Burundi : 4 ans de répression violente des voix dissidentes
Droits de l'Homme

La libre Belgique, 30 avril 2019

Cela fait quatre ans que le mois d’avril apporte son lot de tristesse à de nombreux Burundais(e)s. Depuis avril 2015, les détracteurs et les opposants réels ou supposés du président Pierre Nkurunziza font l’objet d’une répression violente et systématique orchestrée par les autorités burundaises.

La décision prise le 25 avril 2015 par le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie au Burundi–Forces pour la défense de la démocratie au Burundi (CNDD-FDD), de présenter la candidature de Pierre Nkurunziza à l’élection présidentielle a rencontré une farouche opposition. Des Burundais(e)s de tous les groupes ethniques ont participé à des manifestations de grande ampleur contre cette décision, qu’ils considéraient comme une violation de la Constitution et des Accords d’Arusha, qui avaient mis fin à une décennie de guerre civile. Quatre ans plus tard, et à un peu plus d’un an de la prochaine élection présidentielle, de nombreuses personnes subissent encore les effets de la crise.

En mars 2019, l’arrestation de six lycéennes et d’un écolier (libéré le jour même) accusés d’avoir griffonné sur une photo de Pierre Nkurunziza dans des manuels a fait la une dans le monde entier. Une campagne en ligne et la médiatisation de l’affaire ont abouti à la libération de ces élèves, mais les jeunes filles encourent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour « outrage au chef de l’État » car les charges retenues contre elles n’ont pas été abandonnées. En 2016, dans des affaires similaires, des dizaines d’élèves avaient été arrêtés pour avoir gribouillé les photos du président dans leur manuel. La réaction du gouvernement à ce type d’affaire envoie un message clair à la nouvelle génération, à savoir qu’il ne saurait tolérer la dissidence sous une quelconque forme.

Cette crise a une incidence considérable sur la possibilité pour les partis d’opposition de s’organiser. Lorsque le dirigeant de l’opposition Zedi Feruzi a été pris pour cible et tué en 2015, de nombreux opposants ont fui le pays. Les membres du CNDD-FDD qui s’opposaient à un troisième mandat présidentiel de Pierre Nkurunziza ont été contraints à l’exil. Les rares personnalités de l’opposition qui sont restées au Burundi peuvent à peine tenir des réunions. L’ancien chef rebelle Agathon Rwasa, actuellement premier vice-président de l’Assemblée nationale, a lancé officiellement son nouveau parti, le Congrès national pour la liberté, le 10 mars. En avril, la direction du parti a déclaré que, depuis la création de celui-ci, 130 de ses membres avaient été arrêtés et torturés par les autorités burundaises.

Lorsque le président Pierre Nkurunziza a annoncé, en juin 2018, qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat, les autorités auraient pu en profiter pour rouvrir l’espace civique et désamorcer les tensions en prévision du scrutin de l’an prochain. Au lieu de cela, elles ont poursuivi leur harcèlement, leurs manœuvres d’intimidation et leurs attaques meurtrières contre l’opposition, ce qui montre sans équivoque que le gouvernement n’est pas prêt à faire en sorte que le processus électoral de 2020 soit inclusif.

Après les attaques sans précédent contre des organisations de la société civile burundaise qui jouaient un rôle crucial dans l’opposition à un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, le gouvernement s’en est pris aux organisations non gouvernementales internationales (ONGI). La loi controversée de janvier 2017, aux termes de laquelle toutes les ONGI sont tenues d’appliquer un quota ethnique lors du recrutement de personnel national, a servi à faire cesser les activités d’au moins trois organisations internationales qui travaillaient au Burundi depuis plusieurs décennies. Le quota imposé (rapport de 60/40), qui découlait des Accords d’Arusha, visait à garantir une représentation proportionnée des deux principaux groupes ethniques (la majorité hutue et la minorité tutsie) dans les institutions étatiques. Cette disposition constitutionnelle était sous-tendue par le fait que les gouvernements successifs et les forces de sécurité étaient dominés jusque là par les Tutsis. C’est le premier et l’unique exemple de quota de ce type appliqué dans le secteur privé.

Les médias et les journalistes continuent à travailler dans des conditions précaires. La BBC et Voice of America ne peuvent pas émettre au Burundi. En mars, la suspension de Voice of America a été prolongée et la BBC s’est vu purement et simplement retirer sa licence. Le Conseil national de la communication a également interdit à tous les journalistes burundais et étrangers de fournir des renseignements à ces deux organes d’information. Après la tentative de coup d’État du 13 mai 2015, les journalistes et les médias burundais ont été particulièrement visés. Ils étaient accusés d’avoir collaboré avec les instigateurs du coup d’État manqué et d’avoir soutenu les manifestations en relayant des informations sur ces événements. Depuis lors, de nombreux journalistes ont fui le pays. Au moins trois médias locaux ont été attaqués et détruits par des personnes appartenant, semble-t-il, aux forces de sécurité burundaises. Quelques journalistes courageux travaillent encore sur place mais ils courent de gros risques. L’un d’eux, Jean Bigirimana, du journal Iwacu, est porté disparu depuis le 22 juillet 2016.

Pour beaucoup de victimes des violences perpétrées depuis avril 2015, la répression continuelle des détracteurs et des opposants à l’approche de l’élection de 2020 éloigne encore davantage tout espoir de justice et de redevabilité. Il serait temps que le président Pierre Nkurunziza procède à un examen de conscience et réfléchisse à l’empreinte qu’il souhaite laisser. Cependant, personne n’a l’illusion qu’un véritable changement aura lieu avant la fin de son mandat. Malgré tout, pour les victimes de la violente répression qui sévit depuis avril 2015, nous ne cesserons jamais de réclamer la justice et le respect des droits humains. Nous continuerons à agir dans le cadre de la campagne Abacu* (Notre peuple) pour que le nom, l’histoire et les aspirations de celles et ceux qui subissent encore les effets de la crise ne soient jamais oubliés.

Rachel Nicholson, chercheuse sur le Burundi à Amnesty International