La raison qui a poussé Handicap International à se retirer du Burundi
Cooperation

La Croix, 09/01/2019 

« Nous n’avons pas voulu procéder au fichage ethnique demandé par le gouvernement burundais »

Le directeur de l’Action Humanitaire revient sur la raison qui a poussé Handicap International à se retirer du Burundi, après 26 ans d’activité dans ce pays. [Photo : Jean-Pierre Delomier, le directeur de l’Action Humanitaire.]

84 ONG internationales sur les 140 présentes jusqu’ici au Burundi s’étaient conformées au 31 décembre à la nouvelle loi qui encadre strictement leurs activités, selon l’Agence France-Presse (AFP).

La Croix: Quelle est la raison qui a vous a poussé à partir du Burundi?

Jean-Pierre Delomier: Nous n’avons pas voulu nous conformer à la demande du gouvernement burundais de répertorier l’ethnie de nos employés. Ce « fichage ethnique » fait partie d’un plan progressif pour arriver en trois ans à ce que toute ONG respecte, pour son personnel, un ratio de 40 % d’employés d’ethnie tutsie et 60 % d’ethnie hutue. Ces informations devaient être transmises aux autorités. Nous ne connaissions pas l’ethnie de nos 105 employés burundais et nous ne voulions pas la connaître. Nous recrutons notre personnel sur des seuls critères de compétence.

Nous avions vu venir le problème. En 2017, une révision constitutionnelle a imposé ce fichage ethnique dans un certain nombre d’administrations publiques. Les ONG n’étaient pas concernées.

La situation s’est tendu le 1er octobre dernier, lorsque notre activité a été suspendue et que l’on nous a demandé de nous soumettre à cette procédure de fichage. Pendant trois mois, nous avons discuté avec des ministères, dont celui de la santé, mais pas avec celui de l’intérieur. Nous avons évalué qu’il n’y avait pas de possibilité d’infléchir cette décision.

Quelles sont les conséquences de ce départ?

J-P. D.: Nous travaillions depuis 26 ans au Burundi, dans l’accompagnement des enfants handicapés victimes de violences et exclus du système scolaire, dans les soins de réadaptation et la formation des personnels de santé. Ce sont autant d’actions qui se sont arrêtées le 1er janvier. Cela a été aussi une décision extrêmement douloureuse de devoir licencier 105 employés burundais, dont certains travaillaient pour Handicap International depuis longtemps. Ils ont perçu les indemnités auxquelles ils avaient droit.

Aujourd’hui, nous avons encore deux expatriés sur place, sur les huit qui travaillaient au Burundi. Ils finalisent la fermeture de notre implantation et partiront à la fin du mois. Ils n’ont pas, pour l’instant, subi de pression particulière de la part des autorités.

Ce départ est-il coordonné avec d’autres organisations?

J-P. D.: Bien entendu, nous avons averti de notre décision les bailleurs de fonds de nos programmes de développement, c’est-à-dire la DGD belge, l’AFD pour la France et le programme Echo pour l’Europe. Ces trois organismes nous ont soutenus dans notre volonté de ne pas franchir de ligne rouge en acceptant les conditions qui nous étaient imposées.

Depuis octobre, nous partageons nos informations avec d’autres ONG, mais nos démarches respectives auprès des autorités ont été individuelles. Aujourd’hui, des ONG se sont conformées à la nouvelle loi. Il faut dire que certaines n’employaient pas de personnel burundais et donc n’étaient pas concernées par cette mesure de « fichage ethnique ». Certaines, à l’avenir, pourraient être tentées de n’employer que des expatriés.

Recueilli par Pierre Cochez