport de l’ONU
Politique

PANA, 11 septembre 2018

Un rapport onusien sur les droits humains suscite des critiques acerbes au parlement burundais

Bujumbura, Burundi - Des députés et sénateurs, ainsi que des représentants du gouvernement burundais, ont participé mardi à un débat retransmis en direct sur la radiotélévision publique pendant près de quatre heures, sur le dernier rapport accablant d’experts indépendants des Nations unies en droits humains, jugé « honteux et mensonger » par le président de l’Assemblée nationale, Pascal Nyabenda, et dont les auteurs ont été qualifiés de « mercenaires à la solde des puissances impérialistes » par le ministre de l’Intérieur et de la Formation patriotique, Pascal Barandagiye.

Tout le long du débat, peu de voix discordantes se sont élevées au parlement burundais, dominé, à plus de 80%, par des députés et des sénateurs issus des rangs du Conseil national pour la défense de la démocratie/Forces de défense de la démocratie (Cndd-Fdd, parti au pouvoir).

Les principaux ténors de l'opposition burundaise donnent sporadiquement de la voix à partir de l'étranger où ils se sont repliés par peur pour leur sécurité.

Le rapport incriminé à Bujumbura est l’œuvre d’une commission de trois experts indépendants des Nations unies, présidée par le Sénégalais Doudou Diène, avec comme autres membres, Mme Lucy Asuagbor du Cameroun et Mme Françoise Hampson du Royaume-uni.

La Commission travaillait depuis 2016 à « identifier les auteurs présumés de violations des droits de l’homme et d’atteintes à ces droits commises au Burundi, en vue de faire pleinement respecter le principe de responsabilité », de « formuler des recommandations sur les mesures à prendre pour garantir que les auteurs de ces actes aient à en répondre, quelle que soit leur affiliation ».

Les membres d’une précédente Commission onusienne d’enquête sur le Burundi avaient été déclarés "persona non grata", puis menacés de poursuites judiciaires. La Commission était présidée par l’Algérien Fatsah Ouguergouz, secondé par Mme Reine Alapini Gansou du Bénin.

Faute de visas d’entrée, c’est sur la base « de nombreux contacts à distance », notamment avec des personnes résidant au Burundi que la nouvelle Commission indique avoir pu conduire « plus de 400 entretiens avec des victimes, des témoins et d’autres sources », lit-on dans le rapport controversé. Ces entretiens viennent s’ajouter aux 500 autres témoignages recueillis durant son premier mandat, selon la même source.

La Commission indique encore avoir visité la Belgique, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, le Rwanda et la Tanzanie, les principaux pays d’accueil des réfugiés burundais de la violente crise électorale de 2015 dont une tentative de putsch militaire manqué.

La Commission dit également avoir effectué une mission en Ethiopie afin de rencontrer des représentants de l’Union africaine (UA) qui suivent également de près la situation au Burundi.

Selon le rapport onusien, le nombre de réfugiés est actuellement estimé à 394.778 personnes, ce qui représente 3,7 % de la population burundaise.

La Commission a rencontré des personnes ayant obtenu le statut récent de réfugié qui ont fait état de "contrôles renforcés aux frontières du Burundi", notamment par des "Imbonerakure", les jeunes militants du parti au pouvoir "qui voient de loin", en langue nationale, le Kirundi.

Par ailleurs, « des personnes tentant de fuir ou rentrés au Burundi ont été victimes de violations des droits de l’homme. Certaines ont repris le chemin de l’exil sans être nécessairement enregistrées dans leur pays d’accueil ».

Le ministre burundais de l’Intérieur a dénoncé des chiffres qui ne varient pas depuis 2015 alors qu’entre 2016 et 2017 « plus de 230.000 réfugiés » sont rentrés volontairement ou de manière assistée au bercail.

La ministre burundaise de la Justice, Mme Aimé Laurentine Kanyana, de son côté, est monté au créneau pour mettre en cause la qualité d’« experts indépendants » dont les rapports « se suivent et se ressemblent depuis 2016, sans apporter la moindre preuve palpable et irréfutable » de leurs allégations.

Le ministre des Droits de la personne humaine, Martin Nivyabandi, quant à lui, n’a pas trouvé d’autre nouveauté dans le « Rapport Doudou Diène » que la mise en cause au premier chef, du président burundais, Pierre Nkurunziza, dans la situation de crise que vit le pays.

On attribue généralement l’origine de l’une des graves crises burundaises récentes, après la guerre civile de 1993 à 2003, à l’officialisation, en 2015, de la candidature du président Nkurunziza pour un troisième quinquennat jugé contraire à la loi dans les milieux de l’opposition et des organisations de la société civile.

La Commission réserve un long paragraphe sur le « climat attentatoire aux droits de l’homme qui continue à être favorisé par des appels récurrents à la haine et à la violence de la part d’autorités, dont le Chef de l’Etat burundais ».

« Ce climat a, en outre, eu un impact direct sur la jouissance des droits économiques et sociaux, une portion de plus en plus grande de la population, soumise à une pression financière accrue de la part des autorités et du parti au pouvoir, se retrouvant dans le besoin, principalement en matière de santé, d’alimentation, d’eau, d’hygiène et d’assainissement ».

"De pays en phase de développement, le Burundi est redevenu un pays d’urgence humanitaire où des citoyens sont parfois privés de leurs droits, comme celui à l’éducation, pour des raisons politiques », pointe encore le rapport onusien.

Face au rapport controversé, « on ne croisera pas les bras pour préserver la souveraineté nationale et l’image du pays », a avisé le ministre Nivyabandi qui a, par ailleurs, informé l’assistance des contacts prévus avec le nouveau haut commissaire des Nations unies aux droits humains, Mme Michèle Bachelet, pour l’éclairer sur la situation réelle du Burundi.

Le Haut-commissaire sortant, Zed Rad Al Hussein, termine son mandat sur un contentieux particulièrement lourd avec le pouvoir burundais, notamment suite à l’une des déclarations choc du Jordanien, qualifiant le Burundi d’« abattoir d’êtres humains à ciel ouvert».

C'est aussi le Jordanien qui avait été à l'origine du lancement des enquêtes préliminaires sur de présumés crimes contre l'humanité au Burundi de la part de la Cour pénale internationale avant que le pouvoir de Bujumbura ne décide de se retirer du statut de Rome portant création de la CPI.

Lors du débat parlementaire, le président du Sénat, Révérien Ndikuriyo, de son côté, a enfoncé le clou, en fustigeant un « rapport des relais des putschistes de 2015, cette fois déguisés en uniformes des Nations unies ».

La crise électorale de 2015 avait été émaillée par une tentative de putsch militaire manqué contre le régime burundais, rappelle-t-on.

Dans le nouveau rapport, la Commission dit avoir enquêté et a constaté la persistance, en 2017 et en 2018, des « violations graves » des droits de l’homme dont certaines sont « constitutives de crimes contre l’humanité » qu’elle avait documentées durant son premier mandat.

Il s'agit, en particulier des "exécutions sommaires, des disparitions forcées, des arrestations et des détentions arbitraires, des tortures et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, des violences sexuelles, ainsi que des violations des libertés publiques telles que les libertés d’expression, d’association, de réunion et de circulation ».

D’un autre côté, « si le Service national de renseignement et la police restent les organes étatiques les plus impliqués dans ces violations, la Commission est préoccupée par le rôle croissant joué par des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, dans un contexte d’embrigadement de la population destiné à faire taire toute forme d’opposition », poursuit le rapport.

Par ailleurs, « les auteurs de violations opèrent dans un climat général d’impunité, favorisé par l’absence d’indépendance de la justice ».

En outre, « la crise politique au Burundi a eu un impact très négatif sur la situation économique et sociale du pays et a contribué à son appauvrissement ».

Malgré cela, « le Gouvernement a multiplié les taxes et les contributions qui vont à l’encontre du droit de toute personne à un niveau de vie suffisant et n’a pas consacré le maximum de ses ressources internes à la réalisation des droits économiques et sociaux ».

Le premier vice-président du Sénat, Anicet Niyongabo, quant à lui, s’en est pris à la Belgique, accusant l’ancienne puissance tutrice d’avoir téléguidé la Commission d’enquête et d’être à l’origine de l’instabilité chronique du pays pour préserver ses intérêts inavoués au Burundi.

L’une des rares voix conciliantes au cours du débat est venue de Agathon Rwasa, le chef de file de l’opposition parlementaire, en même temps premier vice-président en exercice de l’Assemblée nationale.

Pour lui, « il faut que les pouvoirs publics luttent plus efficacement contre la triste réalité de l’intolérance politique si l’on veut couper les herbes sous les pieds des détracteurs avérés ou supposés du pays ».

Au sujet des « responsabilité des groupes armés et des partis politiques d’opposition », la Commission fait état de l’existence de groupes armés à la frontière du Burundi qui continue de constituer une menace pour la population civile du pays.

Néanmoins, « aucun de ces groupes n’a, à la connaissance de la Commission, revendiqué une attaque sur le sol burundais en 2017, ni en 2018, précise le rapport.

La Commission n’a pas pu, « faute notamment d’un accès aux victimes et d’un refus répété du Gouvernement de lui fournir des éléments », corroborer les informations qu’elle a recueillies sur l’implication de groupes armés dans des atteintes aux droits de l’homme depuis 2015 au Burundi.

Elle n’a en particulier pas été en mesure d’identifier le groupe responsable du massacre d’au moins 24 personnes le 11 mai 2018 dans la commune de Buganda, au nord-ouest du pays. L’enquête diligentée par les autorités burundaises n’a, à ce jour, pas rendu ses conclusions, relève le rapport onusien.