Burundi : le parti de Rwasa, légalisé à Bujumbura, interdit en province
Politique

La Libre Belgique, 18 avril 2019

Après avoir ajouté la répression à la restriction des droits, depuis qu’il s’est présenté, en 2015, à un troisième mandat présidentiel pourtant interdit par l’Accord de paix d’Arusha (qui mit fin à la guerre civile 1993-2005; 300.000 morts), le régime du président Nkurunziza avait semblé, pour la première fois, en février dernier, desserrer l’étau dans lequel il écrase la population burundaise : n’avait-il pas autorisé le nouveau parti d’Agathon Rwasa, son principal rival électoral ? Ce n’était, hélas, qu’illusion.

Principal rival de Pierre Nkurunziza au sein de la rébellion hutue, à l’époque de la guerre civile, Agathon Rwasa avait fini par, lui aussi, transformer sa guérilla en parti politique, sous le même nom, archi-connu: Forces nationales de libération (FNL).

Partis d’opposition siphonnés

Lors de ses deux mandats légaux, Pierre Nkurunziza avait commencé à manœuvrer pour affaiblir ses adversaires électoraux. Comme d’autres partis d’opposition, le FNL de Rwasa fit l’objet d’un siphonnage en règle: un membre plus ou moins obscur du parti d’opposition déclare une dissidence, pro-Nkurunziza, et les autorités reconnaissent celle-ci comme le « vrai » parti.

Privé de son sigle FNL, Rwasa avait quand même participé à l’élection présidentielle controversée de 2015, sous l’étiquette d’indépendant, appuyé par une coalition d’indépendants; il était arrivé second. La nouvelle Constitution, promulguée en juin dernier, interdit maintenant les coalitions d’indépendants. Pour se préparer à la présidentielle de 2020, Rwasa avait donc lancé un nouveau parti en septembre 2018, le Front national pour la liberté – qui restait le FNL avec lequel les Burundais ont toujours associé le nom de Rwasa.

Ce nouveau parti n’a pas été reconnu. En revanche, en février dernier, les autorités ont reconnu la nouvelle formation de Rwasa, le Congrès national pour la liberté (CNL). Certains y ont vu une « ouverture » du régime. A ces naïfs, le commissaire provincial de la province de Muyinga vient de desiller les yeux.

« On règle les comptes sur place! »

Après avoir convoqué la population (qui ne peut refuser d’obtempérer si elle veut s’éviter de graves problèmes avec les autorités et/ou la milice du parti de Pierre Nkurunziza, le CNDD-FDD) à l’écouter, ce 16 avril, à Munagano, colline Cibari, commune de Muyinga, il leur a tenu un discours édifiant sur les droits du CNL d’Agathon Rwasa, dont voici la traduction.

 « Vous  avez évoqué un truc…, quelque chose comme  SNL non ?  Ça, nous, à la police, on connaît pas ! CNL… ou… CNL ou  SNL  je ne sais trop quoi ! Ça, nous… ! Ça nous est difficile de prononcer.

« Mais je voudrais vous dire,  Honorable  Gouverneur, oui, devant les citoyens ici présents ; en fait je voudrais vous dire : les gens qui tiennent les réunions nuitamment, toi qui tiens  une réunion la nuit, si tu commets l’erreur de la tenir chez toi et que, d’aventure, l’information nous parvient comme quoi tu es en train de tenir une réunion à ton domicile, tu seras en train d’attirer le feu sur ta famille. C’est bien connu que, si tu te claquemures dans ta maison à 23h pour y tenir une réunion…

« Apprenez que moi, commissaire provincial, je n’ai plus envie de me fatiguer beaucoup pour celui qui veut perturber la sécurité. J’ai des trucs avec lesquels je me promène. J’y vais,  j’y lance deux et je m’en vais! Deux seulement !…. D’ailleurs, deux, ce serait trop ! Ne t’attends pas à ce que le commissaire provincial réquisitionne un policier pour  venir te sécuriser ou t’arrêter si tu tiens  une réunion dans ta maison! Ça, c’est du passé.  Si tu veux perturber la sécurité, on règle les comptes sur place !  Tu es avec tes enfants ? Tu es avec ta femme ? Vous périssez tous  en même temps et sur le champ !  Car… car,  mais attendez!…  Il est interdit de livrer un combat quand on est au milieu des œufs ! Si tu livres un combat étant au milieu des œufs, on ne peut que les casser !  Et c’est ce que tu auras cherché !

« Nous, on voudrait vous demander… les gens qui tiennent des réunions clandestines, tenez-vous-le pour dit : celui que nous attraperons en train de tenir une réunion dans une maison ;  et la maison en question et tous ceux qui seront dans cette maison… Que personne ne nous demande des comptes ! Honorable Gouverneur, je le dis ici ; ne nous demandez rien ! Et je le dis ici, et je le dis devant vos sujets et vos administrateurs communaux… »

Par Marie-France Cros.